Le 6 décembre 2012, Luc Frieden est venu informer la Chambre réunie en séance publique sur l’accord trouvé à l’unanimité par les 17 ministres des Finances de la zone euro au sujet de la Grèce.
L’Eurogroupe a en effet consacré au mois de novembre trois longues réunions à la question de la suite à donner au programme d’aide à la Grèce. Il convenait en effet de tenir compte de deux évolutions. D’une part, depuis le début de l’aide à la Grèce, de nombreuses réformes portant sur les pensions, les privatisations, ou encore l’ouverture de certaines professions, ont été entreprises par le gouvernement, avec le soutien du parlement, et, s’il est bien conscient qu’il faut veiller à suivre leur mise en œuvre par une administration grecque dont les faiblesses sont connues, Luc Frieden a tenu à saluer ces réformes structurelles, qui sont allées de pair avec une réduction du déficit public.
D’autre part, la situation économique et la situation des finances publiques, qui n’est, dans l’ensemble, pas très bonne dans la zone euro, s’est particulièrement dégradée en Grèce. Conséquence de ces difficultés, la Grèce n’aurait pas été en mesure d’atteindre les objectifs fixés au préalable, à savoir une réduction du déficit public à un niveau raisonnable d’ici 2014 et une réduction de la dette à un niveau jugé raisonnable de 120 % du PIB d’ici 2020.
L’accord trouvé le 26 novembre 2012 vise donc à trouver un moyen d’arriver à un déficit et une dette raisonnables malgré une constellation actuelle tout sauf favorable. Ce n’est pas simple, et il n’y a pas de recette garantissant la réussite, admet Luc Frieden, mais l’accord prévoit d’accorder à la Grèce un délai supplémentaire de deux ans pour atteindre ses objectifs en matière de déficit, ce que l’Ecofin a formellement adopté le 4 décembre, et lui donner les moyens d’envisager de réduire sa dette autour de 124 % du PIB en 2020 et 110 % en 2022. Cela reste une dette importante, mais donne une chance à la Grèce de retourner se financer sur les marchés.
Pour y arriver, les ministres ont décidé de :
Luc Frieden s’est attaché à décrire l’impact que ces mesures auront pour le Luxembourg.
Les mesures de réduction des taux d’intérêt vont réduire les revenus que le Luxembourg retire du prêt bilatéral accordé à la Grèce en 2010 de près d’1,4 million par an. Le montant des intérêts perçus jusqu’ici s’élève à 8 millions d’euros, a rappelé le ministre des Finances.
L’allongement de la durée des prêts n’impactera pas le Luxembourg, a précisé Luc Frieden.
Quant au montant équivalent à la plus-value tirée de l’achat d’obligations grecques sur le marché secondaire par la BCL, il s’élève à 25 millions d’euros et il sera reversé à la Grèce sur la période 2013-2018.
Luc Frieden a rappelé ce qui motive le soutien à la Grèce, à savoir la solidarité au sein de la zone euro, l’objectif qui est visé, qui consiste à permettre à la Grèce de redevenir souveraine de son financement, et enfin la stabilité de la zone euro, qui, bien que la menace soit réduite par la mise en place de l’ESM, a fait face à un risque de contagion qui reste présent à l’esprit des marchés.
La solution trouvée n’est pas parfaite, a répété le ministre des Finances qui reconnaît qu’il existe des incertitudes. Mais, a-t-il insisté, les alternatives qui ont été évoquées ces derniers mois auraient elles aussi coûté très cher.
Luc Frieden, qui se félicite du fait que le FMI continue d’être partenaire de cette opération, constate d’un côté que l’euro est toujours là, mais aussi que cinq pays de la zone sur dix-sept font face à des difficultés : Grèce, Irlande et Portugal bénéficient d’une aide financière, l’Espagne reçoit un soutien en vue de la recapitalisation de son secteur bancaire et Chypre a fait une demande officielle qui sera discutée le 13 décembre prochain. Le dossier n’est donc pas clos, estime Luc Frieden.
Parmi les Etats membres de la zone euro, nombreux sont ceux qui doivent faire des efforts pour réduire leur déficit public, a rappelé Luc Frieden pour qui il n’y a pas d’alternative valable à l’euro, et ce notamment pour une économie ouverte comme l’est celle du Luxembourg. Aussi, il s’agit de contribuer au maintien de sa stabilité, non pas naïvement, car il convient de s’assurer que les conditions sont respectées et suivies, mais de façon constructive. Et il s’agit de voir comment renforcer l’Eurogroupe de façon à renforcer, en l’accélérant et en le rendant plus efficace, ses processus de prise de décision.
Le premier à répondre au ministre des Finances a été Marc Spautz au nom du CSV. Il a d’abord dépeint les péripéties politiques en Grèce et dans les Etats membres qui ont contribué à ce que tous les programmes d’aide et de réforme se mettent en place. Entretemps, a-t-il ensuite mis en garde, "cela devient difficile de débloquer de l’argent", vue la situation budgétaire dans les Etats membres et la misère qui frappe 25 millions de chômeurs dans l’UE. Raison de plus pour travailler entre Etats membres dans le même sens.
La Grèce est pour Marc Spautz dans une situation dramatique : un chômage dévastateur, une récession longue et profonde, une reprise qui n’aura pas lieu avant 2015 ou 2016, et encore avec seulement 1 ou 2 % de croissance, selon l’OCDE. Même le Luxembourg est en train d’éprouver des difficultés budgétaires, alors qu’il est le pays le plus riche de l’UE. "Alors, qu’est-ce cela doit être en Grèce ?", se demande le député. Pourtant, fait-il remarquer, aucun pays n’a fait autant d’efforts que la Grèce. Si la situation est ainsi, c’est que la politique d’austérité n’a pas apporté les résultats escomptés. Elle a mené à une hausse de la dette publique, à encore plus de récession, au point que même le FMI reconnaît l’effet négatif de l’austérité sur la cohésion sociale du pays.
Avec les mesures décidées à l’Eurogroupe, dont la réduction du taux d’intérêt du prêt bilatéral du Luxembourg à la Grèce de 1,75 à 0,75 %, les Etats membres auront un coût à payer, souligne néanmoins le député CSV. Mais tout le monde y gagnera, et l’impact budgétaire sera minime pour les Etats membres, mais grandement positif pour la Grèce. Mais y aura-t-il quand même ultérieurement une décote de la dette grecque ? Pour lui, il, est trop tôt pour en parler, même s’il ne faut pas s’interdire d’y penser, afin de munir les budgets nationaux de "tampons de sécurité". Malgré ces questions ouvertes, Marc Spautz s’est prononcé en faveur des décisions de l’Eurogroupe du 26 novembre.
Claude Meisch, du DP, a lui aussi mis en exergue les paralysies qui ont affectées la Grèce : deux campagnes électorales, une conjoncture mondiale qui a accentué les effets de la politique d’austérité, conduisant à un recul du PIB grec de 22 % en trois ans. Mais si l’Eurogroupe a pris les décisions exposées par Luc Frieden, c’est bien parce que la Grèce a fait des progrès. La balance courante se rétablit lentement, même si la confiance des investisseurs n’est pas encore rétablie, ce qui se traduit par exemple par une privatisation qui n’avance pas selon les délais escomptés. Mais si tous les efforts entrepris pour sauver la Grèce aboutissent, ce sera le résultat d’une action collective des Grecs, des Etats membres et de l’UE en tant que telle.
Alex Bodry, qui parlait au nom des socialistes qui participent à la coalition gouvernementale, a insisté sur le fait que la Grèce est toujours dans une situation difficile, mais que les marchés se sont calmés, de sorte qu’il faut supposer que le message essentiel que l’UE voulait faire passer par ses efforts soit arrivé auprès de ses destinataires. Depuis un certain temps, il n’est plus question de savoir s’il faut aider la Grèce, mais comment. Les dernières décisions de l’Eurogroupe ne règlent pas la question, "et elles ne sont pas sans risques" non plus, a mis en garde le président du LSAP.
Et de dire qu’il ne partage pas l’optimisme de Marc Spautz, le chef de file de l’autre groupe politique de la majorité gouvernementale à la Chambre. Alex Bodry a ainsi voulu savoir du gouvernement si l’option d’une décote de la dette grecque qui impliquerait les créanciers publics est à exclure ou non. Car en cas de décote, ce sera aux Banques centrales de la zone euro de la prendre en charge. Il était donc d’avis qu’il était utile de savoir quelle était l’exposition de la BCL sur cette dette grecque dans la mesure où elle affiche actuellement des gains annuels de 25 millions d’euros sur ses papiers grecs. Il a souhaité que la question soit abordée de manière ouverte afin que les risques encourus soient connus, ce qui facilitera la prise de décision. Il a pointé vers les 200 millions d’euros que le Luxembourg aura bientôt fini de verser par tranches à l’EFSF et ensuite à l’ESM, vers les 2 milliards de garanties aussi qu’il a assumés. Ces garanties ont eu un large soutien à la Chambre des députés, mais "ne constituent pas un chèque en blanc pour des décisions au Conseil".
Alex Bodry voudrait maintenant que l’on profite de la refonte de la Constitution nationale pour y inscrire une obligation d’information du parlement par le gouvernement, ex ante comme ex post. Car toute décision sur la gouvernance économique de l’UE et du Luxembourg doit dorénavant être interrogée sur sa légitimité démocratique, pense le chef de file des socialistes qui est "contre la dénationalisation des politiques budgétaires des Etats membres".
Pour lui, qu’il y ait décote de la dette grecque ou non, le Luxembourg a déjà subi des pertes et en subira encore plus, puisque l’Eurogroupe n’a pas exclu qu’il y aurait encore d’autres mesures. Le Luxembourg ne risque pas d’avoir un jour, à cause de ces pertes, un problème lorsqu’il ira emprunter sur les marchés financiers, veut savoir Alex Bodry. Et de se demander aussi si les chiffres en jeu actuellement et sur lesquels la décision de l’Eurogroupe est basée seront encore valables en 2016 ou 2020, donc aux échéances des mesures prises. Et quel sera l’effet de la légère dégradation de la note de l’ESM par l’agence Moody’s sur les taux auxquels elle pourra emprunter ? Là aussi, des pertes sont en vue. Finalement, Alex Bodry a voulu savoir pourquoi tous les pays bénéficiaires d’un programme d’aide étaient traités différemment, par exemple en termes de taux d’emprunt, où la Grèce est clairement avantagée. .
François Bausch, des Verts, a entamé son intervention en indiquant que son groupe politique avait toujours soutenu les mesures en faveur de la Grèce, et qu’il soutenait de même les dernières décisions de l’Eurogroupe. Mais cela ne l’a pas empêche de critiquer "la gestion hésitante du dossier grec à cause de l’Allemagne qui freine". Pour lui, la décote de la dette grecque finira par s’imposer comme la seule solution durable. La crise et les mesures prises jusque là n’ont fait que contribuer à augmenter la dette publique de la Grèce de 80 % en 2008 à 145 % en 2012. Le système de santé s’écroule, le système éducatif commence à manquer de moyens pour fonctionner normalement, la sécurité publique est défaillante et des milices du parti néo-nazi occupent le terrain. François Bausch n’écarte pas le risque d’un écroulement du système voire d’une guerre civile. Or, tout cela aurait pu être évité et cela aurait été moins cher avec une décote de la dette.
Il faut donc enfin commencer à discuter d’une autre politique économique, budgétaire et fiscale européenne, plaide-t-il. La Grèce a besoin d’un véritable système capable de collecter les recettes dues et l’UE doit mettre fin à la concurrence fiscale en son sein. Il faut réfléchir à une autre manière d’imposer les entreprises, car il faut des recettes fiscales pour relancer la croissance et l’emploi sur base d’une vraie stratégie. Sinon, le modèle Union européenne risque l’échec. Finalement, François Bausch a exprimé son accord avec la revendication d’Alex Bodry d’inscrire dans la nouvelle Constitution une obligation d’information ex ante comme ex post du gouvernement vis-à-vis de la Chambre sur les grandes décisions européennes.
Jacques-Yves Henckes de l’ADR, a critiqué les décisions de l’Eurogroupe, qu’il juge contradictoires, puisque dans les conclusions il lit que la Grèce aurait rempli ses obligations, qu’elle n’aurait pas été en mesure de tenir les délais- d’où les mesures prises – et que la situation économique est devenue encore plus difficile. Il accuse l’Eurogroupe de déni de réalité et de ne pas vouloir voir que la Grèce fonctionne avec des économies parallèles et qu’il n’y aura donc pas de rentrées fiscales. Il a de nouveau répété ses positions développées en juin 2011 : une décote qui oblige les créanciers privés, "hedge funds" compris, à renoncer à une partie significative de leurs exigences, un allongement de la durée de remboursement de la dette, un versement unique destiné à aider les banques grecques à surmonter les impasses de liquidité, le tout à condition que la Grèce sorte de la zone euro, ce qui serait possible du fait que 70 % de ses échanges s’effectuent avec des pays qui n’appartiennent pas à la zone euro. Finalement, il a aussi voulu savoir ce qu’une décote coûterait au Luxembourg.
Serge Urbany, de Déi Lénk, a dénoncé quant à lui une politique qui ne sert pas les Grecs, mais seulement le service de la dette. Tout a été dévalué en Grèce : le salaire minimum, les allocations chômage, les remboursements santé, les pensions, et les prix de l’énergie ont augmenté. C’est pour lui une politique néolibérale qui, avec l’aide du Luxembourg, a conduit le pays à la récession et la pauvreté. "La Grèce nous offre l’image de notre propre futur", a-t-il lancé, et c’est ainsi toute l’UE qui aura un problème, à moins de changer de politique.
Dans sa réponse aux députés, Luc Frieden a constaté qu’il y avait un large consensus en faveur des mesures prises à l’Eurogroupe, mais que le même consensus existait sur le constat des incertitudes qui sont inhérentes à la situation et aux mesures décidées.
Les conséquences sociales des mesures que la Grèce a dû prendre sont un objet des discussions entre membres de l’Eurogroupe, a précisé le ministre, pour qui il n’est pas possible de mettre fin à certaines exigences, sinon au prix de devoir allouer encore plus de fonds au pays. Les effets des réformes sont effectivement durs à court terme, mais ils seront profitables à long terme, estime Luc Frieden, qui dit que cette opinion est partagée par le gouvernement grec, pour lequel c’est la seule voie pour que la Grèce retrouve sa souveraineté réelle.
La décote, a-t-il enchaîné, est une mesure que les marchés attendent pour se rabattre dans la foulée sur l’Italie, de sorte que tous veulent éviter la décote, mais sans pouvoir l’exclure. Il a aussi admis qu’il était très difficile de savoir quelle serait la situation dans huit ou dix ans, mais que cela n’empêchait pas que l’on continue de se doter d’une feuille de route.
Quant à la dégradation de la note AAA à AA1 de l’ESM par l’agence de notation Moody’s, il a dit qu’elle est la conséquence de la dégradation de la note de la France, mais qu’il ne comprenait pas en quoi cela pouvait toucher à l’ESM, par lequel on a voulu couper le lien direct avec ses Etats membres. "A mes yeux, cette dégradation de la note de l’ESM n’est pas justifiée", a-t-il conclu.
Et si tous les pays à programme ont été traités de manière différente, c’est parce que leur situation est très différente, a répondu Luc Frieden à Alex Bodry.
Il a approuvé l’idée de consulter la Chambre de manière rapide et efficace pour la faire participer au processus de décision.
Quant à l’exposition du Luxembourg en cas de décote grecque, Luc Frieden n’a pas livré de chiffre précis, mais des paramètres pour l’estimer : le prêt bilatéral du Luxembourg dans le cadre du 2e programme d’aide à la Grèce est actuellement de 139 millions d’euros. EFSF et ESM auront fini par transférer 144,6 milliards d’euros à la Grèce. Le Luxembourg a sa part au capital de l’ESM qui est de 0,2497 % qui équivaut à 2 milliards d’euros de garantie. Et, a-t-il précisé, une décote n’aura pas d’effet sur le budget.