Au terme de longues négociations, qui ont duré plus d’une douzaine d’heures, les ministres en charge du Commerce extérieur qui étaient réunis en Conseil à Luxembourg le 14 juin 2013 sont parvenus à s’entendre pour ouvrir les négociations sur le partenariat transatlantique.
Il s’agissait de tomber d’accord sur le mandat de négociations sur la base duquel la Commission va pouvoir engager les discussions avec les Etats-Unis pour négocier au nom de l’UE cet accord de libre-échange dont la Commission escompte qu’il va créer de la croissance et de l’emploi.
Le coup d'envoi des négociations devrait être donné dans la foulée à l'occasion du G8 du 17 juin 2013
Le mandat de négociations dont est désormais munie la Commission s’articule autour de trois axes : l’accès au marché, la convergence réglementaire et des règles commerciales pour faire face aux défis mondiaux communs.
L’accord a pour objectif de s’approcher autant que possible de la fin de tout droit de douane sur le commerce transatlantique de produits industriels et agricoles, avec un traitement spécial pour les produits les plus sensibles. Les barrières douanières transatlantiques sont assez basses actuellement, se situant autour de 5,2 % pour l’UE et de 3,5 % pour les Etats-Unis, mais vu l’ampleur des échanges commerciaux, le coût engendré est loin d’être négligeable.
L’accord vise aussi à réconcilier les approches de l’UE et des Etats-Unis sur les règles d’origine dans l’objectif de faciliter le commerce, tout en tenant compte des intérêts des producteurs.
En matière de défense commerciale, l’UE espère aussi établir un dialogue régulier avec les Etats-Unis sur les mesures anti-dumping et compensatoires.
En ce qui concerne les services, les deux parties devraient ouvrir leurs secteurs des services au moins autant qu’elles l’ont fait dans d’autres accords commerciaux déjà conclus. Les deux parties devraient aussi s’efforcer d’ouvrir leurs marchés de services à de nouveaux secteurs, comme les transports. L’UE veut aussi s’assurer de la reconnaissance des qualifications professionnelles européennes outre-Atlantique, et veiller à ce que les entreprises européennes et leurs filiales puissent être en mesure d’opérer aux Etats-Unis dans les mêmes conditions que les entreprises américaines.
En termes d’investissements, l’objectif est d’atteindre les plus hauts niveaux de libéralisation et de protection de l’investissement négociés par chacune des parties dans d’autres accords commerciaux existants. L’UE va se baser sur l’expérience de ses Etats membres et sur les meilleurs exemples d’accords d’investissement bilatéraux. L’UE souhaite inclure dans l’accord des garanties de protection contre l’expropriation, une règle de libre transfert de fonds et de traitement équitable pour les entreprises européennes investissant aux Etats-Unis. Le mandat donné à la Commission pour négocier inclut un règlement des différends entre investisseurs et États, ainsi que des garanties pour éviter tout abus du système et pour protéger le droit de réguler.
Pour ce qui est des marchés publics, l’objectif est d’ouvrir l’accès aux marchés publics à tous les niveaux de gouvernement aux entreprises européennes, et ce sans discrimination, ce qui va impliquer aussi pour l’UE la nécessité d’augmenter la transparence dans les procédures de soumission et de se défaire des exigences de contenu local.
L’objectif de cet accord commercial est de réduire les coûts superflus et les délais liés aux différences de standards de sécurité ou environnementaux, tout en maintenant de hauts niveaux de protection.
Au cours des négociations, il va donc être question de règles sanitaires et phytosanitaires, ou encore d’obstacles techniques au commerce. Les négociateurs devraient aussi travailler à la compatibilité réglementaire dans des secteurs comme la chimie, les TIC, la pharmacie et les secteurs de santé, ou encore l’automobile.
Le besoin de convergence réglementaire ne se limitant pas au commerce de biens, les négociations vont aussi porter sur les services financiers, l’idée étant d’envisager la mise en place de cadres communs pour la coopération prudentielle.
Dans la mesure où toutes les divergences réglementaires ne pourront être rayées d’un seul trait, les deux parties envisagent un cadre pour un accord évolutif qui permettra une convergence progressive dans le temps sur la base d’objectifs définis et d’un calendrier préétabli.
De par son ampleur, l’accord devrait permettre d’aborder des domaines allant au-delà du commerce bilatéral entre l’UE et les Etats-Unis et devrait contribuer à renforcer le système commercial multilatéral.
Les deux parties tiennent à promouvoir un haut niveau de protection de la propriété intellectuelle. Au vu de l’efficacité de leurs systèmes respectifs, l’objectif de l’accord n’est pas une harmonisation, mais d’identifier un certain nombre de domaines dans lesquels les divergences pourraient être traitées. Du côté de l’UE, les négociations vont notamment porter sur la protection des indications géographiques.
Les négociations devraient aussi porter sur les aspects sociaux et environnementaux du commerce et du développement durable sur la base des accords commerciaux déjà existants conclus par chacune des deux parties.
Les négociations vont aussi porter sur la modernisation et la simplification des aspects commerciaux des droits de douane, sur la concurrence et les entreprises d’Etat, les matières premières et l’énergie, les PME et la transparence.
Le principal enjeu des discussions des ministres du Commerce extérieur fut toutefois le sort réservé aux services audiovisuels. En effet, la France avait dès avant la réunion annoncé fermement qu’elle ferait usage de son droit de veto pour faire en sorte que ce domaine soit exclu du mandat de négociation et du futur accord de libre-échange. Or, l’unanimité était requise.
"La France ne vous surprendra pas. Elle refuse le projet de mandat, elle refusera tout mandat qui ne comportera pas une protection des services culturels et l'exclusion claire et explicite du secteur audiovisuel", avait prévenu une nouvelle fois la ministre française du Commerce, Nicole Bricq, à son arrivée à Luxembourg. "C'est un principe de liberté qui est en jeu", a-t-elle plaidé devant ses homologues en soulignant, que "les révolutions technologiques vont obliger nos créateurs, nos industries culturelles à repenser totalement leurs modèles de création et de diffusion".
En fin de compte, les services audiovisuels ne sont pas inclus dans le mandat donné à la Commission pour entamer les négociations avec les Etats-Unis. Mais la Commission aura la possibilité de revenir ultérieurement vers le Conseil pour demander de nouvelles directives de négociations, en fonction de l’avancement des discussions avec les Etats-Unis. Et ce y compris sur ce sujet sensible, comme n’a pas manqué de le souligner le commissaire en charge du Commerce extérieur, Karel De Gucht, à l’issue des négociations.
A l’issue de la réunion, Nicole Bricq s’est pour sa part félicitée d’avoir "obtenu l'exclusion de tout ce qui concerne l'audiovisuel", tandis que sa collègue en charge de la culture, Aurélie Filipetti, clamait "une victoire de la France". Dans l’hypothèse où la Commission propose de réviser les termes du mandat ultérieurement et d’y inclure les services audiovisuels, la ministre du Commerce a aussi souligné qu’il faudrait alors redemander l’avis de la France, selon la même procédure. "Et on dirait une nouvelle fois non", a-t-elle assuré.
Les représentants du secteur de l’audiovisuel français, dont les revendications étaient soutenues par plusieurs de leurs confrères luxembourgeois, ont fait part de leur soulagement au lendemain de cet accord.
Pour autant, dans un entretien qu’il a donné à l’International Herald Tribune publié le 17 juin 2013, José Manuel Barroso n’a pas caché son amertume, jugeant "totalement réactionnaire" la volonté d’exclure les services audiovisuels de ce mandat. Les tenants de l’exception culturelle "ne comprennent pas les bénéfices qu'apportent la globalisation y compris d'un point de vue culturel, pour élargir nos perspectives et avoir le sentiment d'appartenir à la même humanité", cite le journal.