Le 17 août 2012, le journal autrichien Kurier rapportait les propos du vice-chancelier autrichien Michael Spindelegger, lors d'une réunion du parti populaire autrichien (ÖVP) tenue la veille, revendiquant que la zone euro se dote de la possibilité d'exclure un de ses membres, moyennant une modification des traités. Le journal rapportait également que des discussions seraient déjà entamées en ce sens avec ses homologues européens et même que "des pays qui vont bien économiquement, comme l'Allemagne, le Luxembourg, les Pays-Bas ou la Finlande apporteraient certainement leur soutien" à une telle aspiration. Le même jour, le ministre finlandais des Affaires étrangères, Erkki Tuomioja, déclarait au Daily Telegraph, que son gouvernement se préparait à un éventuel éclatement de la zone euro, avant que son homologue des Affaires européennes précise que ses propos ne représentaient pas la position du gouvernement.
C'est dans ce contexte, le 17 août également, et à cinq jours de sa visite en Grèce, que le journal autrichien Tiroler Tageszeitung, s'est entretenu longuement avec le Premier ministre luxembourgeois et président de l'Eurogroupe, Jean-Claude Juncker au sujet de la situation de la zone euro.
Les deux journalistes autrichiens ont commencé par interroger Jean-Claude Juncker sur les propos de l'Autrichien, Michael Spindelegger, et du Finlandais, Erkki Tuomioja. Jean-Claude Juncker a d'abord donné à considérer que "les problèmes ont plusieurs dimensions" et que ce "brouhaha est un peu trop bruyant". Jean-Claude Juncker appelle au contraire à la patience et à l'étude calme et objective de la situation. "Les questions qui se posent au sujet de la Grèce exigent un regard apaisé. (…) Le rapport de la troïka attendu en septembre livrera ses constatations, à la lumière desquelles nous devons préparer nos décisions futures. Se poser maintenant la question, si et comment un pays peut être exclu de la zone euro n'est pas utile", a-t-il en effet rétorqué.
Jean-Claude Juncker rappelle qu'il a été le Premier ministre à avoir vu le premier le "traumatisme" provoqué en Autriche par les sanctions décidées par l'Union européenne en 2000 lors de l'entrée au gouvernement du parti d'extrême-droite de Joerg Haider, ou parti de la liberté d'Autriche (FPÖ). C'est à ce titre qu'il conseille à Spindelegger de s'exprimer " de manière plus réservée". "C'est encore dans la conscience générale, que les mécanismes d'intimidation décidées dans une procédure accélérée peuvent agir très injustement. (…) On ne doit pas nécessairement intervenir avec une rhétorique si martiale, quand on traite avec un pays qui fait ouvertement défaillance comme la Grèce."
Alors que le Tiroler Tageszeitung fait état des "voix haut placées, qui rapportent des préparatifs à une sortie de la Grèce dès cette année", Jean-Claude Juncker confie qu'"une sortie de la Grèce de la zone euro n'est pas une partie de [son] hypothèse de travail", en faisant référence à ses mots employés le 31 juillet vis-à-vis du Süddeutsche Zeitung.
De même, est-il revenu sur les termes employés cette fois dans une émission de la télé allemande WDR le 6 août 2012, et qui, rapportées partiellement, avait pu faire croire qu'il envisageait une sortie de la Grèce de la zone euro. "J'ai certes dit qu'une sortie était modelable. Je pensais par là qu'elle est techniquement modelable, mais elle n'est politiquement pas modelable et comporte également des risques imprévisibles. Ça fait ainsi peu de sens, de fabuler publiquement sur de tels scénarios de sortie."
C'est à force d'évoquer la possibilité d'une sortie de l'euro que courrait l'idée que les autorités politiques préparent ce scénario. "Plus on en parle, et plus s'installe dans les têtes l'hypothèse, qu'on y travaillerait." "Or, on n'y travaille pas", affirme le président de l'Eurogroupe. Il pense toutefois que "quelques banques et assurances essaient de s'adapter à un tel scénario" mais fait savoir que "c'est un travail de préparation, qui n'est pas nécessaire".
"Cela n'arrivera pas", assure-t-il. "A moins que la Grèce ne transgresse toutes les conditions et ne se tienne à aucun accord. En cas d'un renoncement total de la Grèce concernant la consolidation budgétaire et les réformes structurelles, on devrait s'occuper de la question. Mais comme je pense que la Grèce essaiera de redoubler d'efforts et d'atteindre les objectifs affichés, il n'y a pas de raison, d'en déduire, que le scénario de sortie peut être pertinent."
La situation budgétaire de la Grèce empire. Et le pays a essayé d'obtenir une rallonge de son plan de redressement de 2014 à 2016. A l'écoute de ces considérations, le Tiroler Tageszeitung demande à Jean-Claude Juncker si un pays comme l'Allemagne ne va pas bientôt dire qu'il en a assez et ne veut plus de cette situation. "Je suis un Européen vieux jeu", répond Jean-Claude Juncker. "Qui est membre de l'Union européenne et de l'Union monétaire, est utile, même si, à un moment, il traîne avec lui plus de problèmes qu'il n'a à offrir de solutions. On ne peut pas, dans la situation d'aujourd'hui, répondre définitivement à la question d'un allongement de la période de redressement. Cela dépend du rapport de clôture de la troïka et de la réaction du Fonds monétaire international qu'il provoquera."
Jean-Claude Juncker n'a pas plus d'égard pour l'option qui consisterait à ériger un "euro du Nord" et mènerait à "une division de la zone euro" dont le Tiroler Tageszeitung se fait l'écho. "La zone euro ne peut être transformée à un point tel, qu'il y aurait un logement confortable pour les uns, pour lesquels ça va mieux, pendant que les autres sont hébergés dans la cave. De telles solutions faciles semblent lumineuses, mais sont égarées", tranche-t-il en effet.
Alors que la ministre autrichienne des Finances, Maria Fekter a pour sa part déclaré que l'Italie serait le prochain cas de pays en crise à traiter, le président de l'eurogroupe fait savoir qu'"il n'y a pas de raison de douter de la volonté de consolidation de l'Italie et de l'Espagne". Pour cause, "les deux pays ont entrepris des mesures drastiques de consolidation, mais sont traités par les marchés financiers, comme s'ils n'avaient rien fait". "Des taux d'intérêt de plus de 7 % sont totalement farfelus. Ils ne tiennent pas compte de la situation réelle."
Le journal autrichien est aussi revenu sur les paroles tenues en mai 2011 par Jean-Claude Juncker évoquant le devoir de mentir afin de préserver la population de l'action des marchés. Constantant d'abord que "cette parole [lui] colle à la peau", il déclare : "On ne doit pas mentir mais on ne doit et ne peut pas tout dire non plus. Quand les gens souffrent du fait qu'une information soit connue précocement bien qu'une décision ne soit pas encore prise, alors les milliardaires profitent de ce savoir et pas les petits épargnants. Celui qui dit toujours tout, doit donc savoir, pour qui il roule. "
Jean-Claude Juncker confie dans ce contexte sa crainte que la politique perde la confiance de la population. "Beaucoup de gens ne comprennent pas pourquoi et à cause de quoi nous prenons des décisions. La politique se trouve en étant d'urgence d'expliquer. J'en souffre beaucoup, parce que j'ai peur, parce que j'ai peur que les gens nous retirent leur confiance. Alors naîtraient dans la population des réflexes, qui n'aident pas au guérissement de l'économie. Je suis souvent agacé, dès lors qu'on diffuse la peur auprès des gens. Les populistes ont un jeu facile. Ils essaient de proposer des solutions simples de destruction. Il est très dur de lutter contre."
Par ailleurs, après avoir pris connaissance de l'article du journal autrichien Kurier, insinuant que le Luxembourg, avec d'autres, pourrait soutenir la proposition du vice-chancelier autrichien de pouvoir désormais exclure un pays de la zone euro, la radio luxembourgeois RTL a vérifié cette information troublante auprès du ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn. Or, ce dernier a démenti catégoriquement. Pour le gouvernement luxembourgeois, l'Union européenne, et avec elle aussi l'euro, est vue comme une "force d’intégration" qui unit les pays et fait avancer l'Europe solidaire et non comme une "force d’exclusion”. Une telle décision serait "contre tous les principes de l'esprit européen, sur lequel a été fondée l'UE." "Je ne pourrais jamais collaborer à une telle initiative", assure-t-il.
Pour Jean Asselborn, l'Europe a trois caractéristiques principales : la paix, Schengen et la libre circulation, l'euro. "Si nous jouons avec cela, on joue avec une pensée fondamentale de l'Union européenne : en tant que communauté de valeurs et de communauté solidaire. Je conseillerais chacun, indépendamment du parti auquel il appartient, de tenir la barre dans la bonne direction", a-t-il conclu.