Le 6 juin 2013, le Washington Post et le Guardian révélaient que le renseignement américain récoltait les relevés téléphoniques aux États-Unis et aurait accès aux serveurs des grands groupes informatiques comme Google et Facebook, des pratiques héritées de l'ère Bush et approuvées par l'administration de Barack Obama. Entre 2007 et 2011, les sites de Microsoft, Google, Yahoo!, Facebook, YouTube, Skype, AOL et Apple ont commencé à être intégrés dans un programme secret de l'Agence nationale de sécurité (NSA) pour que ses analystes puissent consulter directement et en temps réel les courriels envoyés sur Hotmail ou Gmail, ainsi que toutes conversations, photos, vidéos et chats internet sur ces sites. L'existence de ce programme PRISM a été défendue par le président américain, Barack Obama, qui a indiqué qu'il "ne s'appliquait pas aux citoyens américains" ni aux "personnes qui vivent aux Etats-Unis". Il a défendu la nécessité d'un "compromis" entre la "sécurité" des Américains et "la protection de la vie privée".
Ces révélations ont suscité partout de vives réactions. Et l’UE n’est pas en reste.
Ainsi, la commissaire Cecilia Malmström affichait-elle depuis Luxembourg, où se tenait un Conseil JAI, sa préoccupation quant aux "possibles conséquences pour la vie privée des citoyens européens" d’une telle pratique. Elle restait toutefois prudente, jugeant qu’il était "trop tôt pour tirer des conclusions" et annonçant que les services de la Commission allait contacter les personnes compétentes aux Etats-Unis "pour obtenir plus d'informations".
Les socialistes européens avaient pour leur part aussitôt appelé la Commission européenne à "défendre les standards européens en matière de protection de la vie privée dans le cadre des négociations commerciales" avec les Etats-Unis". La Commission "doit s'assurer" du respect des "standards les plus élevés en matière de protection des données privées" dans le cadre des futures négociations avec les États-Unis pour un accord de libre-échange, déclarait dans un communiqué le président du groupe socialiste au Parlement européen, Hannes Swoboda. "La protection des données privées est un droit absolu qui doit être respecté, à la fois par les gouvernements et pas les groupes privés", soulignait-il. "Récolter des informations auprès de serveurs de compagnies privées, sans en informer la compagnie ou les utilisateurs concernés, ne répond en aucune façon aux règles européennes sur la protection des données privées", rappelait-il avant de demander à la Commission de "vérifier" si cette législation était "respectée dans des cas impliquant des citoyens de l'UE".
Le groupe des libéraux et démocrates au Parlement européen s’est lui aussi saisi du sujet et a réussi à l’inscrire à l’ordre du jour de la séance plénière du Parlement européen le 11 juin. Lors de ce débat, les condamnations ont été unanimes.
Pour Sophia in't Veld, qui s'exprimait au nom de l'ALDE, "500 millions d'Européens ont été choqués". Ce programme est un "énorme problème" mais, a-t-elle ajouté "nous ne devons pas feindre d'être surpris, on sait qu'ils nous espionnent mais on parle à un mur quand on leur pose des questions".
Pour le représentant du PPE, Manfred Weber, "c'est préoccupant quand on voit ça". Il s’est dit "très inquiet de la quantité de données concernées". L’eurodéputé réclame la "transparence de la part des compagnies" et appelle à mettre en place "des normes harmonisées et peut-être définir des normes internationales".
Pour le groupe S&D, ces révélations sont d'abord une "grave rupture de confiance" avec les États-Unis, a dit Claude Moraes. Il faut "savoir ce qu'ils ont fait avec cette surveillance" et toutes ces informations "qui ne sont pas nécessaires et brisent la confiance", a-t-il déclaré. Pour l’eurodéputé britannique, il est plus que jamais nécessaire de trouver l'équilibre entre "sécurité et nécessité de protéger les données". Et la réunion ministérielle UE/États-Unis qui se tient en fin de semaine à Dublin doit "être l'occasion de parler de cela".
Une réunion est en effet prévue vendredi à Dublin et doit réunir les ministres américains de la Sécurité intérieure, Janet Napolitano, et de la Justice, Eric Holder, ainsi que les commissaires européennes chargées des Affaires intérieures, Cecilia Malmström, et de la Justice, Viviane Reding. Le même jour doit se tenir un Conseil Affaires étrangères consacré au commerce dont l’objectif est de trouver un accord sur le mandat à donner à la Commission pour négocier avec les Etats-Unis un futur accord de libre échange.
Tonio Borg, commissaire en charge de la Santé, représentait la Commission lors de ce débat au Parlement européen, et il a répété le mécontentement de la Commission vis-à-vis du programme PRISM. Il a assuré les eurodéputés que l'UE devait absolument être "capable de réagir à ce genre de scandales" et obtenir des États-Unis le même niveau de protection et de recours qu'ils offrent à leurs compatriotes. Mais le commissaire a aussi jugé qu'il ne fallait pas perdre de vue les objectifs de tels programmes de surveillance ni "oublier notre vrai ennemi: le terrorisme, qui nécessite d'obtenir de bons renseignements". Les terroristes "eux n'ont pas de règles", a ajouté le commissaire, préconisant que l'on trouve rapidement un équilibre entre les "droits et des devoirs".
Entretemps, on apprenait par l’agence AFP que la commissaire en charge de la Justice, Viviane Reding, avait d’ores et déjà adressé au ministre américain de la Justice, Eric Holder, un courrier daté du 10 juin dans lequel elle lui demande "des explications et clarifications sur le programme Prism et d'autres programmes américains impliquant la collecte et la recherche de données, ainsi que sur les lois qui autorisent de tels programmes".
"Compte tenu de la gravité de la situation", Viviane Reding demande des "réponses rapides et concrètes" à une série de questions qu'elle pose dans la missive: ces programmes visaient-ils uniquement des résidents américains ou principalement des citoyens étrangers et européens? Quelle est leur portée? Sont-ils limités à des cas spécifiques et individuels, déterminés sur base de quels critères?
Dans sa lettre, la vice-présidente de la Commission rappelle que "le respect des droits fondamentaux et de l'Etat de droit constitue le fondement des relations entre l'UE et les Etats-Unis". Or, "des programmes comme Prism et les lois qui autorisent de tels programmes pourraient entraîner de graves conséquences pour les droits fondamentaux des citoyens européens", poursuit Viviane Reding.
"Comme vous le savez, la Commission européenne est responsable devant le Parlement européen, qui devrait probablement évaluer la relation transatlantique à la lumière de vos réponses", écrit-elle. Ce que l’AFP entend comme une manière de laisser entendre que cette affaire pourrait avoir des répercussions sur le futur accord de libre-échange entre l'UE et les Etats-Unis.