Les eurodéputés de la commission Industrie, recherche et énergie du Parlement européen (ITRE) ont adopté le 18 mars 2014 leur position sur le paquet télécommunications mis sur la table par la Commission européenne en septembre 2013.
"Avec ce vote de la commission de l'industrie, le Parlement européen a fait un grand pas en avant pour consolider le marché unique des télécommunications. La commission parlementaire a non seulement proposé d'abolir les tarifs de détails des services pour les appels, les SMS et les données en itinérance d'ici le 15 décembre 2015, mais a également présenté d'importantes propositions, par exemple sur la gestion efficace des radiofréquences, qui permettront le déploiement de la 4G et 5G en Europe", s’est félicitée Pilar del Castillo Vera (PPE), rapporteur sur ce dossier.
Sans surprise, les députés, qui avaient voté une résolution soutenant cette idée dès le mois de septembre 2013, se sont largement prononcés en faveur d’une interdiction des frais d’itinérance à partir du 15 décembre 2015.
Cependant, afin de protéger les entreprises de télécommunications contre une utilisation anormale ou abusive des services d'itinérance au détail, les députés ont demandé à la Commission européenne d'élaborer des lignes directrices pour des cas exceptionnels, lors desquels les entreprises seraient autorisées à appliquer des frais. Cependant, ces frais devraient se situer en dessous des plafonds fixés dans les dispositions actuelles sur l'itinérance.
Contrairement à la Commission européenne, les députés ne voient pas le besoin de réglementer les prix pour les appels téléphoniques internationaux passés à partir du pays d'origine de l'utilisateur.
Par ailleurs, en matière d’assignation des radiofréquences, les députés de la commission ITRE ont introduit des amendements afin de faciliter l’achat et la location de droits dans le but d’utiliser certaines radiofréquences. Des droits qui devraient être valides pendant une période minimale de 25 ans, afin d'encourager les investissements, l'innovation et la concurrence, affirment les députés. Leur objectif : garantir que toutes les ressources de radiofréquences disponibles soient pleinement utilisées et assurer ainsi que les Européens obtiendront davantage d'accès 4G pour les portables et le Wi-Fi.
Un aspect important du paquet Télécom semble toutefois avoir divisé les membres de la commission ITRE, ce qui explique que le rapport de Pilar del Castillo Vera ait été adopté par 30 voix pour, 12 contre et 14 abstentions, à savoir la question de la neutralité du net.
"Nous avons introduit de nouvelles sauvegardes pour l'ouverture d'Internet, en assurant que les utilisateurs puissent utiliser et fournir des applications et services de leur choix ainsi qu'en renforçant Internet comme moteur de compétitivité, de croissance économique, de développement social et d'innovation", s’est félicitée la rapporteure.
Le texte adopté prévoit des dispositions visant à empêcher les entreprises de télécommunications de dégrader ou de bloquer les connexions Internet pour les services et applications de leurs concurrents.
Selon le texte adopté, les entreprises pourraient toujours offrir des services spécialisés de haute qualité, tels que la vidéo à la demande ou les applications en nuage de données essentielles pour les entreprises, tant que ces services n'interfèrent pas avec la rapidité de connexion promise à d'autres utilisateurs. Des mesures visant à bloquer ou ralentir Internet seraient autorisées uniquement dans des cas exceptionnels, par exemple sur décision d'un tribunal.
Si le groupe ALDE salue "une approche ambitieuse afin de préserver la neutralité du web", la question a suscité des réactions autrement plus critiques de la part des groupes S&D et Verts/ALE.
"La Neutralité du Net reste une ligne rouge, pour notre groupe bien sûr, mais avant tout pour les citoyens qui se sont exprimés en faveur du compromis alternatif que nous avions déposé", a affirmé Catherine Trautmann, rapporteure fictive pour le S&D. "Nous devons avoir une définition plus précise des 'services spécialisés' pour qu'il n'y ait pas de confusion avec les services d'accès à internet, pour lesquels nous voulons une référence contraignante au principe de neutralité du net", a-t-elle expliqué.
Pour les Verts, le vote n’est rien de moins qu’un "incroyable pas en arrière sur le plan des libertés publiques", ainsi que l’a formulé l’eurodéputée Sandrine Bélier. "En adoptant le principe de 'services spécialisés' permettant aux opérateurs télécom de conclure des accords avec les fournisseurs de services afin de prioriser certains flux, une majorité de membres de la commission ITRE viennent d'autoriser le principe de contournement de la neutralité du Net", estime-t-elle. "Concrètement", explique-t-elle, "si la dégradation des flux n'est par exemple par permise, une amélioration de certains d'entre eux, en cas d'accord contractuel entre deux acteurs privés, le devient. Ainsi, si ce vote devait être confirmé en plénière, un acteur comme YouTube pourrait voir son accès facilité aux internautes alors que celui d'un concurrent qui ne disposerait pas de la surface financière pour s'aligner sur cet accord en serait exclu, ouvrant la porte à un Internet à deux vitesses, et donc, par défaut, à une dégradation de l'accès aux contenus. "
Le paquet télécommunications devrait être mis aux voix en plénière pendant la session des 2-3 avril 2014 et les groupes S&D et Verts espèrent pouvoir amender le texte à cette occasion. Dans tous les cas, il reviendra au Parlement européen issu des élections du mois de mai de négocier un accord avec le Conseil sur ce dossier.
Au Luxembourg, la Piratepartei luxembourgeoise a réagi par voie de communiqué pour dénoncer le vote d’une majorité de députés PPE et ALDE en faveur d’un "internet à plusieurs classes" qu’il considère comme un premier pas pour supprimer la neutralité du net dans l’UE. Michèle Stiefer, candidate pour les élections européennes, s’inquiète de "la mort de la neutralité du Net avec l’introduction de services spécialisés" et de ses conséquences pour les petites entreprises. Elle dénonce aussi une proposition qui ouvre la voie à l’introduction d’infrastructures de censure.