Les ministres des Finances de la zone euro se sont retrouvés à Copenhague le 30 mars 2012 pour une réunion qui s’est tenue sous la présidence de Jean-Claude Juncker. Les discussions, informelles, se sont poursuivies parmi les ministres de l’UE et les gouverneurs des banques centrales jusqu’au 31 mars 2012, sous la présidence de la ministre danoise Margrethe Vestager. Le ministre des Finances, Luc Frieden, était donc accompagné d’Yves Mersch, président de la BCL, pour cette occasion.
Les ministres des Finances de la zone euro ont fait le point sur la situation en Grèce, et notamment sur le déroulement de l’opération d’échange des titres de dette grecs. Les autorités grecques ont en effet annoncé avoir prolongé jusqu’au 4 avril la période d’échanges d’obligations relevant du droit non-grec, une décision prise pour laisser aux détenteurs d’obligations une nouvelle opportunité de soumettre leurs titres éligibles à l’échange de dette. Dans une déclaration diffusée le 30 mars 2012, Jean-Claude Juncker souligne au nom de l’Eurogroupe l’attractivité offerte à ses yeux par les conditions de l’échange définies par la Grèce le 24 février dernier par rapport à d’autres alternatives. Le président de l’Eurogroupe appelle donc les détenteurs d’obligations éligibles à participer à l’échange et à contribuer ainsi à la soutenabilité de la dette grecque, qui est dans l’intérêt de toutes les parties. "Nous avons été informés que ne pas procéder à temps au paiement des titres grecs éligibles, émis en droit non grec et qui ne participent pas à l'échange de dettes, ne constitue pas un événement de crédit", souligne-t-il dans sa déclaration.
Les ministres ont aussi examiné les derniers développements financiers et budgétaires en Espagne et en Belgique, le ministre espagnol de l’Economie, Luis de Guindos, ayant notamment présenté le projet de budget de son gouvernement pour 2012. Pour Luis de Guindos, le projet de budget devait montrer "l'engagement du gouvernement espagnol en faveur de l'austérité et de la consolidation budgétaire". De cette manière, "l'Espagne cessera d'être un problème pour l'Union européenne", a-t-il ajouté. Afin de ramener en 2012 son déficit budgétaire de 8,5 % à 5,3 % du PIB, Madrid prévoit un nouvel ajustement budgétaire de 27 milliards d'euros, en plus des 15 milliards déjà décidés fin 2011. Les hausses d'impôts viseront à générer 12 milliards de recettes supplémentaires, les prix de l'électricité et du gaz augmenteront respectivement de 7 % et 5 %. Ces mesures d'austérité avaient été dénoncées la veille lors d'une grève générale des travailleurs espagnols. L'Espagne sera en récession en 2012 et 2013, tandis que le chômage frôle déjà le taux d'un quart de la population active.
Certes, le pays traverse une période "difficile", mais il fait tout ce qu'il est "raisonnablement possible de faire" et c'est la raison pour laquelle le président de l'Eurogroupe s'est dit "moins préoccupé" que d'autres leaders. "L’Espagne montre de la détermination dans ses politiques budgétaires et structurelles", a commenté pour sa part Olli Rehn, membre de la Commission européenne en charge des Affaires économiques et financières, dont les services vont évaluer ce projet de budget dans les jours qui viennent.
Si les ministres avaient à l’ordre du jour la nomination d’un candidat pour un poste à pourvoir au sein du directoire de la BCE, poste pour lequel Yves Mersch, le président de la BCL, est donné comme favori par la presse internationale, ils n’ont toutefois pas encore pris de décision. Cette nomination s’inscrit en effet dans un ensemble complexe de changements - ou créations - de postes en vue, à la présidence de l’Eurogroupe d’une part, Jean-Claude Juncker ayant annoncé qu’il ne souhaitait pas renouveler son mandat à son échéance prévue fin juin, mais aussi à la présidence de la BERD ou encore de l’EMS qui doit être mis en place dans les prochains mois.
Mais le principal sujet de discussions des ministres des Finances de la zone euro, celui en tout cas sur lequel une décision était particulièrement attendue, a porté sur le renforcement de la capacité de prêt du Fonds européen de stabilité financière (EFSF) et du mécanisme européen de stabilité (EMS). Les ministres ont en effet réévalué l’adéquation du volume total des plafonds de prêts de l’EFSF et de l’ESM, qui atteint à l’heure actuelle 500 milliards d’euros, dont 200 milliards font l’objet d’engagements à long terme de l’EFSF, ce qui laisse un volume de prêts de l’ordre de 300 milliards pour l’ESM. Ils avaient été invités à ce faire par les chefs d’Etat et de gouvernement dès le 9 décembre 2011, puis le 2 mars dernier.
Les ministres ont finalement pu s’entendre sur un certain nombre de principes présentés dans une déclaration communiquée dans l’après-midi du 30 mars 2012.
Le capital libéré de l’ESM sera versé plus rapidement que cela n’avait été prévu dans le cadre du traité ESM, dans le respect des procédures nationales. Deux tranches seront donc versées en 2012, la première en juillet et la seconde en octobre. Deux autres tranches seront versées en 2013, et la dernière le sera à la mi-2014. En vertu du traité ESM, le paiement du capital sera accéléré en cas de nécessité, de façon à maintenir un ratio de 15 % entre le capital libéré et l'encours des émissions de l’EMS.
A compter de juillet 2012, l’ESM sera le principal instrument de financement de nouveaux programmes, tandis que l’EFSF restera actif dans le cadre du financement des programmes déclenchés avant cette date. Pendant une période de transition qui va durer jusqu’à la mi-juillet 2013, il pourra s’engager dans de nouveaux programmes de façon à assurer une capacité de prêt minimale totale de 500 milliards d’euros.
La capacité de prêt combinée de l’ESM et de l’EFSF sera portée à 700 milliards d’euros. A partir de mi-2013, le volume maximal de prêts de l’ESM sera de 500 milliards d’euros, tandis que la capacité combinée des deux fonds restera de 700 milliards d’euros.
49 milliards d’euros provenant du mécanisme européen de stabilité financière, créé en même temps que l’EFSF, et 53 milliards d’euros provenant des prêts bilatéraux octroyés à la Grèce, ont déjà été versés pour soutenir les pays concernés par des programmes d’aide.
En tout, la zone euro mobilise donc un pare-feu financier d’environ 800 milliards d’euros, soit plus de 1000 milliards de dollars US.
Les ministres rappellent par ailleurs, dans leur déclaration, l’engagement pris par les Etats membres de la zone euro d’apporter 150 milliards d’euros de contributions supplémentaires au FMI.
Rappelant les "progrès considérables réalisés au cours des 18 derniers mois" par la zone euro pour faire face à la crise de la dette souveraine – et les ministres citent les efforts menés en matière de consolidation budgétaire et de réformes structurelles, la mise en œuvre des programmes d’ajustement irlandais, portugais et grec, l’accord trouvé sur le second programme grec et l’opération d’échange de la dette, ou encore l’amélioration de la gouvernance de la zone euro via le renforcement du pacte de stabilité et de croissance, la nouvelle procédure de déficit macro-économique, le pacte euro plus et le pacte budgétaire introduit par le nouveau traité sur la stabilité, la coopération et la gouvernance dans l’UEM -, ils se félicitent du "pare-feu robuste" qui a désormais été établi, venant compléter la stratégie globale.
La zone euro attend désormais un geste des pays du G20 et du Fonds monétaire international (FMI). "Il est temps d'accroître les ressources du FMI et nous devons nous mettre d'accord à l'échelle mondiale", a lancé Margrethe Vestager le 31 mars 2012. "L'idée est d'avoir un double pare-feu, une réponse européenne et une réponse internationale coordonnée par le FMI avec l'augmentation de ses ressources", a en effet expliqué le ministre français des Finances, François Baroin. Le renforcement du pare-feu de la zone euro avait été demandé par les partenaires du G20, par le FMI, mais aussi par l’OCDE. "Nous avons répondu à nos partenaires du G20, nous espérons que cette décision va ouvrir la voie à un accroissement des ressources du FMI en avril", a estimé Olli Rehn. Abondant dans le même sens, Jörg Asmussen, membre du directoire de la BCE, a estimé que les Européens "avaient accompli leur devoir" et que la balle était désormais dans le camp du FMI. La directrice générale du FMI, Christine Lagarde, a d’ailleurs salué une décision qui "soutiendra les efforts" de son institution "pour accroître ses ressources disponibles".
Les ministres des Finances de l’UE ont poursuivi le débat sur l’instauration d’une taxe sur les transactions financières (TTF) en Europe, dont ils avaient discuté lors d’une réunion formelle de l’Ecofin de la mi-mars 2012.
Le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, a en effet proposé de procéder par étapes afin de parvenir à un consensus qui semble difficile à imaginer à l’heure actuelle. Il a mis sur la table un document proposant "une étape intermédiaire" qui consisterait à "s'inspirer du droit de timbre britannique", une taxe prélevée sur certains transferts d'actions, ainsi que de la toute récente "taxe française sur les transactions financières", qui s'appliquera principalement aux actions des sociétés françaises dont la capitalisation dépasse un milliard d'euros. La solution proposée par l'Allemagne "entraînerait une taxe sur toutes les transactions impliquant des actions de sociétés cotées en Bourse", mais "ne marquerait pas la fin des négociations" en vue d'une taxe qui s'appliquerait aux obligations et aux produits dérivés.
Si la proposition allemande de procéder par étapes, a rencontré un accueil favorable de la part d’un certain nombre de ministres, il ne semble pas pour autant qu’elle fasse l’unanimité.
Le ministre suédois des Finances, Anders Borg, a ainsi estimé qu'il serait "préférable d'abandonner la proposition de la Commission et de trouver une solution pragmatique", jugeant que se contenter d'un droit de timbre serait "moins coûteux pour l'économie et n'aurait pas d'effet négatif sur les marchés financiers". Il a insisté sur la nécessité de trouver une solution "acceptable par Londres", où transitent 80 % des transactions financières en Europe. "Le Royaume-Uni est toujours très réticent à l'idée d'une taxe sur les transactions financières quelle qu'elle soit, mais il applique un droit de timbre, donc coordonner la taxation est quelque chose d'envisageable", a souligné le ministre suédois.
La ministre danoise des Finances a souligné à l’issue de la réunion que c'était dans la recherche d'"alternatives" que son pays entendait prioritairement diriger les discussions, car "c'est là que l'atmosphère est la plus constructive". En attendant, Woflgang Schäuble a convié d'autres pays, y compris parmi les opposants à la taxe, à participer à "un groupe de travail" pour avancer sur la question. Une première réunion d'experts devrait avoir lieu la semaine prochaine, et le sujet pourrait être abordé lors de l’Ecofin du mois de mai.
Les ministres ont par ailleurs débattu d'une proposition de la Commission européenne visant à renforcer la concurrence pour les agences de notation. L’idée du commissaire Michel Barnier était de remédier au manque de concurrence et à l’existence de conflits d’intérêts dans les services de notation par un système de rotation des agences, c’est-à-dire une obligation de changer régulièrement d’agence. Il semble que la proposition de Michel Barnier ne fasse pas l’unanimité. "Le marché des agences de notation est très réduit, il faut donc s'assurer que la rotation puisse réellement fonctionner", a expliqué Marghrete Vestager. Michel Barnier s’est dit ouvert à d’autres solutions, restant toutefois "ferme sur le principe qu'il faut plus de concurrence et de diversité".
Autre sujet à l’ordre du jour, la résolution de crises dans le secteur bancaire, sur lequel la Commission européenne entend proposer bientôt une "boîte à outils de gestion de crise". Le principe serait de s'assurer que les autorités aient le pouvoir d'intervenir le plus tôt possible afin de ne pas laisser les problèmes s'aggraver de manière irréparable.
Michel Barnier a présenté ses idées, annonçant une meilleure identification des risques, grâce aux nouveaux comités transnationaux de supervision et de résolution qui seront créées, mais aussi des mesures préparatoires et préventives, telles que des obligations d'avoir en place des plans de restructuration et de résolution ("living wills" ou "dispositions testamentaires") et des pouvoirs pour les autorités les autorisant à obliger les banques à faire des changements dans leur structure ou leur organisation, quand de tels changements sont nécessaires. Mais le commissaire envisage aussi de doter les superviseurs de pouvoirs leur permettant de prendre des mesures rapides pour remédier aux problèmes en amont tels que le pouvoir de changer les directeurs. Michel Barnier aimerait encore proposer des outils de résolution permettant aux autorités de prendre les mesures qui s'imposent pour gérer une défaillance bancaire de manière ordonnée, lorsqu'une défaillance ne peut être évitée. Michel Barnier entend ainsi promouvoir notamment le système de "bail in", un mécanisme de recapitalisation d'une banque à travers la réduction de certaines de ses dettes. Cela permet par exemple de viabiliser une institution menacée de défaillance en lui permettant de continuer à prester des services essentiels afin de protéger sa stabilité financière. La Commission a lancé des discussions avec les parties prenantes afin de s’assurer du bon calibrage de ses propositions notamment en matière de bail-in.
Les ministres ont demandé à la Commission de proposer rapidement ses propositions finales pour la résolution de crises, ce que la Commission s'est engagée à faire dès que ces dernières discussions techniques seront finalisées, et à temps pour le G20 de juin. Comme l’a rapporté Michel Barnier à l’issue de la réunion, il y a aussi eu un consensus sur le besoin d'inclure la possibilité de bail-in dans la proposition finale.