Le 9 avril 2014, la Commission européenne a proposé la création d'une plate-forme européenne "afin de prévenir et de décourager le travail non déclaré de manière plus efficace", au vu de ses "conséquences graves pour les conditions de travail, la concurrence loyale et les budgets publics".
Le paquet emploi d'avril 2012 avait déjà souligné que la transformation du travail informel ou non déclaré en emploi régulier pourrait aider à réduire le chômage et préconisait, pour ce faire, d'améliorer la coopération entre les États membres. À la mi-2013 et au début de 2014, la Commission a procédé à deux phases de consultation au sujet du renforcement de la coopération entre les autorités nationales de contrôle. Il en est ressorti la nécessité, en l’absence de mécanisme commun, de commencer la coopération par l’institution d’une plate-forme commune.
Comme le rappelle la Commission européenne, le Parlement européen avait, dans une résolution du 14 janvier 2014, appelé à renforcer la coopération et le renforcement de l'inspection du travail pour lutter contre le travail non déclaré, les eurodéputés notant que celui-ci représente 18,8 % du PIB dans l'UE et plus de 30 % du PIB dans certains États membres. Au Luxembourg, il représenterait 8 % du PIB, selon ce qui n’est qu’une estimation, en l’absence de chiffres détaillés, présentée dans une étude publiée en janvier 2014 de la Division Emploi, Affaires sociales et Inclusion de la Commission européenne.
"Le travail non déclaré prive les travailleurs de protection sociale, met leur santé et leur sécurité en danger et abaisse les normes du travail. Elle sape également la concurrence équitable pour les entreprises et met en danger la viabilité des finances publiques et des systèmes de sécurité sociale. En fin de compte, tout le monde y perd. C'est pourquoi la Commission est déterminée à soutenir les États membres dans la lutte contre ce fléau", a déclaré László Andor, commissaire européen à l'Emploi, des affaires sociales et de l'inclusion, selon le communiqué de presse de la Commission.
La nouvelle plate-forme réunirait tous les organes nationaux impliqués dans la lutte contre le travail non déclaré, telles les inspections du travail, les instances de sécurité sociale, les services fiscaux et les autorités compétentes en matière d’immigration. A ces représentants nationaux s’ajouteraient notamment des représentants d’organes européens, dont les deux agences européennes que sont la Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail (EUROFOUND) et l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU-OSHA), ainsi que l’Organisation internationale du travail (OIT).
La plate-forme coopèrerait également avec des comités européens tels que la Commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale, le comité des hauts responsables de l'inspection du travail (CHRIT). Elle travaillera sur la base de programmes de deux années sur tous les aspects du phénomène (droit du travail, inspections du travail, sécurité et santé au travail, sécurité social, fiscalité, migrations etc.). Tous les Etats membres en seront ainsi membres. La Commission européenne juge "essentielle" la participation conjointe de tous les pays de l'UE, notamment pour le règlement des situations transfrontalières.
Le premier moyen de coopération sera l’échange de bonnes pratiques et d’informations. "Tous les Etats membres ont eu recours à des mesures préventives pour influencer les comportements des citoyens ou se sont concentrées sur des inspections plus réelles. De plus, les Etats membres utilisent des mesures de prévention, telles que les incitations fiscales, des amnisties et la sensibilisation, pour réduire l’incidence du travail non déclaré et faciliter le respect des règles existantes", fait remarquer la Commission européenne dans un Mémo publié le même jour. Dans la perspective de la Commission européenne, la plate-forme aurait aussi la mission d’élaborer des principes et directives pour les inspections pour lutter contre le travail non déclaré.
La plate-forme explorerait des outils nationaux et européens pour faire face à des problèmes tels que le phénomène lié au faux travail indépendant et le travail non déclaré dans les chaînes de sous-traitance. Elle aborderait les aspects transfrontaliers, en étudiant notamment "les moyens d'améliorer les échanges de données entre les administrations nationales", cite en exemple la Commission européenne. Elle renforcerait la coopération opérationnelle en termes de formation, d’échanges de personnel et d’inspections conjointes. Enfin, elle augmenterait "la sensibilisation au problème" grâce à des activités communes telles que les campagnes européennes et l'adoption de stratégies régionales ou larges UE.
La Commission européenne souligne par ailleurs que cette initiative complète la proposition pour le renforcement de la directive sur le détachement des travailleurs. "Au cas où les travailleurs sont faussement déclarés comme détachés d’un pays vers un autre, les activités de la plate-forme contribueraient à détecter la fraude et garantir le renforcement des droits des travailleurs", dit-elle dans un Mémo.
Lors du sommet social Benelux du 13 février 2014, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Belgique avaient évoqué une mise en œuvre rapide, voire anticipée de la directive Détachement révisée, notamment en ce qui concerne l’application, pour les trois pays sur une base volontaire, du principe de la responsabilité solidaire et conjointe et de contrôles renforcés. Ils ont prévu des projets pilotes pour des inspections transfrontalières sur les chaînes de sous-traitance et les responsabilités conjointes, et un renforcement transfrontalier du système des amendes et sanctions administratives.
D'ailleurs, le jour de la présentation par la Commission européenne de sa proposition de créer une plate-forme, l'Inspection luxembourgeoise du travail et des mines, faisait savoir qu'elle avait récemment entrepris une inspection sur un lotissement comprenant onze grandes résidences, avec des membres de l’Administration des douanes et accises, de l’Administration de l’enregistrement et des domaines, de l’Agence pour le développement de l’emploi, de la Direction de la santé, de la Police grand-ducale et du Centre commun de la sécurité sociale.
Cette inspection a notamment permis de mettre au jour les irrégularités d'une "entreprise anciennement détachante d’Allemagne, établie entretemps au Grand-Duché de Luxembourg, [qui] employait exclusivement des ressortissants hongrois et polonais, dont certains n’étaient ni affiliés à la sécurité sociale, ni examinés par un service de médecine du travail, ni payés conformément à la convention collective sectorielle d’obligation générale". Par ailleurs, "deux entreprises étrangères d’un autre pays membre de l’Union Européenne n’avaient pas accompli les formalités en matière de détachement nécessaires auprès de l’Inspection du travail et des mines et quatre autres n’avaient pas communiqué ce chantier", "certains salariés détachés ne détenaient pas leur formulaire de sécurité sociale A1 obligatoire", tandis que "une entreprise allemande, dont deux salariés détachés travaillaient une semaine par mois au Luxembourg sous le régime des '400 Euro-Jobs' doit régler le salaire de ces deux personnes au prorata des différences avec le salaire minimum de branche d’ordre public au Grand-Duché", relatait le communiqué de presse.
Selon une enquête Eurobaromètre réalisée en avril-mai 2013 et publié en mars 2014, un peu plus d’un Européen sur dix (11%) a admis avoir acheté des biens ou des services impliquant le travail non déclaré dans l'année qui a précédé l’enquête, tandis que 4 % ont admis qu'ils avaient effectué un travail non déclaré. 14 % des sondés luxembourgeois ont déclaré avoir payé une prestation de travail non déclaré et 5 % en avoir fourni une.
Les sondés luxembourgeois ont particulièrement recours au travail ménager non déclaré, avec un taux de 45 %, bien loin devant Chypre (35 %), les Pays-Bas (31 %) et l’Autriche (30 %). Le recours à la garde d’enfants non déclaré arrivait en troisième position chez les sondés luxembourgeois (avec 19 %), là aussi loin devant la moyenne européenne (5 %). Les Luxembourgeois avaient par ailleurs les plus fortes dépenses moyennes pour des biens et services non déclarés par an dans l’UE, avec 500 euros, devant les Néerlandais (400), les Autrichiens, Belges et Italiens (autour de 350 euros chacun).
Les résidents luxembourgeois comptaient au contraire parmi les moins friands d’achats de pièces et de services de réparation non déclarés pour leur voiture.