Le Premier ministre Jean-Claude Juncker a donné le 4 mars 2013 une interview à l’Agence Europe que celle-ci a publié le 6 mars. L’Italie, la crise financière chypriote, les errements dans l’approche de la crise grecque, le cas de l’Allemagne, le difficile équilibre entre la consolidation budgétaire et une politique de croissance, dans le texte le « dosage idéal entre politiques de rigueur et de croissance », la réduction du coût du travail dans les pays en difficulté et la dimension sociale de l‘Union européenne ont été les points focaux de cet entretien.
Jean-Claude Juncker admet qu’il y a "une bonne dose d'amertume européenne dans le vote des Italiens", mais il explique aussi que l’UE n’a pas été le seul enjeu des élections italiennes. Au niveau de l’UE, ce qui lui importe de savoir, c’est "si le nouveau gouvernement italien (…) appliquera - oui ou non - les mesures sur lesquelles nous nous étions mis d'accord et l'Eurogroupe et l'Italie". Par cette question même, c’est "un nouvel élément d'incertitude qui s'est glissé dans le système européen", estime-t-il. Et de lancer son appel : "Je voudrais que l'Italie lève le plus rapidement possible tous les doutes. Parce qu'il n'est pas concevable d'admettre que l'Italie, du jour au lendemain, change radicalement de politique et ajoute du déficit au déficit et de la dette à la dette."
Pour Jean-Claude Juncker, les problèmes de Chypre "nécessitent la même attention que les problèmes grec ou irlandais ou portugais". Pour lui, "si un État membre de la zone euro a des problèmes du type, de la nature et du volume des problèmes chypriotes, alors il faut considérer qu'il s'agit d'un cas systémique", car tout problème non résolu dans la zone euro comporte "un fort potentiel de contagion". Jean-Claude Juncker est par ailleurs d’avis que les solutions mises en œuvre pour la crise grecque, et notamment l’implication du secteur privé, a "sans doute produit des effets peu positifs sur la situation chypriote", un facteur dont il faudra tenir compte lorsque des solutions pour Chypre seront proposées, de préférence avant la fin du mois de mars.
Pour Jean-Claude Juncker, "les autorités grecques doivent prouver, à chaque instant, que le programme grec est en bonne voie. Si un soupçon de déraillement apparaît, il faudra examiner, avec les autorités grecques, la façon d'y remédier". Mais, estime-t-il, "le programme grec évolue dans la bonne direction" et il se félicite du fait que le "bavardage (…) hautement nocif » sur le 'Grexit' "a disparu de la table".
"Pourquoi appliquer, partout en même temps, un policy mix qui plombe la croissance ?", veut savoir l’Agence Europe. En guise de réponse, elle reçoit un bref exposé de doctrine macroéconomique. D’abord, "remplacer la consolidation et la rigueur par le dérapage et par une politique exclusivement orientée sur la croissance est un leurre". Ensuite, "il est empiriquement établi qu'un pays fortement endetté est incapable d'assurer une croissance pérenne", et Jean-Claude Juncker de citer en guise d’exemple le Japon et les USA. Enfin, "si tous les pays, avant la crise, avaient fait en sorte d'équilibrer leurs finances publiques, ils disposeraient des marges de manœuvre pour contrebalancer les effets néfastes de la récession". Il n’en reste pas moins nécessaire de "réfléchir, dans le cadre d'une meilleure coordination économique, au dosage idéal entre politiques de rigueur et de croissance."
Comme "les Allemands produisent des résultats en termes d'emploi, de croissance et d'exportation, qui sont, de loin, meilleurs que les résultats cumulés de tous les autres", il "est très difficile de leur expliquer qu'ils doivent changer de politique", estime Jean-Claude Juncker. Il ne faut pas demander aux Allemands "de renoncer aux clés de leur succès", mais il ne faut pas non plus ignorer qu’il y a "des zones d'ombre en Allemagne*, comme le fait qu’il y a "énormément de travailleurs précaires dans ce pays qui, payés à temps plein, ont besoin d'aides sociales pour arriver à boucler leur fin de mois".
Jean-Claude Juncker voit mal comment dans un contexte de monnaie unique où "la dévaluation globale externe n'est plus possible", les pays en difficulté pourraient échapper "à une certaine dose de dévaluation interne". D’où la nécessité "de bien cibler les réformes structurelles à mettre en place".
Bien qu’il ait fait partie lui-même du groupe des quatre présidents qui ont participé à la rédaction de la feuille de route d’Herman Van Rompuy, Jean-Claude Juncker dit de lui-même qu’il n’est "pas un défenseur acharné" de l'idée de conclure des arrangements contractuels entre Etats membres et institutions européennes pour éviter que des Etats membres de l’UEM mènent des politiques économiques qui ne sont pas durables.
Il s’agit en l’occurrence de pouvoir scruter, en l’absence de la possibilité de recourir à des ajustements des taux d’échange pour corriger les déséquilibres entre les Etats membres de la zone euro, les marchés du travail et des biens des Etats membres en vue d’ajustements nécessaires. C’est ici qu’interviendraient les "arrangements contractuels" entre Etats membres et institutions de l’UE qui aborderaient les faiblesses des Etats membres, qui auraient un impact sur le semestre européen et les décisions budgétaires, non sans avoir été l’objet d’une pleine appropriation et responsabilisation dans et par les Etats concernés et au niveau européen. Seul ce dernier volet est mis en avant par Jean-Claude Juncker : "L'avantage que j'y vois est une meilleure appropriation nationale des politiques menées. À condition que les parlements nationaux soient étroitement associés. Les règles (6 pack, 2 pack…) en place devraient suffire pour aboutir au même résultat. Mais, si cela aide à donner aux réformes une célérité accrue, je ne dis pas non."
Pour Jean-Claude Juncker, cette idée est "une exigence" portée "depuis des années suite à la mise en place du marché intérieur", qui a eu pour effet que "les différentiels sociaux gagnent en importance". Il voudrait donc que l’on se mette d’accord dans l’UE "sur le principe d'un salaire social minimum", une notion qui existe dans 11 pays de la zone euro et 21 Etats membres de l’UE. Il a défendu au Conseil européen de décembre la nécessité de "faire figurer la dimension sociale de l'Union économique et monétaire dans les conclusions". Il appartient à Herman Van Rompuy de "faire en sorte que cela ne reste pas une référence vidée de son contenu".