L’Europe et les élections européennes ont joué un grand rôle dans le discours que le président de l’OGBL, Jean-Claude Reding, a tenu le 29 avril 2014 à Kayl dans le Sud du Luxembourg.
Partant du fait que les objectifs du Millenium – réduction de la pauvreté, amélioration de l’accès à l’éducation et à la formation, le droit au travail et à la sécurité sociale, et une meilleure protection de l’environnement - n’ont pas été atteints, Jean-Claude Reding a évoqué les régressions en cours, notamment dans le domaine du travail.
Pour lui, l’augmentation du chômage dans le monde et la dégradation des conditions de travail "ne sont pas le fruit d’activités criminelles, mais d’une politique économique qui fait croire qu’une économie de marché sans bornes peut conduire à la relance économique, et par ricochet à une diminution de la pauvreté et une vie meilleure pour la majorité de la population.". Cette théorie est fausse, pense Jean-Claude Reding, et preuves en sont les inégalités qui se creusent, la pauvreté qui s’étend, les conditions de travail souvent inhumaines. Pour lui, les décideurs politiques et économiques et les multiplicateurs qui défendent cette théorie sont carrément co-responsables de la misère humaine que ce type de capitalisme financier entraîne.
"L’idéologie de la compétitivité internationale", qui va de pair avec cette politique économique, conduit "à la guerre économique permanente" qui est à la base "de l’instabilité politique, des guerres que nous connaissons depuis l’écroulement de l‘Union soviétique". Jean-Claude Reding renvoie aux conflits en cours dans le monde, mais aussi en Europe, citant les guerres dans l’ex-Yougoslavie et "la situation actuelle en Ukraine".
Pour ce qui est de l’Ukraine, le dirigeant syndical estime que la prudence est de mise et que les choses sont plus compliquées qu’on ne les représente. "Il y a va aussi d’intérêts économiques et géopolitiques purs et durs, et pas seulement du côté russe, mais aussi du côté de l’UE et de l’OTAN", tranche-t-il. Et de mettre en garde contre une guerre qui conduirait "à la destruction finale du continent" et de s’en prendre à la rhétorique de certains dirigeants européens "qui ont souligné avec enthousiasme qu’au Maidan de Kiev, des gens sont morts pour le drapeau européen". Pour lui, ce sont les nouveaux somnambules dont l’historien Christopher Clark a parlé dans son livre sur les débuts de la Première Guerre mondiale.
Le fait est que l’UE se trouve pour le chef de l’OGBL "dans de mauvais draps" : peu de confiance dans ses institutions, un chômage qui touche 26 millions de personnes, et très fortement les jeunes, des contrats de travail précaires, la montée des inégalités et de la pauvreté parmi les travailleurs, la flexibilisation du temps de travail, des règles de licenciement de moins en moins protectrices des salariés, etc. S’y ajoute ce que Jean-Claude Reding appelle "la conviction profonde au sein de la Commission Barroso que les salaires dans l’UE sont trop élevés et donc pas assez compétitifs".
Jean-Claude Reding s’en est ensuite pris à une Commission qui n’a pas de politique industrielle, qui ne défend pas l’industrie européenne contre le dumping social et environnemental, qui ne réfléchit pas aux conséquences d’un euro trop fort, qui laisse le champ libre à la BCE qui n’a que faire de la politique industrielle et des effets de sa politique monétaire sur le chômage.
Pour Jean-Claude Reding, ce ne sont pas les salaires qui sont à l’origine de la crise, mais les spéculations irresponsables du secteur financier, dont l’industrie des fonds d’investissement. Or, ces derniers n’ont pas dû assumer les risques de leurs agissements. Ce sont les citoyens et les Etats qui ont sauvé le secteur financier européen et international. Pourtant, ce type de capitalisme n’a pas été stoppé, estime le président de l’OGBL. Mais l’austérité a été introduite pour équilibrer les budgets des Etats membres et sauver l’euro, avec pour conséquence le démantèlement de l’Etat providence, le chômage, la paupérisation de nombreuses personnes, la dérégulation, la privatisation des services publics, l’affaiblissement systématique des droits des salariés, notamment dans les négociations collectives.
Pour Jean-Claude Reding, il y a des alternatives à cette politique. Il a renvoyé au plan d’investissement du DGB, il a invoqué le renforcement des capacités de négociation des syndicats, des droits des représentants du personnel, une révision du TSCG, le traité qui prévoit la coordination des politiques budgétaires, dans le sens où des objectifs sociaux et environnementaux devraient également être pris en compte. Une autre piste est l’introduction d’un salaire minimum au niveau européen indexé au coût de la vie qui se situerait au-dessus du seuil de pauvreté.
Jean-Claude Reding a reçu de certains partis des engagements sur ces objectifs en vue des élections européennes. Mais maintenant il exige que ces partis disent clairement qu’ils sont pour une révision du TSCG, mais pas seulement au Parlement européen, mais aussi au Conseil, à la Commission, pour celui ou celle qui sera commissaire, ainsi qu’à la Chambre des députés.
Aussi ne lui suffit-il pas de scruter le programme national des partis qui concourent aux élections européennes, mais aussi le programme de la famille politique européenne à laquelle ils sont rattachés.
Un critère important est l’attitude des différents partis face au TTIP, que l’OGBL voit d’un œil très critique à cause de ses conséquences pour les normes sociales, sanitaires, de qualité et environnementales européennes, les services publics aussi le système de justice.
Pour Jean-Claude Reding, les électeurs devront être très critiques à cet égard avant d’accorder leur vote. Mais il s’agit d’abord d’aller voter et de ne pas s’abstenir. Il s’agit d’accorder son suffrage à des partis qui veulent renforcer les syndicats, et surtout, de ne pas voter en guise de protestation pour des partis nationalistes et de l’extrême droite qui veulent rétablir les frontières qui seraient très dommageables au Luxembourg et à la Grande Région notamment, mais aussi à l’Europe dans son ensemble.
Le président de l’OGBL a ensuite jeté un regard sur la politique nationale, qui a selon lui "encore une marge de manœuvre". Il a estimé que le gouvernement devrait jouer un rôle actif dans l’économie, par exemple dans les secteurs de l’aviation, des banques, des communications, des transports publics, de l’énergie et de la logistique. Il a exigé un dialogue structuré tripartite Etat-patronat-syndicats dans l’industrie, le secteur financier, mais qui ne se limite pas à freiner l’évolution des salaires, mais qui parle aussi de formation continue, de qualification des salariés, du futur de l’Université.
Jean-Claude Reding a aussi critiqué "la logique de la réduction des dépenses de l’Etat" qui domine les réflexions budgétaires du nouveau gouvernement, ce dernier mettant en avant le déficit de l’administration centrale, alors qu’il faudrait tenir compte de l’administration publique en général, dont le budget est en équilibre depuis 2011. Il n’est pas contre un suivi des dépenses de fonctionnement, mais pour lui, les postes budgétaires qui augmentent ou diminuent plus rapidement que d’autres reflètent des choix politiques.
Il voit l’action de son syndicat comme une défense des salariés et des pensionnés contre les politiques "qui ont essayé de faire payer la crise par les travailleurs". Il a défendu l’indexation des salaires pour préserver leur pouvoir d’achat, et pourtant les salaires réels ont reculé entre 2009 et 2014 à cause de la réduction des primes, du chômage partiel, du paiement différé des tranches indiciaires et de l’augmentation des charges fiscales. S’y ajoutent pour Jean-Claude Reding la désindexation des allocations familiales, la hausse de la participation à l’assurance-maladie, le report du réajustement des pensions, la hausse "indécente" des prix du logement, etc... Dans un tel contexte, son syndicat ne va pas accepter d’autres mesures à la charge des assurés de la sécurité sociale. De même, il récuse toute hypothèse "que l’indexation des salaires soit de nouveau manipulée" après la hausse des prix qui sera la conséquence de la hausse de la TVA. Il demande "un retour au vieux système" dans l’intérêt de la paix sociale et du dialogue social national.
L’OGBL n’est pas opposé à une réforme fiscale, à condition qu’elle soit socialement juste et rétablisse l’équilibre entre l’imposition du capital et celle du travail. L’OGBL n’est pas contre une hausse du taux marginal et demande que l’impôt sur la fortune, sur les successions et un nouvel impôt ecclésial ne soient pas des tabous. La discussion sur cette réforme devrait aussi être "ouvert et transparente".
Dans une dernière partie de son discours, Jean-Claude Reding a abordé la situation des jeunes qui sont "particulièrement touchés par les effets de la politique d’austérité européenne". Ils sont frappés par un chômage au-dessus des moyennes et par la précarisation, notamment par le recours aux CDD et aux emplois intérimaires, souvent mal payés, par des salaires de départ revus à la baisse. Leur vie autonome s’en trouve compromise. Leurs diplômes sont considérés comme dévalorisés. Or, estime Jean-Claude Reding, "nos enfants ont droit à un emploi intéressant et équitablement rémunéré". C’est ici que la "Garantie Jeunes" doit intervenir.