Principaux portails publics  |     | 

Economie, finances et monnaie
Pour l’économiste en chef de la BCL, Jean-Pierre Schoder, "avec la crise, nous sommes arrivés dans un autre monde"
13-09-2012


L'économiste en chef de la BCL, Jean-Pierre Schoder, lors de la présentation du Bulletin 2012-3 de la BCL, le 13 septembre à LuxembourgLe 13 septembre 2012, l’économiste en chef de la BCL, Jean-Pierre Schoder, a présenté le Bulletin 2012/3 de sa banque, l’occasion pour son institution de commenter la situation économique du Luxembourg, y compris dans son contexte européen, et de faire part de ses recommandations aux décideurs politiques. Il y fait le constat que la situation et la position économiques du Luxembourg se dégradent continuellement, et que pour faire face, il faudra comprendre "qu’avec la crise, nous sommes arrivés dans un autre monde".

Le contexte économique européen

Or, dans ce dernier contexte, "la probabilité que la situation soit moins bonne est plus forte", a déclaré Jean-Pierre Schoder au vu de la révision des projections de l’Eurosystème de juin 2012, où l’on prévoyait encore une évolution du PIB entre - 0,5 % et + 0,3 %, alors qu’en septembre, il est désormais question d’une évolution allant de – 0,6 à – 0,2 %. Et pour 2013, les chiffres sont passés d’une fourchette allant de 0 à 2 % à une fourchette située entre – 0,4 et + 1,4 %, un chiffre médiocre. L’évolution de l’inflation a elle aussi été révisée à la hausse, mais ici, les risques sont jugés "équilibrés", dans une fourchette allant de 2,4 à 2,6 % en 2012 et 1,3 à 2,5 % d’inflation en 2013

La situation économique du Luxembourg : selon Yves Mersch "un tableau d’ensemble pour le moins maussade"

Mais pour la BCL et son président, Yves Mersch, c’est la situation économique luxembourgeoise qui appelle "une vigilance accrue".

La production industrielle a diminué de près de 6 % au second trimestre de 2012 par rapport au même trimestre de 2011. Les exportations ont reculé de 9 %. Le produit bancaire est en recul de plus de 4 % entre le premier semestre de 2011 et le premier semestre de 2012. Le PIB a fléchi de 1,5 % au premier trimestre de 2012 par rapport au quatrième trimestre de 2011. La croissance du marché du travail est en baisse, sinon en stagnation, le chômage est en hausse, l’emploi intérimaire décline, le nombre des personnes concernées par les mesures de soutien à l’emploi est en hausse, de même le recours au chômage partiel.

Yves Mersch parle dans son éditorial d’un "tableau d’ensemble pour le moins maussade". Pour lui, cette tendance est confirmée par l’enquête de conjoncture de la BCL auprès des consommateurs, qui montre que "l’indicateur afférent s’est situé en août (2012, ndlr) à son niveau le plus bas depuis janvier 2010), mais aussi "par l’indicateur de sentiment économique calculé pour le Luxembourg par la Commission européenne", en recul depuis juillet 2012.

La BCL pense donc qu’une récession technique "paraît vraisemblable" pour le 1er semestre 2012, une telle récession technique étant "définie par une diminution du PIB au cours de deux trimestres consécutifs". Mais elle reste néanmoins prudente, car les statistiques peuvent encore être sujettes à des révisions, y compris à la hausse. Une des raisons est que le recul mesuré actuellement de l’activité économique au 1er trimestre 2012 "est en grande partie imputable au secteur des services financiers" dont la valeur ajoutée est difficile à estimer de manière précise.     

Inflation en hausse et productivité en baisse

Si l’inflation devrait baisser au Luxembourg et passer de plus de 2,5 % à 2 % en 2013, le différentiel d’inflation cumulé avec les pays voisins en termes cumulés est de plus de 7 % avec les pays limitrophes et de plus de 4 % avec les pays de la zone euro, ce qui entame la compétitivité du pays. De même, la BCL estime que la productivité apparente, qui a été "le premier amortisseur de la crise", a diminué de 10 % depuis la crise, et de plus de 5 %, par correction par le nombre d’heures travaillées.

Yves Mersch commente ce phénomène : "En tolérant une diminution marquée de la productivité, l’économie luxembourgeoise s’est prémunie d’un brutal affaissement de l’emploi. Ce dernier résultat est en lui-même éminemment positif. Le maintien durable des emplois maintenus ou créés de la sorte ne pourra cependant être assuré que si les rémunérations s’adaptent de façon plus flexible à une productivité en décrochage, faute de quoi les coûts salariaux unitaires continueront à se mouvoir à des niveaux insoutenables pour nos entreprises." 

En effet, selon la BCL, le différentiel en termes de CSU est de 40 points par rapport à l’Allemagne, de 25 par rapport à la France et de 20 par rapport à la Belgique, de sorte que le Luxembourg est pour la BCL "le dernier de la classe". Yves Mersch écrit à ce sujet dans le bulletin que cet écart fait "du Luxembourg le seul pays incapable de procéder à une correction, alors que dans les autres pays ayant manifesté une évolution comparable la tendance a été inversée". Et quelques lignes plus loin il réitère ses appels des dernières années : "Le Luxembourg doit briser le 'triangle de fer' d’une inflation structurellement élevée, d’une indexation intégrale des salaires (certes occasionnellement modulée) et d’une faible productivité. Au moins une de ces trois variables doit s’ajuster, faute de quoi l’emploi finira par marquer le pas."

Le marché du travail

Ceci dit, l’impact de la crise sur le marché du travail "est à première vue relativement contenu", affirmé Jean-Pierre Schoder, qui explique cela par plusieurs facteurs : le secteur public, avec 8000 nouveaux emplois depuis 2008, est devenu un moteur de croissance de l’emploi ; les entreprises ont pu éviter de mettre leurs salariés au chômage en recourant à des ajustements du temps de travail ; la crise a fait reculer les exportations de 9 %, y compris dans le domaine des services, mais elle n’a pas encore touché la demande intérieure, ce qui a amorti son choc sur le marché du travail, en règle plus durement touché quand il y a un recul sensible de la demande intérieure ;  le nombre des personnes touchées par des mesures pour l’emploi est en hausse ; enfin, l’impact de la crise sur l’emploi frontalier ne laisse pas de traces dans les statistiques.      

Le Luxembourg doit donc, selon Jean-Pierre Schoder, relancer sa compétitivité grevée par un déclin de la productivité et une progression du coût du travail, relancer son emploi, réinsérer les chômeurs et donner aux entreprises les moyens d’être plus flexibles. Yves Mersch écrit de son côté dans le Bulletin: "De nombreux intervenants, dont la BCL, considèrent (…) qu’une croissance égale voire même supérieure à 4 % l’an est nécessaire à la préservation durable de notre modèle social."

Les finances publiques

Les finances publiques sont l’autre cause de soucis. Elles ont constitué, écrit Yves Mersch, "le second amortisseur de la crise". Après les excédents budgétaires de 2007 (+ 3,7 %) et de 2008 (3 % en 2008), les administrations publiques affichent en 2011 un déficit de 0,6 %, "en dépit d’excédents toujours plantureux de la sécurité sociale". Le président de la BCL juge les mesures de consolidation "largement insuffisantes". Les déficits ne devraient pas cesser en 2012, 2013 (1,2 %) et 2014 (1,8 %), alors que les recettes de TVA liées au commerce électroniques vont décliner à raison de 1 % du PIB en 2015. "Le Luxembourg est en train de perdre son traditionnel avantage", a dit Jean-Pierre Schoder, augurant que le Grand-Duché passerait entre 2011 et 2015 du 3e au 14e ou 15e rang en termes de déficits dans la zone euro, selon l’évaluation des Programmes de stabilité et de convergence faite en mai 2012 par la Commission européenne.

"Le Luxembourg violerait résolument, en l’absence de nouvelles mesures de consolidation budgétaire, la norme de croissance des dépenses publiques prévue dans le Pacte de Stabilité et de Croissance renforcé (dit six-pack)", écrit Yves Mersch. Pour lui, "le projet de budget 2013 doit offrir l’occasion d’une remise en orbite des finances publiques luxembourgeoises." La BCL ne cesse en tout cas pas de miser sur un excédent structurel d’au moins 1 %, alors que le pays évolue vers un déficit structurel de 2 % autour de 2015. 

Réforme des pensions, réforme des communes

Pour Yves Mersch, il est donc "impératif de mettre en œuvre dès janvier 2013 le projet de loi portant réforme de l’assurance pension, qui devrait d’ailleurs être renforcé dans un sens bien moins 'gradualiste' et reposer sur des projections de croissance plus réalistes que 3 % l’an".

Par ailleurs, la BCL, qui constate que la taille des communes du Luxembourg est "relativement limitée", et que le pays figure dans le quartile des Etats membres de l’UE qui ont les communes les plus petites, suggère que le gouvernement explore le potentiel de réduction des dépenses par tête d’habitant qui pourrait être dégagé de la création de communes plus grandes qui aient la taille optimale en terme d’effectivité de la dépense par habitant.