Quelques heures à peine après la fin du Conseil européen de printemps, les ministres des Finances de la zone euro étaient convoqués le 15 mars 2013 pour une réunion extraordinaire consacrée essentiellement au plan d’aide financière demandée par Chypre il y a de cela maintenant neuf mois.
A l’issue de longues heures de discussions ardues, le président de l’Eurogroupe, entouré de représentants des trois institutions de la troïka, BCE, Commission et FMI, ainsi que du directeur de l’ESM, dans le cadre duquel va être fournie l’aide à Chypre, a pu annoncer qu’un accord avait pu être trouvé.
Comme n’avaient pas manqué de le souligner tant le ministre des Finances que le Premier ministre luxembourgeois, il a été question une fois de plus de l’importance systémique de Chypre dans la zone euro. Ce qui explique la détermination de tous pour trouver un accord dans le cas très spécifique d’une économie chypriote très largement dominée par un secteur bancaire qui représente 5 à 7 fois son PIB.
La complexité de cette situation, associée aux incertitudes politiques qui ont marqué ces derniers mois, expliquent le temps qu’il aura fallu pour parvenir à un accord pour financer un plan d’aide qui, par rapport à ceux accordés à d’autres pays de la zone euro reste de taille modeste, mais représente un montant considérable au vu de la taille du pays. En effet, ce sont 17 milliards d’euros, l’équivalent du PIB chypriote, qui étaient jugés nécessaires. L’un des principaux enjeux de cet accord était du coup la soutenabilité à long terme de la dette chypriote. Mais aussi la question du "partage du fardeau" dans une économie au secteur bancaire surdimensionné.
Finalement, l’accord trouvé va porter sur un programme d’aide qui sera mis en place par l’ESM à hauteur de 10 milliards d’euros. Christine Lagarde va proposer que le FMI y contribue, le montant de son aide restant pour le moment une inconnue. La Russie devrait aussi contribuer, mais là encore, le montant reste une inconnue, même si Jeroen Dijsselbloem, qui présidait la réunion de l’Eurogroupe, a clairement laissé entendre qu’il ne fallait pas s’attendre à une somme importante.
Aux "défis exceptionnels auquel fait face Chypre", l’Eurogroupe et la troïka ont répondu par des mesures tout aussi "exceptionnelles". L’aide financière sera conditionnée par un programme d’ajustement basé sur une recette qui donne à la première lecture une impression de déjà-vu : mesures fiscales, réformes structurelles et privatisations en seront les maîtres mots. Le détail de ce programme d’ajustement doit être finalisé dans les prochaines semaines et il reviendra sur la table de l’Eurogroupe au mois d’avril en principe.
Le résultat escompté de ce plan d’aide et du programme d’ajustement qui va l’accompagner devrait permettre d’arriver pour 2020 à une dette publique à hauteur de 100 % du PIB, mais aussi de ramener le secteur bancaire domestique à une taille proche de la moyenne de l’UE d’ici 2018 tout en assurant la garantie des dépôts. La restructuration du secteur bancaire représente un élément essentiel du programme.
Comme l’a résumé Luc Frieden au micro de RTL Radio Lëtzebuerg au petit matin du 16 mars 2013, pour réduire de 17 à 10 milliards d’aide financière apportée, le gouvernement chypriote a décidé de mesures visant à réduire son déficit budgétaire à hauteur de 4,5 % du PIB, à augmenter le taux d’imposition des sociétés, qui va passer de 10 à 12,5 %, et enfin à prélever une taxe sur les dépôts bancaires qui va toucher tous les épargnants et qui devrait permettre de lever 5,8 milliards d’euros. Une solution dont le ministre luxembourgeois a admis qu’elle n’était pas "idéale", mais qu’elle valait toujours mieux qu’une faillite aux conséquences dramatiques pour Chypre comme pour le reste de la zone euro, ainsi que le rapporte le Luxemburger Wort dans son édition datée du 18 mars 2013.
Il aura fallu attendre les questions des journalistes lors de la conférence de presse pour en savoir un peu plus long sur cette mesure exceptionnelle. Devant l’étonnement des médias, que la rumeur avait informés de façon détaillée sur cette taxe, Jörg Asmussen ou Jeroen Dijsselbloem ont assuré que cette taxe prélevée une seule fois était "un outil approprié, taillé sur mesure pour répondre à la situation chypriote", ou encore une mesure "justifiée en termes de partage du fardeau", car il semblait "inévitable qu’il y ait une contribution de tous les épargnants".
Le taux de cette "taxe de stabilité", présentée par Luc Frieden comme proche d’un "prélèvement à la source", sera de 6,75 % pour les dépôts bancaires ne dépassant pas 100 000 euros, et 9,9 % pour les dépôts bancaires dépassant ce seuil.
En pratique, le gouvernement chypriote devait prendre des mesures dans la nuit en vue d’appliquer cette taxe, et il était escompté que le parlement chypriote se prononce en sa faveur durant le week-end, afin que la taxe puisse être appliquée le 19 mars, à la réouverture des banques chypriotes. Le vote attendu le dimanche 17 mars a été reporté au lundi 18 mars puis au mardi 19 mars, les réactions étant pour le moins vives à l’annonce de cette décision.
Le président Nicos Anastasiades a assuré que le plan de sauvetage, malgré ses conditions draconiennes, était la solution "la moins douloureuse" pour le pays, tout en espérant que l'Eurogroupe amende ses décisions pour limiter l'impact sur les petits déposants.
Comme l’a expliqué Jörg Asmussen, cette taxe était un moyen d’élargir la base fiscale aux non-résidents, autrement dit par Olli Rehn, il s’agit là d’une façon de rendre possible "une contribution proportionnée entre résidents et non résidents".
Les premiers non-résidents concernés sont a priori russes, Moody’s estimant en effet à 19 milliards de dollars (14,6 milliards d'euros) les seuls avoirs de sociétés russes placés à Chypre au 1er septembre 2012 auxquels s’ajouteraient 12 milliards de dollars d'avoirs de banques russes dans des établissements chypriotes. Et la réaction de Moscou ne s’est pas fait attendre, le président Vladimir Poutine ayant jugé, par la voix de son porte-parole, "injuste" et "dangereuse" la taxe sur les dépôts bancaires chypriotes.
En-dehors du plan d’aide à Chypre, les ministres des Finances ont aussi marqué leur accord sur un ajustement des maturités des prêts octroyés à l’Irlande et au Portugal dans le cadre de l’EFSF afin de faciliter leur retour sur les marchés. Les détails techniques de cet ajustement seront présentés à l’Eurogroupe par la troïka et l’EFSF en même temps que le protocole d’accord sur le programme d’ajustement accompagnant le plan d’aide à Chypre, a priori au mois d’avril. La Commission avait par ailleurs indiqué le 15 mars 2013, au moment où était présenté le rapport de suivi sur la mise en œuvre du programme d’aide au Portugal, qu’elle entendait proposer de reporter à 2015 la date à laquelle le Portugal devrait avoir corrigé son déficit excessif.