Le blocage de la nomination d’Yves Mersch au directoire de la BCE continue de susciter l’attention de semaine en semaine.
Le 1er octobre 2012, l’AFP diffusait ainsi une dépêche selon laquelle les dirigeants des groupes politiques du Parlement européen, qui devaient se réunir à huis clos le lendemain, pourraient décider de "demander un avis juridique sur les avantages d'une action en justice et ses chances de succès" pour protester contre l’absence de femmes au directoire de la BCE.
La présidente de la commission des affaires économiques, Sharon Bowles (ADLE) a en effet confirmé que l’audition d’Yves Mersch ne devrait pas avoir lieu d’ici au Conseil européen des 18 et 19 octobre. Comme l’avis du Parlement européen n’est que consultatif, les Etats pourraient passer outre, une "tactique" à laquelle semble s’attendre Sharon Bowles, qui reconnaît que c’est leur droit, mais qui souligne que c’est aussi celui du Parlement européen de saisir la Cour de Justice.
L’eurodéputée Sylvie Goulard (ADLE), qui fait figure de meneuse dans cette bataille pour la parité, a pour sa part développé ses arguments dans un entretien à Europolitique publié le 2 octobre 2012.
Elle exprime son inquiétude à l’égard de la lettre adressée par Herman Van Rompuy à Martin Schulz. Ce qu’elle lit dans ce courrier, c’est que "M. Van Rompuy admet quasiment que les femmes et la démocratie, ça attendra". Pourtant, elle rappelle que le Conseil a été saisi dès le mois de mai 2012 de la question de la représentativité de la BCE, institution européenne clé dont "les décisions ont un impact extrêmement important sur les citoyens et les Etats membres". Son directoire doit donc être composé de personnes compétentes et représentatives de la société, dans sa diversité, relève l’eurodéputée. Conséquence, "le Parlement ne peut pas légitimer le choix de candidats sur base d'arrangements qui bafouent les principes fondamentaux de l'Union, notamment l'égalité hommes-femmes".
Sylvie Goulard rejette par ailleurs l'argument selon lequel la gravité de la crise ne permet pas de s'attaquer à l'égalité hommes-femmes maintenant. "Si nous ne n'en tenons pas compte au moment des nominations, ne nous étonnons pas ensuite que les citoyens ne se sentent pas proches de l'Union", met en garde l’eurodéputée pour qui cette affaire montre "le décalage entre les discours et les actes".
Lorsqu’elle se voit demander ce qu’elle attend du Conseil, Sylvie Goulard répond qu’elle a "confiance en Jean-Claude Juncker qui est un grand Européen". D’après elle, le Conseil a fait une erreur d'appréciation en sous-estimant l'importance du sujet, mais il peut très bien, affirme-t-elle, revenir sur sa décision et choisir une femme. Car, souligne-t-elle, "juridiquement, le Parlement ne peut pas bloquer la procédure". "La balle est donc dans le camp des États et il en va de leur responsabilité politique : soit ils assument un minimum d'équilibre hommes-femmes, soit ils considèrent que toute cette affaire n'est pas bien grave et que les femmes n'ont qu'à se taire", conclut Sylvie Goulard. La veille, elle avait expliqué à l’AFP que le problème était de savoir "à quoi sert le Parlement européen dans cette affaire". "Est-ce qu'on est là pour donner notre avis ou pour mettre un coup de tampon sur une décision déjà prise" par les Etats ?" Telle est à ses yeux la problématique.
Le journaliste lui demandait toutefois aussi si le Parlement européen était "suffisamment soudé pour mener cette bataille". Sylvie Goulard rapporte qu’au départ, en mai, il y avait unanimité des groupes politiques, comme en août pour le report de l'audition. "Il y a toujours une forte majorité en ce sens, seul le groupe PPE s'étant désolidarisé", confie-t-elle, consciente que "cela peut changer".
Comme un écho aux désaccords qu’il peut y avoir au Parlement européen sur cette question, l’eurodéputé luxembourgeois Robert Goebbels adressait le même jour à Sylvie Goulard et Rachida Dati, eurodéputée PPE, une lettre ouverte pour le moins acerbe.
A ses yeux, la "bataille féministe" que mènent ces eurodéputées "n’est pas très crédible". Il les invite à veiller à ce que "la parité soit d'abord réalisée au niveau des banques centrales nationales", pointant le fait qu’il n’y a actuellement que 17 % de femmes qui occupent des fonctions dirigeantes dans les 27 banques centrales. "Comme les membres du Directoire de la BCE doivent disposer d'une expérience professionnelle reconnue dans le domaine monétaire et bancaire, il est difficile de faire monter des femmes au Directoire, qui sont manifestement sous-représentées au niveau national", observe l’eurodéputé.
Robert Goebbels craint que le blocage de la nomination d’Yves Mersch ne finisse "par rendre un mauvais service au Parlement européen". L’eurodéputé souligne en effet que le Parlement européen n’est que consulté sur cette nomination, et que le Conseil européen, "las de la tactique du toujours plus de pouvoirs pour le Parlement européen", en arrive à passer outre l’avis du Parlement européen.
Du côté de la BCE, Jörg Asmussen était cité dans plusieurs médias datés du 2 octobre 2012. A ses yeux, Yves Mersch n’a pas à payer pour la controverse portant sur la représentation des femmes à la BCE. "Dans la situation actuelle difficile, ce serait bien que nous soyons à nouveau au complet et quelqu’un ayant, comme Yves Mersch, une orientation claire vers la stabilité nous aiderait beaucoup par ses compétences et son expérience". Mais il aussi soufflé une idée qui pourrait désamorcer la controverse en soulignant que la mise en place de la surveillance bancaire européenne allait offrir une bonne opportunité de nommer plus de femmes à des postes clefs.
Le 4 octobre, la Börsenzeitung a ainsi fait état de "signes de bonne volonté en vue d'une solution". D’une part, le quotidien observe que les conservateurs manifestent de plus en plus leur mécontentement à l’idée de ce blocage, comme en témoignent les déclarations de Werner Langen qui rappelle que l’argument de la parité n’a pas été invoqué lorsqu’il s’est agi de nommer les candidats allemand et français au directoire. D’autre part, la rédaction note des signaux de la volonté de certains sociaux-démocrates et verts de trouver une solution avec le Conseil. Le député vert Sven Giegold a ainsi salué la proposition de Jörg Asmussen de profiter de la mise en place de la surveillance bancaire européenne de nommer plus de femmes. Il y voit en effet "une idée concrète et raisonnable".