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Economie, finances et monnaie - Emploi et politique sociale
Les syndicats OGBL et FNCTTFEL ont présenté le plan Marshall pour l’UE élaboré par la centrale syndicale allemande DGB comme alternative à la politique anti-crise actuelle de l’Union
07-03-2013


Afin de présenter l’idée d’un "plan Marshall" pour l’Union européenne élaborée au sein de la grande centrale syndicale allemande DGB au grand public comme une alternative à la politique actuelle de l’UE, l’OGBL organisait le 7 mars 2013, en collaboration avec la FNCTTFEL, une conférence au Casino syndical. Mehrdad Payandeh, membre du comité national du DGB qui compte parmi les concepteurs de ce plan a pu l’y exposer. Le ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn, était quant à lui invité pour exposer ses vues sur la politique européenne et pour commenter le "programme de conjoncture, d’investissement et de construction pour l’Europe" proposé par le DGB. Jean-Claude Reding, le président de l’OGBL était censé clôturer la soirée.

L’ordre des choses dut être complètement changé, dans la mesure où Jean Asselborn devait encore se rendre à Berlin au cours de la soirée et n’était donc pas en mesure de répondre à l’invité principal, Mehrhad Payandeh.

Pour le président de l’OGBL, la politique actuelle de l’UE n’a pas diminué les risques, mais conduit à l’augmentation du chômage et de la pauvreté

C’est donc Jean-Claude Reding qui a commencé par dresser le contexte de la soirée. Pour lui, l’UE tente de lutter contre la crise avec des politiques d’austérité. Les coupes budgétaires ont notamment un impact sur les systèmes de protection sociale. Ainsi la discussion sur les systèmes de pension est menée non pas sous l’égide des changements démographiques en cours, dont le vieillissement des sociétés européennes auquel il faut se préparer, mais sous l’angle de la dette publique. On discute par conséquent moins du chômage et des services publics dont les citoyens normaux ont besoin. Les investissements n’atteignent pas le niveau opportun, ce qui a un impact négatif sur le développement des Etats membres. On discute constamment du coût salarial, et "derrière ces discussions se cachent les enjeux du futur". Le risque d’impasse sociale et économique est réel pour Jean-Claude Reding, tout comme le risque d’une nouvelle récession qui s’annonce. La politique en cours n’a pas diminué les risques selon le syndicaliste, mais conduit à l’augmentation du chômage et de la pauvreté.

Jean Asselborn, ministre des Affaires étrangères et Jean-Claude Reding, président de l'OGBL, lors de la présentation du plan "Marshall" du DGB à Luxembourg, le 7 mars 2013Dans ce contexte, la proposition du DGB constitue une alternative à la politique actuelle de l’UE qui ne va pas dans la bonne direction aux yeux de Jean-Claude Reding. Il est d’avis que le frein budgétaire inclus dans le TSCG est une erreur, parce qu’il empêchera les Etats de contracter des dettes pour des projets d’avenir et des investissements anticycliques qui relanceraient l’économie et permettraient de faire baisser la dette par les rentrées fiscales. Il refuse les systèmes de sanctions automatiques décidées par des fonctionnaires non élus qui se mettent à la place de la politique. Il n’est pas convaincu non plus de l’utilisation de la notion de solde structurel pour juger des budgets des Etats membres, car elle n’est définie ni par le TSCG et ni aucun autre texte, et que les opinions divergent à son sujet. Enfin, s’il faut avoir des règles budgétaires communes, Jean-Claude Reding se demande pourquoi pas des règles communes fiscales ou contre le dumping social, des règles qui seraient en accord avec les traités européens dont la partie sociale des objectifs est passée dans l’ombre.

En juin 2013, la dimension sociale de l’Union économique et monétaire sera à l’ordre du jour du Conseil européen. Jean-Claude Reding attend avec circonspection ce que Herman Van Rompuy va proposer. "Jamais il n’y a eu autant de grèves et de conflits sociaux en Europe, jamais non plus des résultats aussi confus après des élections législatives", souligne-t-il. C’est pourquoi son syndicat scrutera en 2014 les candidats aux élections législatives et européennes sur la manière dont ils aborderont la question sociale et économique, et en fonction de leurs positions, ils les soutiendront ou appelleront à ne pas voter pour eux.

Jean Asselborn : si l’UE ne réussit pas à susciter des émotions positives, il y aura beaucoup de Beppe Grillo"

Dans son intervention, Jean Asselborn a décrit le tableau d’une Europe sans euro, avec la disparition du marché unique, le rétablissement des droits de douane et les frictions entre monnaies nationales dans un contexte de flux de capitaux réduits. C’est pourquoi, a contrario, l’euro est pour lui aussi un projet qui mise sur le futur commun des Européens entre lesquels il y a toujours eu des litiges. Pour le vice-premier ministre, la direction est claire : il faut réduire la dette publique, il faut corriger les déséquilibres macroéconomiques, et s’il aurait certes mieux valu mettre en œuvre les règles du TSCG ou pacte budgétaire par le droit secondaire communautaire, elles ont l’avantage de permettre aux Etats membres en crise d’accéder de nouveau aux marchés financiers.

Jean Asselborn admet qu’il ne suffit pas malgré tout que les choses soient réglées dans l’UE d’un point de vue purement rationnel au niveau politique. La particularité des Etats membres doit entrer en compte, et il faut se garder de démanteler les normes sociales. Preuve en est le résultat des élections législatives en Italie, et un risque similaire existe dans les autres pays en crise. L’UE ne doit pas agir de façon à n’être identifiée qu’avec l’austérité, la dérégulation ou la réduction du niveau des salariés au minimum vital dans un contexte où le chômage des jeunes fait ses ravages. Le risque est grand de voir des populations dire "Il suffit !". Bref, "si l’UE ne réussit pas à susciter des émotions positives, il y aura beaucoup de Beppe Grillo".

Jean Asselborn considère la limitation des bonus des managers et les investissements de 120 milliards prévus via les fonds structurels européens dans les pays en crise – à condition qu’ils se fassent – comme des éléments positifs. Les décisions sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020 l’enthousiasment beaucoup moins. Pour lui, "la guerre sociale, ce serait la fin de l’UE" qui est censée être un projet de paix. Et "obtenir la confiance des marchés est une bonne chose, mais pas aux dépens de la confiance des citoyens dans la démocratie". Bref, à ses yeux, les risques subsistent que des Etats membres deviennent ingouvernables et que la politique capitule. Cela, "ce serait la catastrophe".

Le plan "Marshall" pour l’UE du DGB

Merhad Payandeh, membre du comité national du DGB, lors de la présentation du plan "Marshall" du DGB à Luxembourg, le 7 mars 2013Merhad Payandeh a quant à lui essayé de présenter un antidote à la "catastrophe", le "plan Marshall" pour l’UE du DGB. Ce plan doit d’une part permettre le refinancement durable des finances publiques dans un contexte où il n’est pas permis aux Etats membres de l’UE de se financer à travers leurs banques centrales – sauf au Royaume Uni – mais seulement sur les marchés financiers, ce qui les rend vulnérables par rapport aux marchés financiers qui ont grandement causé la crise. D’autre part, il doit permettre de stabiliser les marchés financiers d’une autre manière que ne le fait la BCE, qui est critiquée pour faire fonctionner la planche à billets contre le rachat de titres "toxiques". Ce plan devrait déboucher sur des investissements d’avenir comme ceux qui sont décrits dans les programmes sur les réseaux transeuropéens (RTE-T) de la Commission.

Merhad Payandeh a insisté sur le fait que le DGB n’a rien inventé, qu’il s’inspire de bonnes pratiques et de programmes existants et qu’il a scruté ce qui est faisable pour atteindre l’objectif de finances publiques solides qui permette une distribution équitable des revenus, un système fiscal équitable et une union budgétaire solidaire.   

Les principes directeurs du plan sont les suivants. Il doit :

  • créer des emplois
  • être durable et conçu de manière à conserver la substance des sociétés européennes
  • relever les défis écologiques, sociaux et démographiques
  • être contrôlé démocratiquement par les institutions européennes élues, avant tout par le Parlement européen, qui sont à leur tour soutenues dans ce travail par les institutions européennes existantes (par ex. la BEI).
  • être entendu comme un projet supranational appliqué dans l’ensemble de l’Europe, et non comme la somme des différents intérêts des pays européens
  • être prévoyant et indépendant de la conjoncture,
  • poser des règles au marché, lui donner une orientation politique et diriger aussi des investissements privés dans des projets d’avenir innovants
  • être financé équitablement et assurer la juste répartition des moyens
  • être solide sur le plan financier et permettre aux Etats européens de générer des recettes fiscales qui serviront à assurer les services publics et à réduire la dette publique.

Pour le DGB, l’économie du futur sera une économie sobre en énergie qui devrait permettre à l’UE d’être à terme plus indépendante des importations d’énergie en réduisant massivement ses émissions de CO2 selon les objectifs d’Europe 2020 et de la feuille de route de la Commission pour l’énergie à l’horizon 2050. Dans ce domaine, le DGB estime que les investissements annuels pourraient aller jusqu’à 150 milliards d’euros. 110 milliards d’euros pourraient aller à d’autres domaines. Préparer les villes et les communes à une société vieillissante peut absorber jusqu’à 7 milliards par an, la promotion de l’éducation et de la formation jusqu’à 30 milliards, la modernisation et l’extension des infrastructures publiques et privées 10 milliards, la modernisation de l’industrie 30 milliards, celle des services publics 20 milliards, les réseaux à large bande 10 milliards. L’exploitation durable des ressources limitées en eau pourrait nécessiter 3 milliards par an. Au total, il en résulte un besoin annuel en financement de 260 milliards d’euros (en moyenne) ce qui correspond à un peu plus de 2 % du PIB européen.

Comment financer ce plan ?

Le DGB propose la création d’un "Fonds d’avenir européen" qui soit doté de sommes suffisantes pour réaliser ces types d’investissements à l’échelle européenne. Il devrait être mis en œuvre en collaboration avec les Etats membres. L’argent est là. Le DGB estime à 27 000 milliards d’euros les dépôts qui cherchent des possibilités de placement sûres et rentables, celles-ci se faisant de plus en plus rares. Le "Fonds d’avenir européen" émettrait, comme le font les entreprises ou les Etats, des emprunts rémunérés appelés "emprunts New Deal". L’émission annuelle de ces emprunts se ferait sur base du besoin en investissement et sur 10 ans, avec une rémunération annuelle des intérêts.

Ces paiements d’intérêts versés par le Fonds d’avenir pourraient être financés par les recettes issues d’une taxe sur les transactions financières (TTF). Le DGB sait parfaitement que la TTF ne sera pas introduite d’emblée dans tous les 27 Etats membres. A l’heure actuelle, seuls 11 pays de l’UE l’envisagent par le biais d’une coopération renforcée. D’où la nécessité selon Merhad Payandeh de démarcher les autres Etats membres pour qu’ils rejoignent le camp de ceux qui veulent introduire la TTF chez eux. Sur le long terme, le DGB croit pouvoir affirmer – "après de nombreux calculs" – que la TTF peut rapporter des recettes annuelles entre 75 et 100 milliards d’euros si elle est introduite dans tous les Etats membres. Mais à la différence de la proposition de la Commission européenne, dont le champ d’application est plus limité, le DGB a étendu sa base de calcul au marché des devises et taxé toutes les transactions à un taux uniforme de 0,1 %. De la sorte, le "Fonds d’avenir européen" serait, selon le DGB, en mesure de financer les paiements d’intérêts, mais aussi de réduire le besoin en financement annuel et, par conséquent, le volume des "emprunts New Deal" émis.

Pour maintenir le taux d’intérêt de ces derniers à un niveau le plus bas possible, le "Fonds d’avenir européen" doit être reconnu sur les marchés financiers comme un emprunteur de première catégorie. Le Fonds doit donc être doté dès sa création de suffisamment de capitaux propres. Le DGB pense que pour la constitution de ces fonds propres, les Etats membres devraient "obliger les nantis à mettre la main au porte-monnaie" sur base d’un prélèvement forfaitaire sur la fortune et le patrimoine pouvant aller jusqu’à 3 %. Au total, pense le syndicat, entre 200 et 250 milliards d’euros pourraient ainsi être mobilisés en Europe. En attendant, le MES ou les pays de la zone euro pourraient verser en amont des prestations en guise de garanties.

Les effets économiques du plan

Les investissements et les aides à l’investissement de 260 milliards d’euros par an seraient répartis de la manière suivante :

  • 160 milliards d’euros seraient des investissements directs et des subventions à l’investissement et
  • les 100 milliards restants seraient distribués à des investisseurs privés sous forme de crédits bon marché à dix ans.

Par effet de levier, une impulsion à la croissance supplémentaire d’environ 400 milliards d’euros par an pourrait être atteinte, une impulsion supplémentaire équivalente à plus de 3 % du produit brut intérieur de l’UE en 2011. Ces 400 milliards d’euros de PIB supplémentaires permettraient de recueillir 104 milliards d’euros d’impôts en plus. La croissance ferait rentrer 56 milliards d’euros en plus dans les caisses de la sécurité sociale. Il en découlerait par ailleurs 20 milliards d’euros d’économies obtenues grâce à la diminution des dépenses liées au chômage. Le plan générerait au total 180 milliards de recettes supplémentaires et d’économies dont la jouissance reviendrait uniquement aux pays de l’UE.

Par ailleurs, la substitution des importations en pétrole et gaz – qui ne mobilisent qu’un nombre réduit de salariés locaux – à un approvisionnement en énergie sobre en carbone – qui requiert un nombre beaucoup plus important d’emplois – diminuera à long terme le taux de chômage et allégerait les budgets des pays de l’UE. A long terme, de 9 à 11 millions de nouveaux emplois porteurs à temps plein pourraient être créés ici et les importations annuelles d’énergie diminueraient de 300 milliards d’euros. Une telle démarche aurait aussi l’avantage de reconnecter l’économie financière avec l’économie réelle et de réduire ensuite son poids. Une proposition dont les conséquences n’ont pas manqué d’interpeller les représentants de salariés luxembourgeois.