Le 16 novembre 2012, l'économiste en chef de la Banque centrale du Luxembourg (BCL), Jean-Pierre Schoder a présenté l'avis de la BCL sur le projet de budget 2013. Le texte commence par passer en revue le projet en lui-même pour mieux, ensuite, aborder le défi de durbilité des finances publiques auquel est confronté le Luxembourg à moyen terme. La BCL propose les moyens de parvenir à consolider le budget, tant au niveau des recettes que des dépenses. Il met ensuite en exergue le retard évident du Luxembourg vis-à-vis de ses obligations en termes de gouvernance européenne.
L'économiste en chef de la BCL constate qu'en 2013, le projet de budget de l'Etat central affiche de nouveau des dépenses en progression plus rapide (+ 6,1 %) que les recettes (+4,8 %) par rapport à l'exercice précédent, ce qui porte le déficit envisagé pour 2013 à 558,4 millions d'euros, soit un déficit "nettement supérieur" à celui de 2012 (395,8 millions). La BCL fait remarquer au passage que si l'on prend en compte comme elle le fait les dépenses effectives des fonds et non leurs dotations, option retenue de son côté par le gouvernement, le déficit de l'Etat central serait le double de celui présenté (1,041 milliards d'euros, soit 2,3 % du PIB).
Les autorités locales connaissent un budget en équilibre, tandis que la BCL est plus optimiste que le gouvernement pour le budget de la sécurité sociale qui devrait plutôt progresser de 1,6 % que les 1,4 % mentionnés dans le projet de loi. Toutefois, point de réjouissance dès lors qu'on dépasse la vision à court terme: l'excédent de la sécurité sociale est "voué à disparaître d'ici quelques années".
Le déficit de l'ensemble des administrations publiques devrait atteindre 1,9 %, en raison de la décélération de l'économie et de la croissance importante des dépenses publiques.
La BCL juge par ailleurs le scénario du gouvernement "assez optimiste" pour ce qui est des prévisions de croissance qu'il fixe à 1,7 % du PIB en 2013. La BCL table plutôt sur 1 %. Pour cause, le Luxembourg reste touchée par "un environnement économique pas particulièrement bon", selon les termes employés par Jean-Pierre Schoder. "La situation conjoncturelle au Luxembourg s'est sensiblement détériorée durant l'année et ces derniers mois en raison de la dégradation du contexte international", explique-t-il, mentionnant l'annonce imminente d'une troisième dégradation consécutive du PIB trimestriel dans la zone euro.
"Les indicateurs de confiance des industriels et de moral des consommateurs piquent du nez de manière importante et continue", en raison de l'absence de perspective d'un développement positif de la croissance en 2013.
"Dans un contexte économique plus large, le Luxembourg continue de souffrir des impacts de la crise financière et économique". Le niveau de son PIB reste inférieur à celui enregistré avant la crise. Dans un scénario où le monde n'aurait pas connu de crise, le PIB du Luxembourg serait de 16 points de pourcent supérieur. De surcroît, "la crise risque de se manifester à l'avenir", prévient Jean-Pierre Schoder. "L'expérience historique montre qu'une crise économique doublée d'une crise financière se caractérise par une perte de production difficilement récupérable et une croissance difficilement rejoignable." Pour la BCL, la crise, au lieu d'être seulement conjoncturelle, s'est finalement révélée être structurelle.
Dans ce contexte, le projet de budget démontre "un effort louable" mais "ce n'est pas du tout suffisant" aux yeux de Jean-Pierre Schoder. L'impact net des mesures prises par le gouvernement dans son projet budget, et ce par rapport au scénario à politique inchangée de la BCL, est chiffrée à 731 millions d'euros dont 188 millions du seul fait des amendements annoncés le 6 novembre 2012. Mais au vu du déficit élevé et des effets de la crise, le gouvernement devra obtenir de meilleurs résultats afin d'assurer la soutenabilité des finances. La BCL consacre une grande partie de son rapport à lui indiquer le chemin à prendre.
Jean-Pierre Schoder souligne la "dégradation tendancielle de la situation budgétaire". D'un taux de croissance de 4 % en 2007, le Luxembourg ne devrait connaître qu'un taux de 2 % en 2012, soit six points de pourcent en moins, tandis que la différence sur la même période pour l'Allemagne n'est que de – 0,4 %. "En 2012, ce devrait être la première année depuis que les budgets sont calculés selon le SEC 95, que le solde publique allemand devrait être meilleur que celui du Luxembourg." Ce serait le reflet de "la perte en quelques années d'un important avantage comparatif permettant de garantir la stabilité fiscale du pays. Cette même année 2012 devrait par ailleurs être celle du plus important déficit de l'administration centrale (à 3,6 %) depuis 1995.
Pris sur la période 2012-2014, le développement économique du Luxembourg ne devrait pas être meilleur. Les dépenses de l'administration centrale devraient avoir augmenté de 10,6 %. Pour le volet des recettes, il y a une différence "un peu plus importante", entre les projections du gouvernement et celle de la BCL. Alors que le gouvernement estime qu'elles progresseront de 12 %, la BCL anticipe une taxation indirecte "moins productive que le gouvernement ne l'estime" qui devrait se limiter à 10 %.
Pour 2013, le budget de l'administration centrale atteindrait 2,6 % et non 2,3 % comme le pense le gouvernement. A l'issue de l'exercice 2014, la dette du pays atteindrait 25 % de son PIB.
La réforme du système de pensions qui devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2013 est "un pas dans la bonne direction" selon la BCL, mais ne sera manifestement pas suffisante. La BCL esquisse trois scénarios pour anticiper la situation future des finances publiques, selon que les gouvernements successifs n'auront entrepris aucune réforme, cette seule réforme ou alors plusieurs réformes des pensions.
La BCL a pris en compte les travaux du groupe de travail européen sur le vieillissement, notamment pour ce qui est de la fixation du taux moyen de croissance annuelle de 1,7 % mais aussi pour le calcul de l'augmentation des dépenses. Avec une hausse des dépenses totales de pension de 9,4 points de PIB, dans le cas d'un ajustement partiel des pensions aux salaires réels à partir de 2019, le Luxembourg sera, selon les travaux du groupe de travail, le pays de l'Union européenne confronté à la plus forte progression de ces dépenses de 2010 à 2060.
Dans le premier scénario, celui où aucune réforme ne serait entreprise, les dépenses des systèmes de pensions augmenteraient de 16 % du PIB et leur déficit accuserait alors un endettement chiffré à 350% du PIB en 2058. Jean-Pierre Schoder concède que "ce scénario est irréaliste", dans la mesure où une réforme est en cours. Toutefois, ce chiffre vertigineux "montre l'ampleur du défi" auquel est confronté l'Etat.
Le deuxième scénario reprend la réforme prévue par le gouvernement, qui doit être mise en œuvre à partir du 1er janvier 2013. Elle contient des aménagements tels la pension à la carte et la suppression de l'allocation de fin d'années. Dans ce cas précis, l'endettement des systèmes de pension atteindrait 250 % du PIB en 2060. Le scénario renforcé, qui prévoit en plus de cette réforme l'alignement des pensions sur le salaire réel, limiterait l'endettement à 150 % du PIB.
Ainsi, même dans le meilleur des scénarios de réforme des pensions, la situation resterait précaire. C'est pourquoi il faudrait également agir au niveau du gouvernement central le plus tôt possible. Sur ce thème, la BCL écrit deux scénarios selon que le gouvernement suivrait ses recommandations déjà émises en termes d'objectif budgétaire pour 2015, à savoir un excédent budgétaire de 1,15 % adapté pour "une petite économie empreinte aux chocs extérieurs, ou respecterait son propre but, se contentant de 0,5 % de croissance puis atteignant les 1,15 % en 2018. La stratégie gouvernementale requerrait d'ici 2018, malgré les apparences, un effort finalement plus important que celui exigé par la BCL, 3,19 milliards d'euros contre 3,12 milliards d'euros
La perspective de l'endettement des systèmes de pension serait d'autant plus alarmante que le pays va devoir se passer d'un certain nombre de recettes, à commencer par celles tirées du tourisme à la pompe qui devraient "s'étioler sur cet horizon de simulation". De même, les recettes tirées des sociétés, bien plus importantes dans le budget du Luxembourg que dans les budgets des autres pays de l'UE, vont également s'amoindrir, "compte tenu des perturbations au niveau du secteur financier", de telle sorte que le Luxembourg rejoindra le niveau moyen des pays européens.
La BCL a exploré quelles étaient les marges de manœuvre pour consolider le budget, du côté des dépenses et du côté des recettes. Il faut pour se guider "s'interroger sur ce qui est le plus propice, le plus profitable à l'économie", prévient Jean-Pierre Schoder.
Ce sont surtout les dépenses qui, selon l'analyse de la BCL, recèlent les plus larges marges de manœuvre pour consolider le budget.
Les marges sur les recettes sont limitées. "De nombreuses études internationales arrivent à la conclusion qu'il faut privilégier les taxes sur la consommation et sur la propriété car les impacts négatifs sur la croissance potentielle sont moins durs."
Pour ce qui est de la fiscalité et de la parafiscalité sur les personnes physiques, elles sont déjà supérieures à la moyenne, avant la hausse de 1 % de la tranche la plus élevée de l'impôt sur le revenu décidée par le gouvernement.
Par ailleurs, augmenter les cotisations sociales augmenterait le coût du travail. Or, la BCL, qui observe "un dérapage des coûts salariaux unitaires (CSU) sans équivalent parmi les autres pays de l'Union européenne", juge que le coût du travail ne peut plus augmenter sans risque de délocalisation. Le rapport pointe par ailleurs "la nette dégradation des soldes budgétaires observée depuis le début de la crise et ensuite d'un net fléchissement de la productivité apparente réelle du travail, qui s'est détériorée de 10 % de 2007 à 2011".
Pour ce qui est du taux d'imposition des entreprises, la BCL marque une certaine ouverture et considère comme "une idée tout à fait défendable", le choix fait par le gouvernement d'introduire un impôt forfaitaire minimum.
La BCL considère finalement que pour la taxation sur les personnes physiques comme pour celle visant les entreprises, il vaut mieux agir sur les dépenses fiscales, entendues comme l'ensemble des possibilités de déductions fiscales possibles. De telles actions ont l'avantage de ne rien changer au taux nominal.
Il faut pour cela se demander si chacune d'entre elles remplissent bien leur objectif auquel elles sont assignées. Jean-Pierre Schoder nomme notamment la déductibilité des intérêts hypothécaires comme l'une de ces dépenses fiscales sur lesquelles le gouvernement dispose d'une marge de manœuvre. Mais il prévient qu'il faut en amont, "faire un screening spécifique", "auquel le gouvernement s'est attelé", fait-il d'ailleurs remarquer.
La BCL considère aussi que le gouvernement peut agir sur la taxe sur la valeur ajoutée. Certes, "la marge n'est pas énorme", mais en la matière, le Luxembourg a le taux de TVA le plus bas de toute l'Union européenne et ses voisins immédiats affichent des taux bien supérieurs au sien. Le chef économiste envisage une hausse de 1 à 2 % qui permettrait à la fois de "rester compétitifs" et "aurait peu d'impact en matière de ventes et d'achats au Luxembourg". Il fait également remarquer qu'une telle hausse n'a de sens que si elle est opérée dans une période comme l'actuelle, où règne un régime de modulation de l'index. Cette hausse de la TVA aurait aussi pour vertu de "compenser les pertes de TVA sur le commerce électronique". Une hausse de l'ensemble des taux permettrait d'engranger des revenus supplémentaires de l'ordre de 0,5 % du PIB.
La deuxième réelle marge de manœuvres repose sur une autre taxe où le Luxembourg figure comme le plus généreux de l'UE : l'impôt foncier. Celui-ci s'élève à 0,1 % à la faveur de l'absence d'ajustement aux prix depuis 1941. La moyenne européenne se situe à 1 % et même 1,4 % en moyenne pour les pays voisins.
La BCL ouvre bien moins de pistes pour ce qui est de la réduction des dépenses. Elle renvoie à un screening précis et détaillé de tous les moyens d'action, même si une réduction linéaire et non pas par secteur pourrait se défendre tant il serait urgent d'agir à ce niveau-là. En effet, à la question d'un journaliste qui lui demandait à partir de quand le gouvernement devrait s'attacher à réduire les dépenses de l'Etat, Jean-Pierre Schoder : "Il ne reste plus de temps pour agir."
La BCL a donc réalisé une comparaison entre le Luxembourg, ses quatre plus proches voisins et la moyenne de la zone euro, quant aux dépenses de leur administration publique. Les données ont été calculées en parités de pouvoir d'achat tandis qu'elles ont également été corrigées pour les transferts sociaux exportés vers les frontaliers et les investissements en transport destinés à ces derniers. Le résultat est étonnant : "Le Luxembourg effectue presque le double de dépenses que celles qui sont effectuées en moyenne par les Etats dans la zone euro." Autrement dit, quand le Luxembourg dépense 26 000 euros par habitant et par an, la zone euro en dépense en moyenne 13 500.
Pour Jean-Pierre Schoder, c'est la preuve évidente qu'il y a lieu d'agir en priorité sur ces dépenses. "C'est là que l'effort doit se réaliser et que le gouvernement s'est attaché à faire des économies à partir de 2014", a-t-il commenté.
Enfin, la BCL consacre un chapitre de son avis à la gouvernance européenne et les exigences en matière budgétaire incluses dans le TSCG ou pacte budgétaire, la proposition de règlement établissant des disposition communes pour le suivi et l'évaluation des projets de plans budgétaires et pour la correction des déficits excessifs et la directive 2011/85/UE du 8 novembre 2011 sur les exigences applicables aux cadres budgétaires des Etats membres, qui fait partie du six pack et doit être transposée en droit national avant la fin de 2013.
L'avis de la BCL constate que, "malgré les références faites à l’exposé des motifs du projet de loi 6449 concernant le TSCG (…) ainsi qu’au programme de stabilité actualisé du Luxembourg du 27 avril 2012 selon lequel le Ministère des Finances est en train de préparer une réforme de la loi du 8 juin 1999 sur le budget, la comptabilité et la trésorerie de l’Etat, force est de constater que le projet de loi ne précise pas comment et dans quels délais le gouvernement envisage de transposer les dispositions du TSCG". La BCL indique ainsi qu'il y aurait lieu de modifier la loi 8 juin 1999.
Dans les cinq domaines d'action visés par ces propositions législatives, dans le but d'harmoniser les projections et méthodes budgétaires, le Luxembourg est en retard. Dans la simulation faite par la BCL, il est d'ailleurs avec Chypre l'un des deux pays les plus en retard dans l'UE. Dans les domaines des règles budgétaires chiffrés, à savoir la fameuse règle d'or et les correctifs à apporter au budget, prévues par le TSCG, rien n'aurait encore été proposé. De la même manière que pour les perspectives pluriannuelles exigées par la directive et qui devraient conduire à esquisser les orientations budgétaires à cinq années, le Luxembourg reste très à la traîne, rapporte la BCL. Pour ce qui est de la disponibilité régulière de statistiques fiables et standardisées, la publication des prévisions macro et des méthodologies ainsi que la coordination budgétaire entre sous-secteurs, le retard sur les exigences européennes est certes moins important mais reste encore à combler.