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Traités et Affaires institutionnelles
Conférence de rentrée académique du Programme Gouvernance européenne 2012 - Regards croisés sur le parlementarisme européen avec Charles Goerens, Julian Priestley, Stephen Clark et Olivier Costa
10-10-2012


Pour sa conférence de rentrée académique, le 10 octobre 2012, le programme Gouvernance européenne de l'Université de Luxembourg avait invité Charles Goerens, l’eurodéputé libéral luxembourgeois, Sir Julian Priestley, l’ancien secrétaire général du Parlement européen, Stephen Clark, le directeur de la communication Internet du Parlement européen et Olivier Costa, chercheur au CNRS et enseignant à l’Institut d’études politiques de Bordeaux, à échanger leur vision respective du parlementarisme européen. L’idée était d’associer praticiens et chercheurs pour analyser l’état de la démocratie représentative au niveau de l’Union européenne, alors même qu’elle est engagée dans une grande réforme de sa gouvernance économique et fiscale. La discussion était animée par Philippe Poirier, professeur à l’université et un des piliers du programme.

Le contrôle budgétaire

La première question abordée fut celle du rôle des différents mécanismes parlementaires dans le contrôle budgétaire, qui est le noyau dur des compétences des parlements, et ce dans un contexte où la gouvernance européenne a changé depuis 2008, avec une forte intrusion des exécutifs dans les processus de décision à tous les niveaux.

Pour Charles Goerens, la situation est devenue d’autant plus particulière que même les bons du Trésor qui étaient avant 2008 les placements les plus sûrs sont devenus "toxiques". "Le primat du politique a été sacrifié au primat des Charles Goerens, membre du Parlement européen (ALDE), le 10 oc tobre 2012, lors de la conférence de rentrée académique 2012 du Programme "Gouvernance européenne" de l'Université du Luxembourgmarchés", a constaté amèrement le parlementaire. S’y ajoute que 80 % du budget de l’Union a transité par les autorités nationales des programmes européens, ce qui rend le contrôle des dépenses budgétaires de plus en plus difficile, car tant les parlements nationaux que le Parlement européen ne se sentent plus vraiment concernés. Une coopération entre ces deux pôles du parlementarisme européen serait donc une bonne chose, même s’il lui faut ici de nouveau constater qu’ils manquent de ressources pour garantir un contrôle budgétaire efficace. Ce qui ressort de la période actuelle, c’est pour lui un déplacement de l’équilibre des pouvoirs vers les gouvernements nationaux. Pour contrer ce mouvement, un parlement européen de la zone euro peut, malgré certaines critiques, être imaginé.

Pas d’accord, a tout de suite interjeté Julian Priestley, l’ancien secrétaire général du Parlement européen. D’abord, le Parlement européen exerce bel et bien un contrôle budgétaire sur les politiques de l’Union. A titre Julian Priestley, ancien secrétaire général du Parlement européen, le 10 oc tobre 2012, lors de la conférence de rentrée académique 2012 du Programme "Gouvernance européenne" de l'Université du Luxembourgd’exemple, il cite le travail législatif du Parlement européen qui a modifié la mouture initiale du six-pack. Les parlements nationaux par contre s’intéressent de manière inégale à l’agenda de l’Union, les uns plus, comme ceux du Danemark et de la Slovaquie qui formulent avant chaque Conseil des mandats presqu’impératifs pour leur délégation gouvernementale, mais d’autres moins. Envisager une assemblée composée d’élus nationaux pour le contrôle budgétaire serait d’autre part revenir à une situation d’avant 1979, quand le Parlement européen a été élu la première fois au scrutin universel. Un Parlement de la zone euro créerait "une belle pagaille", car déjà maintenant personne ne comprend comment l’UE prend ses décisions. Si un Parlement européen à deux échelles venait à être créé, ce serait pire. Ce serait aussi contre l’esprit des traités qui stipulent clairement que l’euro est la monnaie de l’Union et que rejoindre l’UEM est un objectif de chaque Etat qui adhère. Il faut donc pour Julian Priestley "garder l’unicité du Parlement européen". 

Pourtant, le vieux routier de la politique européenne sait qu’il y a "un problème de perception démocratique". Il y a ceux qui exigent « un mouvement subit vers le fédéralisme », comme les leaders vert Daniel Cohn-Bendit et libéral Guy Verhofstadt, un saut qui se heurterait immédiatement à l’opposition de la France. Mieux vaut donc, comme on le fait depuis longtemps, "avancer par mesurettes", pas à pas et aussi loin que possible à chaque fois, notamment en prenant des initiatives pour relancer la croissance. Envisager un nouveau traité constitutionnel est le meilleur moyen "de se casser la figure".         

Stephen Clark, directeur de la communication Internet du Parlement européen, le 10 oc tobre 2012, lors de la conférence de rentrée académique 2012 du Programme "Gouvernance européenne" de l'Université du LuxembourgPour Stephen Clark, tout le monde pense à l’Europe, ce qui constitue déjà une chance pour la campagne électorale des élections européennes de 2014. Car tous les systèmes sont sous pression, ce qui a des conséquences pour les processus démocratiques. C’est de là qu’a surgi l’idée au sein des grands groupes politiques d’avoir une tête de liste européenne qui serait candidat(e) au poste de président de la Commission. Le risque est celui d’une plus grande fragmentation politique du Parlement européen.

Pour le politologue Olivier Costa, par contre, le Parlement européen n’a joué aucun rôle dans la gestion de la crise Olivier Costa, de l'IEP de Bordeaux, le 10 oc tobre 2012, lors de la conférence de rentrée académique 2012 du Programme "Gouvernance européenne" de l'Université du Luxembourgde l’euro. Mais les doutes qui se font jour en Europe peuvent aussi favoriser "des sorties fédérales", car "il ne faut pas tout laisser aux économistes". Les propositions fédéralistes qui circulent laissent néanmoins ouvertes des questions essentielles comme : Quelle fédération ? Quel budget ? Quelles compétences dans le domaine social ? Un budget qui capte 1 ou au moins 5 % du PIB de l’UE, ce qui serait un minimum pour une fédération ? Quelles ressources propres : TVA, TTF, une taxe énergie ? Quelles institutions ? Cela ne pourra plus être le Conseil européen, et pas plus la Commission, encore moins le couple franco-allemand. Le Parlement européen serait l’institution la plus apte à donner un sens à l’entreprise. Et de décliner plusieurs options…

Tout cela semble oiseux à Julian Priestley, car l’avion est en train de s’écraser et l’on n’a pas le temps de le réparer. Les Etats membres qui ont ou auront dans un futur immédiat des difficultés sont de plus en plus nombreux, et ce n’est pas une discussion sur une fédération européenne qui va calmer les marchés. Ce qu’il faut, selon le militant travailliste, c’est prendre des mesures économiques pratiques qui donnent une marge aux pays en crise que "l’austérité" étouffe. De nouvelles règles pour les marchés financiers, de nouveaux investissements avec la BEI à bord, ce ne sont pas là des solutions institutionnelles dont la recherche ouvrirait une boîte de Pandore. Aucun nouveau traité ne passera de toute façon tant que les conditions économiques restent si mauvaises.

Ce que Julian Priestley préconise ne suffit pas à Charles Goerens, pour qui l’UE doit être guidée par une vision, et non pas par des bricolages intergouvernementaux qui ne sont ni satisfaisants, ni efficaces, sans compter qu’ils ne sont pas soumis au contrôle parlementaire. Aux yeux de Charles Goerens, Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen n’est, avec le Conseil européen, responsable devant personne. Ici, le Parlement européen devrait avoir une fonction de contrôle, et un "saut fédéral" rétablirait l’égalité entre les Etats membres qui sont des Etats souverains. Il est soutenu dans son argumentation par Olivier Costa qui comprend le rejet par les Grecs des "diktats" issus d’une approche intergouvernementale. Le chercheur est convaincu que les citoyens comprennent tout à fait les enjeux politiques de nouvelles réformes institutionnelles, qu’il s’agira d’un exercice qui sera autre chose que de l’art pour l’art, mais qu’il sera nécessaire pour la légitimité démocratique du projet européen.

Plus de pouvoirs pour le Parlement européen dans un contexte de prime abord défavorable ?

Le professeur Philippe Poirier, le 10 oc tobre 2012, lors de la conférence de rentrée académique 2012 du Programme "Gouvernance européenne" de l'Université du LuxembourgA ce moment, Philippe Poirier a posé une deuxième question. Partant de trois faits, à savoir que depuis la première élection du Parlement européen au suffrage universel en 1979, le taux de participation des électeurs était continuellement en recul, que les partis politiques européens restaient méconnus voire inconnus et que parallèlement, des formes d’action collective concurrentes de la représentation parlementaire démocratique se développaient continuellement, le politologue a voulu savoir comment le Parlement européen peut prétendre à plus de pouvoirs dans un tel contexte.

Pour Julian Priestley, les élections dans l’UE sont des élections qui s’effectuent de fait entre partis politiques qui négocient après le scrutin la distribution de leurs bénéfices respectifs en termes de postes. Dans ce contexte, les partis politiques européens sont des alliances basées sur le plus petit dénominateur commun. Mais cela doit changer, convient Julian Priestley, et ces partis politiques européens devraient devenir de vrais partis politiques. Pour les grands partis politiques européens traditionnels, les élections au Parlement européen de 2009 ont constitué une vraie catastrophe.

Lui-même est convaincu que l’idée d’aller aux élections européennes de 2014 avec un candidat tête de liste avec un programme distinct de celui des autres partis et qui serait de fait le candidat à la présidence de la Commission devrait conduire à un vrai débat sur l’UE dans les Etats membres au cours de la campagne électorale. Elle pourrait se faire à travers de vraies élections primaires au sein des grandes familles politiques. Le poste de président de la Commission s’en trouverait valorisé et le débat induirait un processus d’européanisation sur des sujets qui divisent. Pour lui, « les élections européennes de 2014 devraient être le grand rendez-vous européen avec la population ».

Stephen Clark vient le soutenir ici pour expliquer que ce qui intéresse les citoyens, c’est d’abord de vrais choix, et puis de savoir qui a perdu ou gagné, alors que cela n’a pas été jusque là un enjeu des élections européennes et que les citoyens ont ressenti les partis comme interchangeables.

Mais même si toutes ces conditions devaient être remplies, pense Olivier Costa, "il serait illusoire de croire que les citoyens puissent aimer l’UE".