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Economie, finances et monnaie - Marché intérieur
Un rapport d'experts propose ses solutions pour mettre l'activité bancaire au service de l'économie réelle en la protégeant des prises de risque de l'activité bancaire dédiée au trading
04-10-2012


Michel BarnierLe 22 février 2012, le commissaire européen en charge des services financiers, Michel Barnier, avait mandaté un groupe d'experts, sous la houlette du président de la Banque centrale finlandaise, ancien ministre des Finances de son  pays et commissaire européen entre 1995 et 2004, Erkki Liikanen, afin qu'ils étudient l'éventuelle nécessité de réformes structurelles du secteur bancaire européen.

Alors que la Commission européenne a déjà lancé des projets législatifs (union bancaire, résolution des crises), ce travail devait notamment étudier comment il était possible de mieux identifier, quantifier et le cas échéant contenir le risque des activités bancaires. Les solutions proposées devaient par ailleurs promouvoir la concurrence et maintenir l'intégrité du marché interne.

L'intention de la Commission est "de renforcer la stabilité bancaire et de rendre les banques capables de jouer leur rôle en faveur des citoyens", comme l'expliquait le commissaire Barnier au moment de missionner officiellement l'équipe de onze experts (composée de cinq représentants du monde académique, trois banquiers, un ancien industriel et une représentante des consommateurs).

Après sept mois de travaux, les experts ont rendu leur copie de 153 pages le 2 octobre 2012. Et le résultat de leur étude confirme que des mesures structurelles capables de renforcer la stabilité du secteur s'imposent. "Dans le prolongement des mesures substantielles déjà en cours, je pense que la mise en œuvre des recommandations du groupe pourrait engendrer un système bancaire plus sûr, plus stable et plus efficace, au service des citoyens, de l'économie de l'UE et du marché intérieur", a déclaré Erkki Liikanen au moment de remettre le document.

Michel Barnier a de son côté d'ores et déjà garanti qu'il s'agissait d'"un rapport important qui influencera notre politique en matière de réglementation du secteur financier". La Commission doit encore étudier "l'impact de ces recommandations à la fois sur la croissance et sur la sécurité et l'intégrité des services financiers", tandis que leur contenu servira d'étalon pour mesurer la pertinence des réformes financières que le Commissaire Barnier a proposées au Parlement européen et au Conseil. Une période de consultation  est ouverte jusqu'au 3 novembre 2012.

Le projet de réformes présenté complèterait les réformes en termes d'exigences en fonds propres et en liquidité et les réformes de "relance et résolution" actuellement actées ou proposées par l'UE, le Comité de Bâle et les gouvernements nationaux.

L'application  des nouvelles propositions sur les exigences de fonds propres (CRD IV)  constituera une "amélioration majeure dans tous ces aspects", relève le groupe. Ce dernier salue par ailleurs la proposition de la Commission de juin 2012 pour la résolution bancaire en matière de redressement et de résolution bancaires, qui augurera "des changements structurels dans les groupes bancaires, en réduisant la complexité et le risque de contagion, tout en améliorant la résilience.

La crise selon Erkki Liikanen

Erkki LiikanenDans la déclaration qu'il a publiée le jour de la remise du rapport, Erkki Liikanen revient sur les causes de la crise du secteur bancaire. Il dessine un monde bancaire dans lequel, avant le surgissement de la crise en 2007, "les institutions financières mondiales avaient grandi en taille et où leur complexité organisationnelle était devenue plus grande ". Il rappelle que la crise financière est notamment le fruit d'une "prise de risque excessive", sur des instruments hautement complexes et sur des crédits immobiliers, et "un besoin excessif de financement à court terme". 

Cette prise de risque "n'était pas couverte avec une protection adéquate en termes de capital" tandis qu'un haut niveau de risque systémique fut atteint par le lien fort entre différentes institutions", et notamment par l'entrée en relation du secteur bancaire traditionnel avec un système bancaire parallèle (shadow banking) qui proposait des services similaires. 

Les problèmes dans le système bancaire peuvent être résumés par "une prise de risque excessive, les processus de levier, la complexité, un capital inadéquate, une interconnexion extensive et des possibilités très limitées pour sauver les banques en faillite".

Il rappelle également que " le coût énorme de la crise financière, en termes de soutien public aux banques et de perte de production économique, est tristement retombé sur les contribuables, causant un tollé public compréhensible et justifié".

Cinq domaines d'action

Erkki Liikanen présente le paquet de réformes par le groupe en cinq groupes.

Obligation de séparer la négociation pour compte propre et d'autres activités de marché à haut risque

Le mandat du groupe attirait l'attention sur le fait que leurs réflexions devaient s'inscrire dans le cadre de celles qui sont menées au Royaume-Uni et aux Etats-Unis.

Aux USA, la règlementation Volcker comprise dans le Dodd Franck Act de juillet 2010, prévoit l'interdiction du "trading pour fonds propres", à savoir l'achat de produits financiers non pas au profit des clients de la banque, mais pour la banque elle-même. Au Royaume-Uni, le rapport Vickers recommande la séparation, au sein des entreprises existantes, entre activités de banque de détail et activités spéculatives. Les dépôts garantis par l'Etat bénéficieraient ainsi d'une protection renforcée. Les propositions du rapport Vickers doivent faire l'objet d'un vote d'ici 2015.

L'un des intérêts du rapport du groupe conduit par Erkki Liikanen était de voir de laquelle de ces deux options il se rapprocherait. Or, le groupe d'experts ouvre finalement une troisième voie, qui s'apparente à la solution britannique dans la mesure où elle maintient la "banque universelle", présentée comme une tradition européenne, et ne bannit pas le trading pour comptes propres. L'objectif est de "rendre plus sûres et moins connectées aux activités de trading hautement risquées" les activités telles que la banque de dépôt et la fourniture de services financiers au reste de l'économie, explique Erri Liikanen dans sa déclaration.

Mais quand la commission Vickers isolait la banque de détail pour mieux la défendre, le rapport Liikanen contraint à séparer les activités de trading à haut risque des banques de détail. Ces deux activités pourraient rester sous une même enseigne, dans la tradition de la banque universelle. Toutefois, l'unité spéculative consisterait en une entité légale séparée, société d'investissement ou banque, qui devrait avoir sa propre capitalisation et ne pourrait pas recourir aux fonds de la banque de détail.

Le groupe d'experts considère que la réduction de la taille des entités permettra une surveillance plus efficace et une discipline renforcée dans l'unité qui prend le plus de risques. D'autre part, elle rendra "les parties socialement les plus vitales" plus sûres. L'opération doit permettre de mettre du crédit à disposition d'activités non financières et  d'augmenter la concurrence pour les activités d''investissement entre groupes bancaires et banques exclusivement consacrées aux investissements

Les experts ont toutefois fait quelques aménagements en comparaison à une stricte séparation entre activités de crédit et activités spéculatives. La séparation ne serait obligatoire que lorsque les activités de trading représentent 15 à 25% des actifs de la banque ou une somme de plus de 100 milliards d'euros. Les activités qui forment les parties les plus risquées des investissements et où les positions changent rapidement, migreraient vers l'entité de trading. Ainsi, les activités de teneur de marché, les crédits aux hedge funds, les véhicules d'investissement hors bilan (SIV) et les investissements de private-equity seraient écartées des banques de détail.

D'autre part, le groupe d'experts laisse une certaine marge de manœuvre aux banques de détail. "La capacité des banques à fournir une large palette de services financiers à leurs clients seraient maintenues", en leur laissant l'accès à un certain nombre d'instruments financiers. Des outils tels que les instruments financiers dérivés pour gérer l'actif et le passif, les ventes et achats d'actifs pour constituer un portefeuille de liquidités ou le recours aux produits dérivés de types SWAP sur taux d'intérêt ou sur devises pour couvrir ses risques, leur seraient toujours accessibles.  

Dans ce contexte, le comité d'experts relève que les exigences de fonds propres prévus par les règles de Bâle furent inefficaces pour limiter la grande croissance des effets de levier et la taille du bilan. Au contraire, elles ont permis aux banques de  diminuer leur ratio de fonds propres par la titrisation de crédits. "C'est une raison importante par laquelle les banques sont devenues fortement connectées au "secteur bancaire parallèle".

Le groupe suggère ainsi à la Commission européenne de procéder à une évaluation, après la révision des règles de Bâle, afin de voir sir les amendements proposés pour réviser les exigences en fonds propres seraient suffisants pour couvrir les risques des banques de dépôts et des entités de trading.

Possibilité de séparer d'autres activités en fonction du plan de sauvetage et de résolution des défaillances

La deuxième idée force, présentée comme telle par Erkki Liikanen, est un instrument de sanction dans les cas où la séparation des activités de détail et de trading n'atteindrait pas son but. En effet, elle consiste à permettre aux autorités d'exiger une plus forte séparation des activités que celle qui serait rendue obligatoire, si cette mesure est nécessaire pour "assurer la solvabilité et la continuité opérationnelle des fonctions critiques". L'autorité de régulation pourrait également réclamer l'instauration de plafonds de crédits hypothécaires. Une fois le palier final dépassé, toute l'activité concernée serait transférée à l'entité de trading. Le groupe d'experts suggère aussi à cet égard la possibilité d'évaluer l'opacité des bilans des banques.

Possibilité de modifier l'utilisation des instruments de renflouement interne en tant qu'instrument de résolution de crise

Le superviseur pourrait obtenir un même pouvoir d'intervention par l'introduction des opérations dites de renflouement interne (bail in). Le groupe se prononce en faveur du développement de ces instruments, nommés par opposition au bail out, qui est le renflouement extérieur (par les Etats et les contribuables) des banques en difficulté.

Selon ce mécanisme, la banque se sauverait en quelque sorte elle-même via ses détenteurs de fonds propres ou de titres de dette. Au moment où les banques semblent devenir bientôt insolvables, une partie de la dette détenue se transforme en capital. Ce principe augmenterait partout la capacité d'absorption des pertes, diminuerait les incitations aux prises de risques et améliorerait la transparence et la définition du prix du risque.

Le commissaire européen Michel Barnier avait déjà dit, en marge du Conseil Ecofin de mars 2012,  tout le bien qu'il pensait de ces instruments. "Avec le bail-in, le sauvetage de la faillite incombe à ses actionnaires et créanciers plutôt qu’aux contribuables par le biais de la participation des pouvoirs publics".

Le groupe considère toutefois qu'il est nécessaire de développer un cadre pour améliorer la prévisibilité de l'usage de ces instruments. Ces instruments peuvent se présenter sous différentes formes : selon que c'est le superviseur ou un critère objectif défini en amont qui décide de la transformation en capital.

Il suggère par ailleurs l'adoption d’un tel modèle en s'appuyant sur les rémunérations du top management "de manière d'aligner au mieux la prise de décision avec les performances à long

Révision des exigences de fonds propres par rapport aux actifs détenus à des fins de transaction et aux crédits hypothécaires

Le groupe d'experts considère qu'il faudrait reconsidérer le traitement des crédits immobiliers. Des ratios maximum entre le prêt et la valeur immobilière ou entre le prêt et les revenus de l'emprunteur pourraient être inclus dans les instruments disponibles afin d'assurer la supervision micro-et macro-prudentielle.

Renforcement de la gouvernance et du contrôle des banques

Le groupe d'experts fait remarquer que "la crise financière a révélé que les mécanismes de gouvernance et de contrôle des banques échouaient à freiner les prises de risque excessives". Les difficultés de gouvernance et de contrôle ont été exacerbées par le passage de l'activité bancaire vers des activités de trading ou liées au marché. Cela a rendu les banques "plus complexes et opaques et, par extension, plus difficiles à gérer". Les superviseurs n'ont alors pas pu surveiller les banques, "en particulier quand il s'agissait de comprendre, surveiller et contrôler la complexité et l'interconnexion des banques".

Pour y remédier, le groupe d'experts a notamment distingué cinq mesures spécifiques :

1. contrôler davantage la capacité du conseil d'administration et de la direction "à gérer et surveiller des banques vastes et complexes" ;

2. promouvoir la gestion du risque : il s'agit "d'augmenter le rang et l'autorité de la fonction de la gestion des risques, de renforcer le mécanisme de contrôle dans le groupe et établir une culture du risque à tous les niveaux des institutions financières". Les législateurs et superviseurs disposent pour ce faire des propositions CRD III et CRD I qu'il s'agit de transposer désormais, notent les experts ;

3. freiner les salaires pour le management et le staff : "Un pas essential pour reconstruire la confiance entre le public et les banquiers est de réformer les schémas de rémunération des banques, de telle sorte qu'ils soient proportionnés à la performance durable à long terme", explique l'étude. Cette dernière s'aligne sur l'exigence du CRD III, à savoir que 50% de la rémunération variable se présente sous forme de parts des banques ou d'autres instruments tels que les bail-in. Les experts avancent également l'idée d'un ratio entre part variable et part fixe de la rémunération (par exemple jusque 50 %) ;

4. améliorer l'information sur les risques : afin de "stimuler la discipline du marché et regagner la confiance des investisseurs", les experts préconisent d'augmenter la qualité, la comparabilité et la transparence de l'information sur les risques. L'information sur les risques devrait ainsi inclure des informations pertinentes, sur la profitabilité des activités notamment, et des rapports financiers détaillés pour chaque entité légale et les principaux métiers ;

5. renforcer les pouvoirs de sanction : les superviseurs doivent avoir des pouvoirs de sanctions effectifs afin de renforcer la responsabilité dans la gestion du risque. Elles devraient inclure des sanctions contre les exécutifs,  comme le bannissement à vie de la profession et la récupération de salaires différés.