La Chambre des salariés (CSL) a rendu son avis sur le projet de budget 2012 de l’Etat le 23 novembre 2011. L’analyse de la situation économique et budgétaire qui le fonde se distingue nettement de celles faites par la BCL ou la Chambre de Commerce dans leurs avis respectifs. La CSL se démarque en effet par un certain optimisme, mettant en avant le "rebond positif" connu par l’économie luxembourgeoise après 2009, mais aussi la "sérénité à moyen terme" que connaît le Luxembourg sur le plan de ses finances publiques.
Dans son avis, la CSL affiche une opposition vigoureuse à l’introduction d’une règle d’or à l’allemande. Elle lui préférerait une norme budgétaire consistant à maintenir à l’équilibre le solde budgétaire structurel corrigé du montant des investissements publics. "Recourir à la vraie règle d’or permettrait de faire passer l’Europe en pilotage manuel et de proposer un autre projet de société moins nihiliste à l’Europe que la haute compétitivité et la déflation salariale corollaire qu’impose le Pacte", avancent ainsi les auteurs de l’avis de la Chambre des salariés. Car à leurs yeux, "la règle d’or à l’allemande fournit une vision de la politique budgétaire gérée pour elle-même". Or, s’il paraît essentiel aux yeux de la CSL d’améliorer et de consolider la gouvernance européenne, c’est en fixant des critères sociaux de convergence et de stabilité, dont la valeur et l’importance seraient à pied d’égalité avec les critères de Maastricht, ainsi que des règles d’harmonisation fiscale sérieuses, qu’il conviendrait de le faire.
Dans une première partie, la CSL se penche sur les performances économiques du Luxembourg, se détachant du pessimisme ambiant en titrant à ce sujet "rebond positif après 2009".
"La révision des comptes qui vient d’intervenir est plutôt défavorable", reconnaît certes la CSL. Mais, observe-t-elle, "avec moins 2,8 % du PIB par rapport à 2008, le Luxembourg se situe en position intermédiaire par rapport aux autres pays de l’UE15, devancé toutefois par les pays voisins". En valeur, "le Luxembourg se positionne nettement mieux" : avec + 2,1 % par rapport à 2008, "le Luxembourg fait partie des pays ayant le mieux redressé la barre". La CSL observe qu’en 2010, le Luxembourg est, en volume, "malgré la révision à la baisse, un des pays ayant connu la plus forte reprise". "Et même la plus forte reprise si l’on considère le PIB en valeur", ajoute la CSL qui note aussi que, sur le long terme, "le Luxembourg connaît une croissance parmi les plus fortes de toute l’UE".
Faisant le point sur l’évolution conjoncturelle récente, la CSL fait là encore preuve d’une lecture plutôt optimiste. "Si l’on prend comme point de départ le 2e trimestre de l’année 2009, trimestre au cours duquel l’économie luxembourgeoise commence son redressement, l’on constate qu’il s’agit de la reprise la plus vigoureuse des économies considérées, hormis l’Allemagne qui connaît une croissance encore légèrement supérieure", note par exemple la CSL dans son avis. Les auteurs relèvent ensuite que, malgré la révision à la baisse des chiffres de croissance, le Luxembourg se situe, par rapport à la zone euro et ses principaux partenaires économiques, "dans la fourchette du groupe de référence".
L’inflation quant à elle "se trouve tout à fait dans la norme de la moyenne européenne, mais aussi par rapport aux pays voisins", relève la CSL avant de se pencher sur les indicateurs de compétitivité. "En ce qui concerne le coût salarial unitaire réel (CSU réel) et l’excédent brut d’exploitation par emploi (EBE par emploi), alors que l’année 2009 a été marquée par une évolution moins favorable de ces deux indicateurs au Grand-Duché, la situation s’améliore en 2010 et 2011 comparativement aux autres pays", observe la CSL, indiquant que "le Luxembourg conserve de loin sa première place au vu des niveaux de ces deux indicateurs".
Se penchant sur l’industrie, la CSL met en avant le fait que, selon un classement effectué par la Commission européenne sur la base de trois indicateurs (productivité, innovation et environnement des affaires), le Luxembourg est classé "dans le premier groupe" en matière de compétitivité. Ce qui montre, selon la CSL, "le dynamisme des entreprises et l’environnement favorable dans lequel elles opèrent". "Les conclusions de la Commission à l’attention du Grand-Duché sont que la compétitivité et l’innovation y sont bonnes et que l’environnement pour les entreprises s’améliore", explique la CSL.
La CSL souligne ensuite "les résultats plus que satisfaisants" du Grand-Duché en matière de commerce extérieur. Les auteurs de l’avis constatent en effet que les exportations luxembourgeoises connaissent de très fortes progressions, ce qui est selon eux "un signe de la compétitivité élevée de l’économie luxembourgeoise". La CSL tacle les indicateurs de compétitivité avancés par le patronat et l’Observatoire de la compétitivité, observant que "la relation prix à l’exportation / compétitivité doit être relativisée et considérée avec circonspection". Les auteurs en veulent pour preuve le fait que, "malgré des augmentations de prix à l’exportation relativement plus fortes que les autres pays de l’UE, le Luxembourg n’en a pas moins connu de forte progression en volume, pour les services comme pour les biens". La CSL s’en prend aussi au "prétendu contexte de perte de compétitivité bilatérale" en se penchant sur l’évolution sur dix ans des exportations de biens vers l’Allemagne : "tandis que les exportations luxembourgeoises totales ont augmenté de 25,7 % entre 2000 et 2010, les exportations vers l’Allemagne ont progressé deux fois plus rapidement (+ 49,3 %)", fait en effet remarquer la CSL. Pour ce qui est des services, la CSL note que la part des pays voisins dans les exportations de services du Luxembourg a diminué, un phénomène qu’elle interprète comme non comme une perte de compétitivité, mais plutôt comme une diversification géographique plus grande.
La CSL conclut ainsi cette première partie par une remise en question des indicateurs de compétitivité : "sont-ils insuffisamment calibrés ou mal construits pour pouvoir jauger des performances compétitives du Luxembourg ?", se demandent ainsi les auteurs de l’avis qui relèvent que "le Luxembourg se positionne comme l’exact symétrique de ses voisins avec des exportations de services qui dominent largement, représentant plus de 80 % des exportations totales, là où l’Allemagne exporte plus de 80 % de biens".
Selon la CSL, à l’analyse, "le budget 2012 semble nager entre deux eaux", à savoir le rétablissement d’après-crise jusqu’en 2011 et les incertitudes au sujet de 2012 et du redressement complet des finances publiques d’ici 2014. "L’année 2009 aura marqué une détérioration généralisée des finances publiques à travers l’Europe, mais le Luxembourg se positionne malgré tout encore une fois plutôt avantageusement", note la CSL qui met en exergue le fait qu’en 2009 et en 2010, le Luxembourg aura finalement "largement respecté les critères de Maastricht". Pour la CSL, "en dépit de la crise économique, la situation est donc restée parfaitement saine", un sentiment de sérénité qu’elle voit confirmé dans le calcul du solde cumulé des administrations depuis 1995 diminué de la dette, qui est positif au Luxembourg.
Si la CSL relève que "la progression moins dynamique des recettes par rapport aux dépenses de 2012 semblerait refléter le fait que les prévisions économiques pour 2012 ne sont pas démesurément optimistes", elle remarque cependant que "la situation des finances publiques luxembourgeoises se présente tout de même nettement plus favorablement que le prévoyait la trajectoire d’ajustement retenue par le Gouvernement en janvier 2010 et qui visait l’équilibre en 2014". La CSL saisit l’occasion pour réitérer ses doutes "envers une utilisation avancée au printemps des actualisations des programmes de stabilité et de croissance" en vertu du semestre européen qui génère selon elle "le risque d’une incertitude accrue en ce qui concerne la préparation des décisions macroéconomiques".
Pour ce qui concerne les dépenses de fonctionnement de l’Administration publique, qui comptent selon elle parmi les seules véritables dépenses de l’État, la CSL juge que les frais sont "relativement bien limités". Avec des dépenses de fonctionnement de l’Administration publique en 2010 qui atteignent 11,5 % du PIB, note la CSL, le Luxembourg se situe "à peine au-dessus de la moyenne 2000-2009 de 11 %, soit loin de la moyenne de l’UE-15, où le fonctionnement de l’ensemble du corps administratif coûte 18,2 % du PIB".
La Chambre des salariés relève toutefois que "les investissements publics et les dépenses des Fonds spéciaux pèsent lourdement sur le solde budgétaire de l’Administration centrale". Pour la CSL, le Luxembourg a "mené une stratégie qui dépasse allègrement l’idée du pacte de stabilité en accumulant des réserves pendant les phases de haute conjoncture (évitant par là aussi d’agir procycliquement), auxquelles il recourt pour mener sa politique d’investissement, parfois de manière anticyclique, comme lors de la récente récession".
La CSL se penche par ailleurs longuement sur la nécessité d’introduire une forme de "règle d’or à l’allemande" qui résulte de l’accord trouvé dans la nuit du 26 au 27 octobre 2011 par les chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro. "La zone euro vient de choisir de renforcer l’inflexibilité et le caractère restrictif de ses règles budgétaires", résume la CSL qui estime qu’introduire ce genre de contrainte supplémentaire directement dans la législation ou la constitution nationale "aura pour effet de rigidifier davantage les mécanismes de gouvernance européenne".
La "règle d'or à l’allemande" apparaît aux yeux de la CSL "comme une conception rigoriste qui consiste à éliminer tout nouvel endettement par l’interdiction des besoins de financement". Aux yeux des auteurs de l’avis de la Chambre des salariés, "ne pas distinguer dans ses règles budgétaires les dépenses courantes des dépenses d'investissement et de R&D peut s’avérer défavorable aux secondes, moins inertes, qu’il sera politiquement plus acceptable de juguler que les autres postes budgétaires, non sans avoir des répercussions sur la croissance et le niveau de vie des générations à venir".
La CSL rappelle par ailleurs que l’augmentation de l’endettement public dans la zone euro au cours des dernières années résulte principalement de la prise au compte des États de la dette privée, plus particulièrement celle du secteur bancaire. La crise économique qui a suivi la crise financière est également responsable à la fois de l’accélération de la dette européenne (85 % en 2010) et luxembourgeoise, par le truchement des stabilisateurs automatiques et de la relance, poursuit la CSL. Pour la Chambre des salariés, "la dette publique au Luxembourg, dont on rappelle que le produit sert à financer des investissements, ne pose aucun problème pour les générations futures parce que, d’une part, sa charge repose sur les générations actuelles et que, d’autre part, fût-elle à plus long terme, celle-ci, intelligemment et correctement utilisée, constitue alors un financement d’un capital collectif dont profiteront aussi les générations futures".
La CSL souligne aussi le fait qu’au Luxembourg, en vertu de la loi budgétaire, les recettes provenant de l'émission d'emprunts ne peuvent servir qu'au financement de projets d'investissement de l'État. Pour la CSL, le Luxembourg "respecte donc la véritable règle d’or" qui consiste à "maintenir à l’équilibre le solde budgétaire (structurel) corrigé du montant des investissements publics". Selon la règle d’or pour laquelle plaide la CSL, les administrations publiques ne peuvent pas emprunter plus que le montant de leurs dépenses publiques productives, c’est-à-dire financer leurs dépenses courantes par l’emprunt. "Cette norme budgétaire offrirait une voie d'évolution au Pacte de stabilité, par le haut, permettant sans doute une gouvernance et un coordination par le projet (qui fait crucialement défaut à l’Europe) plutôt que par la règle mécanique ; autrement dit l’émergence d’un gouvernement politique qui, notamment, définirait les investissements (matériels et immatériels) nécessaires à la croissance européenne, plutôt qu’une gouvernance, vide de sens (si ce n’est celui de la recherche forcée de l’équilibre)", plaide la CSL.
"Recourir à la vraie règle d’or permettrait de faire passer l’Europe en pilotage manuel et de proposer un autre projet de société moins nihiliste à l’Europe que la haute compétitivité et la déflation salariale corollaire qu’impose le Pacte", avancent encore les auteurs de l’avis de la Chambre des salariés. Car à leurs yeux, "la règle d’or à l’allemande, produit dérivé du Pacte de stabilité, flanquée de son binôme macro-économique (euro +), fournit une vision de la politique budgétaire gérée pour elle-même, imposant un formalisme juridique en la matière, bien que les évolutions fiscales et les déficits publics soient certainement davantage liés aux cycles conjoncturels et à une concurrence fiscale intra-européenne effrénée". Or, s’il paraît essentiel aux yeux de la CSL d’améliorer et de consolider la gouvernance européenne, c’est en fixant des critères sociaux de convergence et de stabilité, dont la valeur et l’importance seraient à pied d’égalité avec les critères de Maastricht, ainsi que des règles d’harmonisation fiscale sérieuses, qu’il conviendrait de le faire.
La CSL a également porté son regard sur certains éléments de la politique budgétaire, insistant notamment sur le logement ou la politique familiale. Mais elle développe aussi l’hypothèse selon laquelle "la seule annonce de sortie des déficits budgétaires en Europe (...) aura en fin de compte exercé un effet bien plus dévastateur que les déficits eux-mêmes sur la confiance des acteurs de l’économie réelle et, par ricochet, sur la conjoncture européenne". "En ces temps de conjoncture troublée, ce n’est en effet pas tant la rigueur budgétaire ou la résorption des déficits qui devraient primer, mais le redressement conjoncturel et l’emploi", avance la CSL qui "recommande au gouvernement de réévaluer dès à présent son effort d’investissement planifié en 2012 et d’étudier d’ores et déjà les voies et moyens de dynamiser davantage, en cas de confirmation de la double récession, les investissements de l’Administration publique, tant directs qu’indirects, mais aussi ses dépenses de consommation finale (services publics)". Car selon les auteurs de cet avis, l’investissement public ne se borne pas uniquement au matériel, mais passe aussi par des dépenses qui concourent à renforcer l’activité présente et future, par exemple en approfondissant l’éducation, en renforçant la sécurité ou encore en améliorant la santé.
Pour la CSL, le Luxembourg devrait, de concert avec ses partenaires européens, garder au minimum un œil sur le dynamisme de sa demande intérieure, voire anticiper dès à présent le retour de crise en fournissant de manière plus volontariste que précédemment les impulsions budgétaires appropriées à son économie. La CSL appelle à ce que les dépenses publiques luxembourgeoises soient "effectives, stimulantes pour l’économie et proportionnées au risque, pour exercer une action de freinage suffisamment puissante et la plus efficiente possible sur la chute de croissance".