Le 25 mars 2013, quelques heures après avoir annoncé les grandes lignes de l’accord trouvé avec les autorités chypriotes sur un plan d’aide de 10 milliards d’euros, le président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, qui est aussi ministre des Finances des Pays-Bas, accordait au Financial Times et à l’agence de presse Reuters un entretien dans lequel il estimait que reporter les risques que prend le secteur financier sur les épaules du public n’était pas la bonne approche.
"Si une banque à risque ne peut pas se recapitaliser elle-même, alors nous discuterons avec les actionnaires et les créanciers obligataires, nous leur demanderons de contribuer en recapitalisant la banque et, si nécessaire, nous ferons de même avec les détenteurs de dépôts non garantis", expliquait le président de I'Eurogroupe. "Si nous voulons avoir un secteur financier sain, le seul moyen est de dire: si vous prenez des risques, vous devez les assumer, et si vous ne pouvez pas le faire, vous n'auriez pas dû les prendre, avec la conséquence peut-être que c'est la fin de l'histoire", avait encore indiqué le ministre néerlandais.
Ces propos, entendus comme pouvant accréditer l’idée que le modèle trouvé pour résoudre la crise chypriote pourrait être répliqué à l’avenir dans d’autres pays de la zone euro, ont suscité de vives réactions sur les marchés. Tant et si bien que le président de l’Eurogroupe a précisé par voie de communiqué, un peu plus tard dans la journée, que Chypre était "un cas spécifique", présentant des "défis exceptionnels". "Les programmes d'ajustement macro-économique sont faits sur mesure en fonction de la situation du pays concerné et aucun modèle ou patron n'est utilisé", a-t-il souligné.
Mais dans son entretien, qui a fait l’objet de nombre de commentaires et de critiques, Jeroen Dijsselbloem, interrogé sur le cas de pays comme le Luxembourg et Malte qui ont, comme Chypre, des secteurs financiers importants au regard de l’ensemble de leur économie, a aussi indiqué qu’il n’était pas question de présenter la facture des excès bancaires de certains pays au contribuable européen, comme le résume Alexandrine Bouilhet dans le Figaro. Ses propos sonnent comme une mise en garde adressées à ces pays. "Cet accord sur Chypre signifie : renforcez vos banques, consolidez vos bilans et prenez conscience du fait que si une banque est en difficulté, la réponse ne sera plus que nous viendrons automatiquement résoudre votre problème. C'est à vous de les résoudre", a en effet argué Jeroen Dijsselbloem. Le Tageblatt résume ces propos comme une invitation aux pays de la zone euro ayant des secteurs bancaires surdimensionnés à les réduire.
Pendant la semaine qui a suivi le premier accord trouvé dans la nuit du 15 au 16 mars sur le plan d’aide à Chypre, finalement rejeté par le parlement chypriote et renégocié ensuite pour aboutir à l’accord du 25 mars, le Luxembourg avait déjà été la cible de certaines critiques dans la presse d’outre-Moselle notamment. Luc Frieden s’était d’ailleurs défendu de toute comparaison entre les places luxembourgeoise et chypriote dans un entretien qu’il avait accordé à la radioRTL Lëtzebuerg le 20 mars 2013.
Le journaliste du Tageblatt Christian Müller est allé interroger Serge De Cillia, membre du comité de direction de l’ABBL, au sujet des déclarations de Jeroen Dijsselbloem
Lorsqu’il lui demande à quel point sont sûrs les dépôts au Luxembourg, Serge De Cillia le rassure sans le moindre doute. Le secteur bancaire est armé pour faire face à une crise, affirme-t-il, en ajoutant qui plus est qu’aucune crise n’est en vue dans aucune des banques de la place. Pour Serge De Cillia, il faut voir les deux angles de la situation : d’un côté il y a la situation des banques, qui ne l’inquiètent pas du tout dans la mesure où "elles sont bien capitalisées, remplissent les critères de Bâle III, sont extrêmement liquides et solvable"», sans compter que l’Association pour la garantie des dépôts serait prête à intervenir en cas de problème, et de l’autre il y a la situation des finances publiques. Le représentant de l’ABBL est prolixe sur ce dernier sujet, appelant à faire des efforts et affichant son inquiétude à l’idée que le Luxembourg puisse perdre son triple A, ou encore qu’il perde en compétitivité dans le cas où la consolidation budgétaire impliquerait une hausse des impôts.
Pour ce qui est d’une éventuelle similitude entre les deux pays, Serge De Cillia considère, comme Luc Frieden, que les économies du Luxembourg et de Chypre ne sont pas comparables. Première évidence, Chypre est une île, ce qui implique que ses voisins ne peuvent pas venir y faire leurs courses et que les exportations sont aussi plus compliquées. Par ailleurs, Luxembourg a encore une industrie. Quant aux places financières, elles sont aussi très différentes de par leur structure, affirme Serge De Cillia, qui explique que le Luxembourg ne se limite pas à des dépôts d’épargne, mais a aussi développé les secteurs de l’assurance, de la réassurance, des fonds d’investissement, ou encore de la gestion de patrimoine. En bref, "l’industrie financière luxembourgeoise est bien plus diversifiée que celle de Chypre", affirme-t-il. Serge De Cillia observe aussi que, contrairement à Chypre où elle n’est "pas idéale", le Luxembourg dispose d’une bonne supervision financière.
En d’autres termes, Chypre est un cas particulier, selon l’analyse de Serge De Cillia. Il explique que, depuis son entrée dans l’UE en 2004, l’île tente de développer son secteur des services, ce à quoi n’a pas suffi l’industrie touristique soumise à la forte concurrence de la Grèce ou de la Turquie. On a voulu attirer l’activité par une fiscalité basse, poursuit Serge De Cillia, ce qui a conduit à une croissance très rapide du pays et de ses banques. En 2008 déjà, le secteur financier était trop important, estime le responsable de l’ABBL. Les dépôts bancaires venus de l’étranger ont ensuite été prêtés à bas taux au secteur de la construction chypriote, ainsi qu’aux entreprises, aux ménages et à l’Etat grecs, ce qui apparaissait alors comme un bon investissement, jusqu’à la décote de la dette grecque, résume Serge De Cillia. Les bilans des banques se sont alors effondrés et les crédits n’ont plus été remboursés, les prix de l’immobilier ont baissé et le chômage est monté, explique-t-il. En d’autres termes, on savait depuis des mois qu’il y avait des problèmes, indique Serge De Cillia, et il observe d’ailleurs que beaucoup d’étrangers en étaient conscients et auraient commencé à retirer leur argent de l’île.
A ses yeux, il est difficile de dire si la solution trouvée est bonne ou mauvaise. "A court terme, il fallait une décision", observe Serge De Cillia qui estime toutefois qu’elle ne suffira probablement pas. "Dès que le contrôle sur les capitaux va être levé, les habitants et les étrangers vont retirer une partie de leur fortune, et je crois qu’une profonde récession va s’ensuivre", augure-t-il, imaginant qu’un deuxième plan de sauvetage pourrait s’avérer nécessaire, d’autant que les possibilités qu’a Chypre de diversifier son économie sont limitées. Serge De Cillia pense aussi que ceux qui vont perdre de l’argent à Chypre risquent de ne plus placer leur fortune dans la zone euro : la confiance dans la zone euro est au plus bas et l’argent russe risque sans doute de filer vers Londres, Hongkong et Singapour, présage-t-il.
Pour ce qui est de présenter le Luxembourg comme le prochain candidat à la crise, comme l’ont fait certains journaux dans la foulée de la publication de l’entretien de Jeroen Dijsselbloem au Financial Times, Serge De Cillia ne donne pas foi à ces faiseurs de panique. Pour lui, ce n’est que la preuve que les envieux sont toujours plus nombreux. Il résume ainsi l’argumentation qui prévaut : le Luxembourg risquerait la crise pour la seule raison qu’il a une place financière florissante. Le Luxembourg n’est pourtant pas le seul pays où les actifs bancaires dépassent le PIB du pays, souligne-t-il en évoquant notamment la Suisse, dont personne ne met en cause la solidité pour autant.