Jean-Jacques Rommes, Chief Executive Officer de l'ABBL et administrateur de l'Union des Entreprises Luxembourgeoise (UEL), s’est exprimé dans une interview parue dans l’édition d’Entreprises magazine du 21 novembre 2012 sous la plume du journaliste Sébastien Lambotte. Il s’exprime dans le bimestriel "B-to-B", qui est "destiné aux cadres et chefs d’entreprise luxembourgeois" sur les impacts et les enjeux de la crise de la dette européenne, pour le Luxembourg et pour l'économie en général. L’interview du chef de l’organisation professionnelle des banquiers illustre bien les sentiments mêlés, à la limite de la contradiction, de la profession au Luxembourg à l’égard de la construction européenne, de la démocratie et de la souveraineté en Europe, et avant tout vis-à-vis de la BCE. En gros, le CEO de l’ABBL prône plus d’Europe, mais en même temps il craint certains développements, ce qui l’amène à cerner le rôle de son association : "Notre rôle est de suivre le processus en cours en tentant de l'influencer pour qu'il ne nous desserve pas."
Jean-Jacques Rommes explique dans l’interview que l'impact de la crise des dettes souveraines sur l'environnement économique au Luxembourg et sur le secteur bancaire a été "considérable". Pour lui, ce sont les banques qui "ont contribué à trouver des solutions à la crise de la dette souveraine en apurant jusqu'à 75 % de la dette grecque". Cela a conduit à "des pertes considérables", que Jean-Jacques Rommes chiffre au Luxembourg "à environ 1,3 milliard d’euros sur les obligations d'Etat grecques". C’est pourquoi le résultat net des banques "a chuté de 25 % en un an".
Jean-Jacques Rommes a des vues originales voire tragiques sur la situation actuelle. Ainsi le fait que les banques sont venues au secours des Etats, après avoir été aidées par ces derniers, n’est pas forcément un juste retour des choses, mais plutôt une interaction où deux personnages "qui sont en difficulté (…) se tiennent l'un à l'autre dans la chute".
Le chef de file des banquiers a néanmoins ses recettes pour la sortie de crise. Il n’est pas tendre avec la politique des taux bas et des rachats de dette de la BCE. Elle contribue à la baisse des rendements, qui n’ont selon lui jamais été aussi bas dans les assurances. "L'environnement sur les marchés est relativement morose, mais les actions se maintiennent, faute d'alternatives", dit-il, résigné. "Pour sortir de la situation, toutefois, je pense qu'il faut avant tout rétablir la santé financière des pays afin de retrouver la confiance des investisseurs." Et il tranche le débat "entre rigueur budgétaire et croissance" qui "fait rage" avec sa recette centrale : "On ne s'en sortira qu'avec de la rigueur budgétaire pour revenir à la croissance." Dire que le déficit budgétaire serait porteur de croissance n’est pour lui que propagande. Il faut donc "être compétitif et productif", et, "au risque de choquer, pour cela il faut avant tout travailler".
L’Europe est elle aussi passée au crible. L’Union monétaire "ne veut pas s'assumer", il y a "un problème de gouvernance", il manque des "instances centrales fortes". Seule la BCE a encore de la crédibilité aux yeux des marchés, parce qu’elle prend des décisions : "Mais, pour les marchés financiers, ce qui compte c'est la prise de décision effective et efficace, qu'elle soit démocratique ou non." Et il conclut : "Il faudrait donc plus d'Europe." Une Europe où il importe peu qu’elle soit démocratique ? Non. Pour Jean-Jacques Rommes, le rapport des quatre présidents montre la voie : "Il faut aller vers plus d'union bancaire, économique, budgétaire et vers un renforcement de la démocratie européenne." Et de prôner pour les Etats "un abandon de leur souveraineté" que néanmoins "tous ne semblent pas prêts à faire".
Selon Jean-Jacques Rommes il a fallu montrer au cours de la crise "que la solidarité européenne existe bien". Mais il y a les fausses pistes, qui dans le discours du chef de file des banquiers relèvent du "n'importe quoi", comme "la possibilité que la BCE puisse directement prêter aux Etats ou encore la création d'obligations européennes". Ce sont là "des pistes envisagées, mais pas forcément le bon chemin à prendre". Les actions de la BCE sont taxées durement : "Que la Banque centrale finance la dette, en prêtant aux Etats en difficulté ou en la rachetant, constitue une prise d'otage de l'argent de tout le monde." Pour lui, c’est interdit par les traités, cela détériore la valeur de l'argent en circulation. "Fondamentalement, à des degrés divers, ces mécanismes d'intervention des banques centrales s'apparentent à de petites tricheries de court terme." Car, telle est sa doctrine, "la seule mesure qui vaille à long terme, c'est la discipline budgétaire. Car tout le monde sait que, sur la durée, on ne peut pas dépenser plus que l'on ne produit."
Dans sa vision des choses, les agences de notations ont eu un impact "relativement limité", et si "toutes leurs décisions n'ont pas toujours été très heureuses", Jean-Jacques Rommes pense "que le politique a tenté de les discréditer dans l'espoir de tuer le messager".
Le déficit budgétaire et la dette publique du Luxembourg sont en toute logique dans la mire du CEO de l’ABBL. Il fustige le déficit de 2012, 1,6 milliards pour un budget d'environ 12 milliards. Il pointe le fait que "la dette publique a triplé entre 2007 et 2011 ». Le Luxembourg a donc une crise de la dette. « Or, le Luxembourg, petit pays, pour exister, ne peut pas se permettre le même niveau d'endettement qu'un pays comme la France ou l'Allemagne », met en garde Jean-Jacques Rommes. Après avoir prôné des abandons de souveraineté, il est pour lui primordial que le Luxembourg "préserve son autonomie financière".
Quant à plus d'union bancaire, avec une supervision annoncée des banques privées par la BCE, il croit que "dans la mesure où le système financier doit gagner en crédibilité et en stabilité, on ne peut pas s'opposer à telles initiatives". Mais pour ce qui est de mettre en place à court terme la surveillance unifiée du système bancaire, il s’interroge. Le CEO de l’ABBL, qui prône volontiers les abandons de souveraineté, penche ici dans un autre sens : "Aujourd'hui, au Luxembourg, nous avons un organe de surveillance particulièrement efficient, qui en plus est orienté business. Avec une surveillance centralisée, le Luxembourg va perdre en souveraineté et donc en marge de manœuvre. Il serait opportun de laisser au secteur le temps d'accomplir sa transformation, pour rester compétitif dans un environnement qui, ces dernières années, a beaucoup changé."
Et pourtant, il demeure partisan de "Plus d’Europe" au nom d’une certaine hauteur de vue : "Le Luxembourg, sans l'Europe, n'est rien. Notre pays vit à travers l'Europe. Et il n'y a aucune alternative à une politique plus européenne. On ne peut pas vivre au cœur de l'Europe en étant en dehors. Même la Suisse n'y parvient pas sans s'adapter aux normes européennes." Mais il conclut tout en prudence, ambigu : "Notre rôle est de suivre le processus en cours en tentant de l'influencer pour qu'il ne nous desserve pas."