Le 15 mars 2014, le parti Déi Lénk avait invité dans le cadre du Festival des migrations des représentants de partis membres du Parti de la Gauche européenne des pays sous programme d’ajustement structurel à parler d’une "alternative de gauche pour l’Europe".
Ont participé au débat Maite Mola de l’Izquierda Unida espagnole, qui est aussi vice-présidente du Parti de la Gauche Européenne, Natassa Theodorakopoulou, membre du Comité Central du parti grec Syriza, Roger Tirlicien, le secrétaire du PCF de la Moselle, Renato Soeiro du Bloco de Esquerda portugais, et qui représente ce parti à la direction du Parti de la Gauche Européenne, et puis André Hoffmann de Déi Lénk, député honoraire et candidat tête de liste de ce parti pour les élections européennes.
L’animatrice du débat, Fabienne Lentz, a introduit le sujet : "Les pays européens, notamment au sud de l’Europe, sont confrontés à des politiques d’austérité extrêmement brutales. Des privatisations de biens et de services publics, un démantèlement des acquis sociaux et une dégradation des conditions de travail sont imposés de manière autoritaire par l’Union européenne et le FMI. Cette politique d’austérité a conduit à l’aliénation sociale croissante qui constitue le fondement de l’affluence préoccupante que connaissent les partis nationalistes et xénophobes en Europe."
Et de poser les questions à aborder: "Quel projet de refondation de l’Europe les partis de gauche opposent-ils aux dérives ultralibérales de l’Union européenne ? Quelles alternatives la gauche de la gauche propose-t-elle face à une crise sociale qui ne cesse de s’aggraver ? Quel est l’enjeu des élections européennes face à la montée de l’extrême droite?"
Maite Moila a évoqué une Espagne qui est "obligée par la Troïka à baisser les salaires" et où des millions de personnes doivent vivre avec moins de 600 euros par mois. Pour elle, une politique de gauche doit se décliner dans l’UE en six axes d’action :
Le propos de Natassa Theodorakopoulou du Syriza était de montrer que la Grèce a été dévastée par la politique d’austérité de la Troïka qui a été approuvée par l’UE. Le chômage serait passé de 8,6 % à 27,6 %. 70 % des chômeurs sont des chômeurs à long terme. Plus de 55 % des jeunes sont sans travail. 23,1 % des Grecs, soit 3,8 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté avec moins de 400 euros par mois. Le salaire minimum a baissé de 23,8 %, et est à 75 % du SMIC portugais. Le revenu réel des gens a baissé de 30 % entre 2010 et 2014. Les salaires et les pensions ont baissé, mais les taxes ont augmenté de 52 %. La hausse des biens communs – eau, gaz, électricité – a beaucoup augmenté. La dette publique a augmenté depuis le début de la crise.
"La société grecque a été détruite pour rien du tout", estime Natassa Theodorakopoulou. Avec le TTIP, ce sera encore plus facile pour les investisseurs de racheter le patrimoine public. Le Syriza veut "faire tomber le gouvernement et bloquer les politiques en cours". Et dans cette perspective, "les élections sont très importantes, car si le Syriza obtient un bon score, il est possible d’avoir des élections anticipées dont sortira un gouvernement de gauche".
Dans un second temps, Natassa Theodorakopoulou a expliqué pourquoi le Parti de la Gauche européenne avait désigné le président du Syriza Alexis Tsipras comme sa tête de liste aux élections européennes pour contrer la Commission et sa vision de la démocratie européenne et être "la seule alternative à Schulz, Juncker et Verhofstadt" dont les partis "ont appuyé la politique d’austérité". Sa désignation n’est pas un soutien à la Grèce, mais une manière de montrer que les enjeux dans l’UE ne sont ni de dire oui ou non à l’UE, ni une lutte entre le Nord et le Sud de l’Europe, mais qu’il s’agit "d’unir les peuples européens qui souffrent contre les banques, les capitalistes et les élites". Alexis Tsipras préside "un parti de gauche dans un pays qui est un laboratoire de la politique d’austérité, mais qui est malgré tout un parti fort qui peut arriver au pouvoir". Et cela, "c’est important pour toute l’Europe".
Pour Natassa Theodorakopoulou, il faut "montrer que la Gauche est capable de convaincre le peuple malgré la crise et de prendre le pouvoir". Si les médias montrent que les fascistes en Europe peuvent également gagner beaucoup de sièges aux élections européennes, estime la politicienne grecque, "ce n’est pas la faute à la Gauche, mais à la politique d’austérité". Avec la Gauche, "l’avenir de l’Europe pourra être différent", a-t-elle conclu.
André Hoffmann a, en tant que Luxembourgeois, abordé le fait que "le Luxembourg fournit le candidat tête de liste des conservateurs". Il s’en est pris à Jean-Claude Juncker, qui pour lui jongle aisément "entre la rhétorique et la réalité". Pour André Hoffmann, ce dernier aurait donné raison aux orateurs qui l’ont précédé de critiquer le manque de politique sociale et de solidarité, et aurait jugé lui aussi catastrophique l’austérité. Il aurait même promis qu’il agirait de manière différente, que l’UE serait sous sa direction plus sociale et démocratique.
Mais, a-t-il rappelé, "Jean-Claude Juncker a été pendant huit ans le président de l’Eurogroupe, ce groupe obscur qui n’est pas prévu par les traités mais qui cependant décide, par exemple sur le sort de la Grèce". André Hoffmann a mis en avant que "Jean-Claude Juncker est perçu par la gauche comme sympathique". Pourtant, il a été selon lui pendant ces huit années "l’artisan de la politique d’austérité". Il ressort du rapport du Parlement qui a enquêté sur la Troïka, a pointé André Hoffmann, que Jean-Claude Juncker a admis qu’il ne s’était pas intéressé aux mesures concrètes de cette Troïka, et "c’est officiel".
L’ancien député s’en est pris ensuite au gouvernement luxembourgeois "qui a toujours eu une attitude ambiguë en demandant d’un côté plus d’Europe, et en défendant de l’autre côté des intérêts économiques et financiers particuliers", et ce pour mettre en question l’idée d’un Luxembourg "élève modèle de l’UE".
André Hoffmann s’est aussi demandé s’il s’agit en Europe d’une crise de la dette ou d’une crise du système capitaliste. Il a insisté sur le fait qu’avant la crise, il n’y a pas eu d’explosion des dépenses publiques. La part de la dépense publique par rapport au PIB avait même diminué de 3 %. Le problème est que les recettes publiques ont diminué. Il y au "une contrerévolution fiscale", d’après la formule de Thomas Piketty. On est passé "d’une fiscalité de la redistribution à une concurrence fiscale entre Etats membres qui est la source essentielle de nos problèmes". Et d’ajouter : "Le Luxembourg est champion dans ce jeu-là." André Hoffmann a cité dans ce contexte l’ancien ministre des Finances Luc Frieden, qui a défendu à plusieurs reprises la concurrence fiscale comme moyen d’empêcher la hausse des impôts et d’augmenter la compétitivité d’un pays, pour conclure : "Jean-Claude Juncker, on ne vous croit pas !"
Le communiste français Roger Tirlicien a surtout abordé la question de l’extrême droite qui cherche à tirer profit de la crise et des rancunes nationales et à l’égard des étrangers qu’elle a déclenchées. Le parti d’extrême droite français, le Front national (FN) essaie de "se parer des vertus démocratiques", d’être "un parti comme les autres" et de "rassembler l’extrême droite européenne". Il estime que les sociaux-démocrates, les libéraux et les conservateurs européens veulent opposer le Nord et le Sud de l’Europe et favoriser les "concentrations monopolistiques", et que l’extrême droite va "pêcher dans ces eaux" en avançant des solutions simples, comme la sortie de l’euro et des nations sans étrangers.
La Gauche européenne devra opposer à ces vues avec l’idée d’une Europe du développement économique, de l’investissement public, de la réduction de la concurrence, des systèmes de protection sociale forts, de la fiscalité commune qui permettra d’investir dans les services publics. Bref, "c’est la bataille du coût-capital contre le coût-salaire !"
Renato Soeiro a expliqué que les exigences de la Troïka ont au Portugal absorbé plus de fonds publics que tout le budget de l’Education. Avec ses programmes, la dette publique n’a cessé de se gonfler jusqu’à atteindre 130 % du PIB fin 2013. Avec la destruction de l’économie, le remboursement de cette dette publique devient de plus en plus improbable.
Pour Renato Soeiro, ce type de dette publique n’est pas conçu pour être remboursé, mais pour percevoir des intérêts et "mettre le peuple à genoux". Le politicien portugais a fustigé l’affaiblissement du droit du travail et "la destruction des services publics". Il a cité l’exemple que les indemnités de licenciement seront désormais les mêmes, que le licenciement soit légal ou illégal. Autres exemples cités: les dix aéroports du Portugal ont été privatisés pour stimuler la concurrence et ont été vendus à une seule firme, VINCI. Le réseau électrique a été privatisé et vendu à un groupe chinois. La poste, qui rapportait beaucoup d’argent à l’Etat portugais, a été vendue à la Deutsche Bank et à Goldmann-Sachs.
Il a ensuite évoqué le manifeste des 70, signé par 70 influentes personnalités portugaises de droite comme de gauche qui demandent une restructuration de la dette publique et qui a fait "grand effet" car parmi les signataires, il y a des ex-ministres et ex-dirigeants de partis de la majorité, des leaders du monde financier et industriel comme des économistes renommés (voir ici ou ici).
Le gouvernement portugais a contre-attaqué, notamment en poussant à la démission des conseillers. Les médias ont aussi critiqué le manifeste. Son propos est que sans restructuration de la dette, elle ne pourra pas être remboursée, qu’il y aura encore plus d’austérité, donc plus de chômage, plus de précarité et moins de vitalité du pays, car les jeunes vont encore plus émigrer. Les inégalités vont se creuser, le risque d’instabilité politique augmenter et le conflit intergénérationnel éclater.
Pour Renato Soeiro, la politique menée au Portugal pour contrer la crise "a retiré à la démocratie le droit de déterminer une politique économique autonome". Pour lui il s’agit "d’une lutte des classes pure et dure".
André Hoffmann a enchaîné en expliquant que "le problème de la démocratie est au cœur de l’évolution de l’UE, à l’origine de la crise actuelle, qui a aggravé le manque de démocratie, ce qui est sa conséquence la plus grave." Pour lui, "le projet néolibéral porte en lui une restriction de la démocratie", et cela depuis les années 70. Et depuis le traité de Maastricht, il n’y a pas eu de débat sur les grandes décisions. Et cela ne va pas changer avec les sociaux-démocrates, les conservateurs et les libéraux qui, s’ils critiquent l’UE et ses pratiques, le font toujours "de façon équilibrée après des marchandages".