La Conférence diplomatique qui regroupe tous les deux ans les chefs de mission diplomatiques et consulaires luxembourgeois ainsi que les directeurs du ministère des Affaires étrangères et européennes, s’est déroulée du 22 au 24 avril 2014 à Luxembourg. Une occasion pour les diplomates d’aborder plusieurs dossiers de l’actualité politique internationale, dont la situation en Ukraine, de dresser un bilan intermédiaire de l’action du Luxembourg dans le cadre de son mandat au Conseil de sécurité des Nations unies et d’évoquer la Présidence du Conseil de l'Union européenne que le Luxembourg assumera au deuxième semestre 2015.
Lors de la conférence de presse de bilan de ces trois jours de réunion, organisée le 28 avril 2014, le ministre Affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn, accompagné du secrétaire général du ministère, Marc Ungeheuer, a particulièrement insisté sur la crise ukrainienne. Face aux derniers développements sur le terrain, et notamment l’enlèvement de huit observateurs militaires de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) et de leurs quatre accompagnateurs militaires ukrainiens par des groupes rebelles armés pro-russes, le 26 avril à Sloviansk dans l'est de l'Ukraine, une semaine à peine après la signature par l’Ukraine, la Russie, les USA et l’UE de la déclaration de Genève censée acter une "désescalade", le ministre a estimé que la situation avait connu un bond en arrière. "La confiance entre l’UE et la Russie a été remplacée par la méfiance", a-t-il déploré.
Il a par ailleurs appelé les hauts responsables politiques à ne pas banaliser certaines affirmations graves comme celle sur le risque d’une Troisième guerre mondiale qui serait voulue par la Russie, accusation lancée par le Premier ministre ukrainien de transition, Arseni Iatseniouk deux jours plus tôt. "Nous devons tout faire pour que les moyens diplomatiques puissent être efficaces et que les canaux restent ouverts. C’est difficile pour beaucoup de personnes mais je pense que c’est l’unique voie", a poursuivi Jean Asselborn, selon lequel "l’UE ne veut se désolidariser de personne mais le chemin de l’UE doit être une voie où l’on sait qu’en tant qu’Européen, nous devons partager un continent avec la Russie".
Pour le ministre, sur la question des principes, l’UE est claire : le droit international doit primer et l’annexion de facto de la Crimée par la Russie en constitue un viol flagrant. "D’un autre côté, si les prochaines années et décennies sont gouvernées par le retour de la méfiance, de la peur et de la haine, alors il sera très difficile d’assurer la stabilité de tout le continent", poursuit-il.
L’un des outils à disposition des Occidentaux est la mission d’observateurs de l’OSCE sur place dont le travail doit pouvoir être mené à bien, estime Jean Asselborn qui juge "inacceptable" que des membres de l’organisation "soient détenus et classés comme espions par un maire autoproclamé". "Il n’y aura pas à l’avenir une Ukraine qui sera exclusivement russe ou exclusivement occidentale. L’UE doit se soucier du fait que l’Ukraine devienne un pays libre, souverain et démocratique comme le veut la population ukrainienne".
Répondant à la question d’une journaliste sur une extension possible des sanctions des USA et de l’UE contre la Russie, comme évoquée la veille par le président des USA, Barack Obama, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères s’est voulu prudent. "Je pense, sans m’opposer aux opinions du président Obama ou d’autres, que les sanctions ne permettront pas une solution des conflits en Ukraine ou dans la relation avec la Russie. Nous nous sommes donné dans l’UE une stratégie en trois phases que je soutiens", a-t-il précisé, rappelant notamment les premières sanctions politiques (exclusion de la Russie du G8 et gel de négociations avec l’UE) puis le gel des avoirs et l’interdiction de visas décrétés par l’UE contre un certains nombres de responsables russes et ukrainiens et étendus dans un second temps.
"Nous sommes toujours dans la seconde phase, pas dans la troisième [des sanctions économiques de plus grandes envergures, ndlr] qui impliquerait que des troupes russes envahissent et occupent l’Ukraine", a insisté le ministre selon lequel la Russie "s’est elle-même profondément auto sanctionnée sans que des sanctions aient dues être décrétées à Washington ou à Bruxelles". Les exemples de cette réalités sont nombreux : "D’abord depuis le 1er janvier 2014, environ 100 milliards d’euros d’argent privé ont été sortis du pays, ensuite la Russie ne devrait pas connaître de croissance cette année et enfin les investissements étrangers en Russie n’ont représenté pendant les premiers mois de l’année qu’un tiers de ce qu’ils représentent en temps normal. En outre la Russie suscite désormais à nouveau la peur dans le reste du monde ce qui est naturellement mauvais pour les relations économiques".
Selon Jean Asselborn, il ne s’agit pas de dire que la Russie serait au bord de l’implosion économique, le pays ayant des réserves de quelque "500 milliards" d’euros. "Malgré tout il est important que l’on voit et sache que la Russie est touchée".
"Le Luxembourg fait partie de l’UE, nous ne définissons pas nos positions vis-à-vis de la Russie de manière bilatérale mais à travers la bouche de l’UE. Nous sommes solidaires, mais nous sommes dans l’UE un pays qui dit que nous devons prôner la désescalade et pas, au contraire l’escalade [de la situation]. Et pour aller vers une désescalade, il ne faut à mes yeux pas faire l’erreur d’enterrer la déclaration de Genève. Selon mes informations issues d’une source fiable, à Moscou [la déclaration de] Genève n’est pas encore passée par pertes et profits. Il y a des déclarations publiques et il y a le fond des choses", appuie Jean Asselborn qui réaffirme qu’il est "inacceptable que des observateurs de l’OSCE soient détenus arbitrairement ou que des gens en Ukraine s’autoproclament responsables et déclarent leur volonté de changer de drapeau".
"Aujourd’hui une réunion [du COREPER] est organisée à Bruxelles pour évoquer les sanctions. Nous y allons prudemment en tant que Luxembourg. Nous regarderons non pas à défendre nos intérêts égoïstes mais avant tout, si on en arrivait à un point de non-retour, à privilégier la désescalade par rapport à l’escalade", assure encore le ministre. Réitérant l’argument selon lequel "il n’y aura pas d’Ukraine russe ou d’Ukraine occidentale" mais une Ukraine "qui décide elle-même et peut prendre son avenir en main", Jean Asselborn a néanmoins estimé que pour le moment "on n’a pas l’air de se diriger vers cela".
Le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères appelle par ailleurs également les autorités ukrainiennes à des efforts. Les élections présidentielles sont une étape décisive mais elles ne suffiront pas, le ministre soulignant le besoin rapide d’une discussion sur la constitution qui tienne compte de toute la population – "l’Ukraine est un pays qui pourrait très supporter une structure fédérale" – et protège les droits des minorités, notamment les "17 % de Russes" et les 21 % de russophones" en Ukraine ainsi que d’élections législatives qui puissent mener à la mise en place d’un gouvernement "légitimé". La lutte contre la corruption et la poursuite de ceux qui déstabilisent l’Ukraine depuis Kiev, "il y en a", sont deux autres nécessités.
En ce qui concerne Moscou, le ministre juge que la Russie "ne peut pas prendre le risque de s’isoler totalement et qu’elle ne peut pas penser pouvoir se passer de l’UE dans le domaine économique. Nous ne pouvons pas tourner autour de l’idée seulement que la Russie a besoin de notre euro, et que l’UE a besoin du gaz russe, car le problème est plus grave, plus profond. Il faut penser plus loin. Ce n’est pas encore trop tard mais malgré tout, on voit que si aucun pas n’est fait vers la désescalade, ce sera très dur et les conséquences seront imprévisibles. Si on se rapproche de la troisième phase [de sanctions], tout le monde sera perdant, donc bien sûr les Russes", a-t-il ajouté.
Au Luxembourg et plus particulièrement pour son secteur bancaire, Jean Asselborn souligne ne pas avoir d’exemple concrets qui montreraient des répercussions négatives de la crise ukrainienne sur le secteur. "Ce qu’il y a, et le Luxembourg n’est pas le seul concerné, c’est que nous sommes une place financière importante et que probablement, les flux d’un côté à l’autre et inversément ne sont certainement pas au niveau où ils se trouvent en temps normal. Nous sommes un gros investisseur à travers notre place financière en Russie, nous étions même numéro deux ou trois, donc on peut s’imaginer que cela a naturellement des conséquences sur notre pays".