Le 22 janvier 2014, la Commission européenne a mis sur la table son paquet climat/énergie, dans lequel elle propose notamment les objectifs de l’UE pour 2030 en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre, d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables. Elle recommandait le même jour des principes minimaux applicables par les Etats membres désireux d’exploiter les ressources en gaz de schiste sur leur territoire.
Aussitôt, les réactions ont été nombreuses sur ces deux dossiers qui, à en croire les informations obtenues par l’AFP, ont été indissociables dans les discussions qui ont conduit le collège des commissaires à faire ces propositions. L’agence de presse indique en effet que, pour pouvoir fixer l’objectif de 40 % de réduction des gaz à effet de serre d’ici 2030 et pour pouvoir donner un objectif contraignant en matière d’énergies renouvelables, il a fallu batailler. Et il semble que le fait de renoncer à fixer un cadre réglementaire contraignant à l’exploitation des gaz de schiste ait permis de sauver le paquet climat/énergie. "Aller contre la volonté du Royaume-Uni et de la Pologne [...] aurait condamné le paquet Energie-Climat 2030 à l'échec", explique en effet l’afp, sans citer explicitement sa source.
Au Parlement européen, où les commissions de l’Environnement (ENVI) et de l’Industrie (ITRE) avait adopté leur position le 9 janvier dernier, appelant la Commission à fixer trois objectifs contraignants pour 2030, les réactions ont été mitigées.
Pour le président de la commission ENVI, Matthias Groote (S&D),"mis à part l'objectif de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre, ces objectifs ne répondent pas aux mesures nécessaires et ne sont pas crédibles auprès de nos partenaires internationaux". Le parlementaire, qui plaide en faveur d’un "engagement politique fort pour la réduction de nos émissions, pour les énergies renouvelables et pour l’efficacité énergétiques" regrette "que la Commission se soit laissée hypnotiser par ceux qui prétendent que des objectifs climatiques et énergétiques ambitieux représentent un coût, et qu'elle n'ait pas proposé d'objectifs contraignants en termes d'efficacité énergétique".
Anne Delvaux (PPE), co-rapporteur de la commission de l'environnement, estime pour sa part que la proposition de la Commission est "une base de travail acceptable", mais qu’elle "doit être renforcée". Le principal objet de sa déception est que "nous ne puissions pas encore confirmer les nombreux bénéfices de l'efficacité énergétique".
Pour Amalia Sartori (PPE), présidente de la commission de l'industrie et de l'énergie, "l’UE a été toujours été très ambitieuse dans ses politiques". "Nous devons être pragmatiques lorsque nous établissons les perspectives à long terme: les implications que les objectifs en matière d'énergie et de climat pourraient avoir sont énormes pour les entreprises, les citoyens et la communauté dans son ensemble", estime-t-elle.
Le conservateur polonais Konrad Szymański, co-rapporteur de la commission de l'industrie et de l'énergie, estime pour sa part que la Commission est allée trop loin. "La Commission européenne n'a rien compris à l'impact et l'influence actuels de la politique climatique sur l'économie de l'UE", juge-t-il, considérant qu’accroître l'objectif contraignant pour les énergies renouvelables à 27 % "ne prend pas en compte l'impact du prix de l'électricité de cette politique" et qu’augmenter l'objectif de réduction de CO2 à 40 % est "à tout le moins prématuré".
Pour le groupe des Verts/ALE, la Commission a au contraire manqué d’ambition dans ses propositions. "Les forces conservatrices au sein de la Commission et dans certains Etats membres nous livrent aujourd’hui une contre-révolution pour l’atome, le charbon et les gaz de schiste", a commenté Rebecca Harms, présidente du groupe des Verts. Les objectifs visés vont d’après elle "bloquer le développement des énergies renouvelables" et restent "bien en deçà de ce qui est nécessaire pour lutter contre le changement climatique". Du point de vue des Verts en effet, l’objectif contraignant de 40 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre ne suffit pas. D’autant plus que le chiffre peut être réduit à 33 % si l’on compte les certificats excédentaires que compte le système européen d’échange de quotas, calculent-ils, en déplorant que la proposition de réforme du système ne soit pas en mesure de résoudre le problème.
En ce qui concerne les recommandations sur l’exploitation du gaz de schiste, Michèle Rivasi, vice-présidente du groupe des Verts, juge inacceptable le recul de la Commission. Pour la corapporteure du rapport d'initiative du Parlement européen sur les gaz et huiles de schiste, ce recul est inacceptable. "L'absence de proposition législative, compensée par un ensemble de recommandations non contraignantes, est un désaveu pour l'ensemble des citoyens européens qui comptaient sur nos institutions pour garantir leur sécurité", estime-t-elle.
L’eurodéputé luxembourgeois Claude Turmes considère pour sa part que la Commission donne "carte blanche aux Etats membres pour renforcer les sources d’énergie dangereuses, nuisibles pour la santé et peu sûres que sont les gaz de schiste, le charbon et le nucléaire". "Le président de la Commission Barroso tombe à genoux devant les conservateurs européens comme David Cameron et renvoie la politique climatique et environnementale à des décennies en arrière", accuse l’eurodéputé. Il déplore en effet que la Commission veuille fixer un objectif contraignant en matière d’énergies renouvelables sans que les Etats membres ne soient pour autant obligés d’atteindre des objectifs nationaux. Ce qu’il dénonce comme de "l’esbroufe".
"Le Parlement européen ne va pas accepter cette farce", assure Claude Turmes qui espère que les dix Etats membres qui plaident pour des objectifs ambitieux en matière d’énergies renouvelables, que le Luxembourg vient de rejoindre, vont s’opposer à cette proposition.
L’eurodéputé luxembourgeois Robert Goebbels (S&D) s’est pour sa part félicité de "la décision de la Commission européenne ne pas vouloir légiférer inutilement en matière de l'exploitation éventuelle de gaz de schiste dans un pays quelconque de l'Union européenne". "Pour une fois la Commission ne se plie pas aux vociférations de la soi-disant société civile", salue l’eurodéputé qui considère que "la campagne de désinformation contre les effets supposés du fracking défie la réalité de la situation".
"Toute technologie comporte des risques. Mais ces risques sont maîtrisables", assure Robert Goebbels qui s’appuie sur l’Académie des Sciences française qui a demandé récemment "un effort de recherche national" afin de valoriser les énergies fossiles non conventionnelles. Le parlementaire et ancien ministre de l’Economie rappelle que l’exploitation des gaz de schiste a "conduit notamment aux États-Unis à une situation où le coût de l'énergie est devenu moins cher, et où les émissions de CO2 liées à la production d'électricité ont pu être réduites". Il plaide ainsi pour que l’UE exploite son potentiel d’énergies non conventionnelles et cesse "son angélisme prôné par les tenants de la pensée unique verte".
Un avis sans aucun doute partagé par les représentants du secteur, réuni au sein de l’association Shale Gas Europe. Cette dernière a immédiatement salué la décision de la Commission, certes en des termes plus neutres, la qualifiant de "pas en avant" dans la bonne direction.
Pour déi Lénk, "sans objectifs contraignants, la politique climatique va succomber aux intérêts de la concurrence et de la soif de profit des grands groupes". Pour les représentants de la gauche luxembourgeoise, contrairement à ce qu’a expliqué la Commission en craignant que des objectifs contraignants en matière d’énergies renouvelables n’aient des conséquences en matière d’entraves à la libre concurrence, il aurait fallu renforcer au contraire les objectifs contraignants pour pouvoir au moins freiner le réchauffement climatique. Mais, déplorent-ils, "les intérêts à court terme des industriels et des fournisseurs d’énergie se sont malheureusement imposés".
Les représentants du parti appellent donc le gouvernement luxembourgeois à s’engager contre cette décision, même si les objectifs peu ambitieux du Luxembourg en matière d’énergies renouvelables les font douter.
Quelques jours auparavant, déi Lénk avaient réagi en amont de la proposition de la Commission concernant les gaz de schiste. Les rumeurs couraient alors que la Commission était sur le point de renoncer à introduire un cadre contraignant à l’exploitation du gaz de schiste et du fracking. L’inquiétude ressortait avant tout de ce communiqué de presse qui évoquait les risques que cette technologie fait peser en termes de pollution de l’eau et des terres. Déi Lénk appelaient par conséquent le gouvernement à interdire la fracturation hydraulique par voie légale au Luxembourg pour couper court à toute expérimentations ou forage de prospection.