Principaux portails publics  |     | 

Transports
La Cour de justice de l’Union européenne estime que les passagers de train ont droit à un remboursement partiel du prix de leur billet en cas de retard, même s’il est dû à un cas de force majeure
26-09-2013


CJUEDans son arrêt sur l’affaire C-509/11 ÖBB-Personenverkehr (DE) rendu le 26 septembre 2013, la Cour de justice de l’Union européenne estime que les voyageurs ont droit au remboursement partiel du prix de leur billet de train en cas de retard de plus d’une heure, même si ce retard est dû à un cas de force majeure. Ainsi, selon cette jurisprudence, ni les intempéries ni les grèves par exemple ne peuvent être invoquées par les sociétés de chemin de fer pour refuser une indemnisation au voyageur lésé.

La Cour administrative autrichienne est à l’origine de la question préjudicielle posée à la CJUE. Elle devait statuer sur un recours introduit par la compagnie ferroviaire autrichienne ÖBB-Personenverkehr AG contre une décision du 6 décembre 2010 par laquelle la commission autrichienne de contrôle ferroviaire l’a contrainte à supprimer de ses conditions générales une disposition qui excluait toute indemnisation en cas de force majeure, parce qu’elle n’était pas conforme à l’article 17 du règlement n° 1371/2007.

Dans son arrêt, la Cour constate, tout d’abord, que le règlement lui-même, par son article 17, n’exonère pas les entreprises ferroviaires de leur obligation d’indemnisation relative au prix du billet lorsque le retard est imputable à un cas de force majeure.

La société autrichienne se référait à l’article 32 de ce règlement, qui reprend, en annexe, les "règles uniformes" concernant le contrat de transport international ferroviaire des voyageurs et des bagages (en vertu de la convention relative aux transports internationaux ferroviaires du 9 mai 1980, telle que modifiée par le protocole de Vilnius du 3 juin 1999). Cet article, vers lequel l’article 15 opère un renvoi, prévoit que la responsabilité du transporteur est exclue lorsque le retard est dû à la survenance d’un cas de force majeure, en l’occurrence lorsqu’il est dû à une faute du voyageur, au comportement d’un tiers ou à des circonstances extérieures à l’exploitation ferroviaire que "le transporteur (…)  ne pouvait éviter et aux conséquences duquel il ne pouvait obvier", à une limitation du trafic en raison d’une grève et à des prestations de transport ne faisant pas partie du contrat de transport.

Mais, la Cour considère que le transporteur ne peut pas invoquer les règles du droit international pour se soustraire à son obligation de remboursement, dans la mesure où les Etats parties à la Convention n’en appliquent les règles "que dans la mesure où il n’existe pas de règle de l’Union régissant le sujet particulier concerné". Or, l’article 17 règle ce sujet. 

Une différence entre indemnisation calculée sur la base du prix du billet et réparation du dommage consécutif au retard

De surcroît, la Cour estime que l’article 17 et l’article 32 n’ont pas le même objet. Les "règles uniformes", reprises dans l’article 32, qui déchargent le transporteur de son obligation de dédommagement en cas de force majeure, "portent uniquement sur le droit des voyageurs à la réparation du dommage consécutif au retard ou à l’annulation d’un train".

L’article 17 prévoit pour sa part une indemnisation "calculée sur la base du prix du billet de transport". Ainsi, il "a une toute autre vocation, à savoir celle de compenser le prix payé par le voyageur en contrepartie d’un service non-exécuté conformément au contrat de transport", résume la CJUE dans son communiqué de presse. "Il s’agit, en outre, d’une forme de compensation financière à caractère forfaitaire et standardisée, à la différence du régime de responsabilité prévu par les règles uniformes qui implique une évaluation individualisée du dommage subi", ajoute-t-elle. De la sorte, les causes d’exonération de la responsabilité du transporteur énoncées par la convention internationale ne sont pas applicables à l’indemnisation prévue par le règlement. D’ailleurs, l’indemnisation n’empêche pas ceux-ci "d’intenter, par ailleurs, des actions en réparation au titre dudit article 32, paragraphe 1, desdites règles uniformes ou, en application de l’article 32, paragraphe 3, de celles-ci, sur la base du droit national applicable".

La Cour mentionne également l’intention du législateur, qui abonde en faveur de son interprétation. "Les travaux préparatoires du règlement révèlent sans équivoque que le législateur de l’Union a voulu étendre l’obligation d’indemnisation aux cas où les transporteurs sont exonérés de leur responsabilité de réparation en vertu des règles uniformes." De surcroît, lors de l’adoption du règlement européen, le Conseil de l’UE a rejeté un amendement du Parlement européen visant à préciser que l’article 32, paragraphe 2, desdites règles uniformes s’applique également aux dispositions figurant dans les articles 16 et 17 du règlement n° 1371/2007.

La Commission européenne, d’accord avec le gouvernement allemand et ÖBB-Personenverkehr, avait pour sa part soumis des commentaires écrits à la CJUE pour souligner que les règles en vigueur limitent la responsabilité des entreprises de chemins de fer en cas de force majeure.

De même, partageant les vues de l’ÖBB-Personenverkehr AG, la Commission estimait qu’il était possible d’appliquer par analogie des règlements européens relatifs à la force majeure contenues dans les dispositions sur les droits des voyageurs empruntant d’autres moyens de transport, tels que l’avion, le bateau, l’autocar et l’autobus. "Compte tenu de leurs modalités de fonctionnement, des conditions de leur accessibilité et de la répartition de leurs réseaux", la situation des entreprises intervenant dans les différents secteurs du transport n’est pas comparable, a rétorqué la Cour.

La Communauté européenne du rail (CER) et le Comité international de transport ferroviaires (CIT) dénoncent une violation du principe de règles de concurrence équitables entre les modes de transport

Dans un communiqué de presse conjoint, diffusé le jour de la publication de l’arrêt, la Communauté européenne du rail (CER) et le comité international de transport ferroviaires (CIT) continuent de penser que la responsabilité des sociétés devrait être limitée en cas de force majeure, eu égard à l’annexe du règlement qui renvoie à la Convention internationale , et du fait qu’il s’agit d' "un principe général du droit contractuel".

Ils estiment ensuite que le rail est désormais défavorisé par rapport à d’autres modes de transport. "Si les chemins de fer comprennent ce jugement comme aspirant à un haut niveau de protection du consommateur, ils questionnent la proportionnalité de cette décision dès lors que d’autres modes de transport ne sont pas obligés de payer une compensation pour des retards en cas de circonstances extraordinaires", lit-on dans le communiqué de presse qui évoque une violation du "principe de conditions de concurrence équitables entre les modes de transport".

Ils appellent ainsi les décideurs européens à fournir une "application plus harmonisée et cohérente" du principe de force majeure à travers les différents modes de transport et renvoient au rapport sur la mise en place du règlement sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires, dans lequel la Commission confirme son intention d’aligner les obligations incombant aux différents modes de transport en dispensant les chemins de fer de payer des compensations en cas de force majeure.

"Nous soutiendrons nos membres pour appliquer le règlement et afin que les passagers internationaux bénéficient de leurs droits, confirmés par la CJUE", a ajouté le secrétaire général du CIT, Cesare Brand. Avant de mettre en garde sur le fait que cela "pourrait avoir un impact sur les prix".

Le gouvernement allemand s’était engagé dans cette affaire pour contester l’extension de l’indemnisation des billets en cas de force majeure. Après que l’arrêt a été connu, la société allemande de chemins de fer, la Deutsche Bahn, s’est cependant réjouie de la "sécurité juridique" qu’apporte cet arrêt. Une porte-parole a souligné que la société avait fait jusqu’ici "un usage retenu" de cette exception. La société nationale des chemins de fer belges (SNCB) a dit qu’elle allait étudier l’arrêt tandis que sa consœur française (SNCF) ne s’est pas manifestée.

Les conséquences pour les voyageurs luxembourgeois sont limitées

Les voyageurs luxembourgeois pourront désormais demander l’indemnisation prévue par le règlement, à savoir au minimum de 25 % du prix du billet en cas de retard d’une durée comprise entre 60 et 119 minutes et de 50 % de ce prix en cas de retard de 120 minutes ou plus, mais uniquement pour les voyages internationaux ou effectués à l’étranger.  Les voyages en direction de la Grande Régionn au départ du Luxembourg, en sont exclus .

En effet, le Luxembourg a adopté en décembre 2009 une dérogation, permise par le règlement européen sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires, par laquelle "les services ferroviaires urbains, suburbains et régionaux" de transport de voyageurs ne sont pas soumis, entre autres, aux articles 15 à 17. Or, le règlement grand-ducal entend par "services ferroviaires régionaux" tous services de transport par chemins de fer entre deux gares luxembourgeoises ainsi qu’entre une gare luxembourgeoise et une gare de la Grande Région, c’est-à-dire située soit dans les Régions allemandes de la Sarre et de la Rhénanie-Palatinat, soit dans les Provinces belges de Luxembourg et de Liège ou soit dans la Région française de Lorraine.