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Marché intérieur
En conformité avec le droit européen, le colportage est autorisé au Luxembourg à partir du 26 avril 2014
22-04-2014


colportage-nee-merciA partir du 26 avril 2014, le colportage est  autorisé au Luxembourg, Etat membre qui aura été le dernier à maintenir  dans sa législation une interdiction absolue de cette pratique commerciale autorisée dans tous les autres Etats. Il était tenu de mettre sa législation en accord avec trois directives européennes, qui exigent qu’une visite d’un professionnel au domicile du consommateur ne soit pas d’office considérée comme illégale.

Le premier de ces textes européens est la directive de 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales en B2C (de l’entreprise aux particuliers, ndlr). C’est dans le contexte de sa transposition que la Commission européenne avait adressé un courrier précontentieux au Luxembourg pour le mettre en garde sur l’illégalité présumée de l’interdiction du colportage.

La directive 2006/123/CE relative aux services dans le marché intérieur a ensuite posé comme principe que les Etats membres suppriment toutes les interdictions totales visant les communications commerciales des professions réglementées.

C’est enfin à travers la transposition de la Directive 2011/83/UE de 2011, qui introduit des modifications sur les contrats entre professionnels et consommateurs conclus à distance et sur les contrats conclus hors établissement commercial, et donc par le colportage, par la loi du 5 avril 2014, que le Luxembourg a décidé de lever l’interdiction du colportage. En contrepartie, il a mis en place un arsenal de sanctions civiles et pénales "dont l’impact à la fois préventif et répressif est de nature à garantir la tranquillité et la sécurité de nos concitoyens ainsi qu’une saine concurrence avec le commerce traditionnel", comme le dit l’exposé des motifs du projet de loi déposé le 17 septembre 2012.

La Commission européenne entend par cette directive sur le droit des consommateurs soutenir le commerce transfrontalier. Le renforcement des droits du consommateur est par ailleurs inscrit dans la stratégie Europe 2020 et mentionnée dans la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil du Comité économique et social européen et au Comité des régions quant à l’agenda du consommateur européen du 22 mai 2012, ainsi que l’a rappelé le Conseil d’Etat dans son avis.

Des craintes au gouvernement et à la Chambre

Avant de faire l’objet d’une interdiction absolue par la loi modifiée du 16 juillet 1987, la vente au porte à porte était interdite pour certains produits et soumise à autorisation pour d’autres depuis le milieu du XIXe siècle (et la loi du 1er janvier 1850 sur le colportage, modifiée par la loi du 14 mars 1896 et abrogée par la loi du 5 mars 1970).

Le gouvernement voulait "garder un statu quo garantissant tant la sécurité et la tranquillité du consommateur qu’une saine concurrence sur le marché luxembourgeois", dit le projet de loi. L’interdiction n’est déjà pas arrivé pas à empêcher totalement la pratique, ainsi que l’a rappelé le rapporteur du projet de loi, Alex Bodry, lors des débats à la Chambre des députés le 11 mars 2014. "Un nombre important de demandes de renseignements ou de plaintes, concernant des pratiques de démarchage plus ou moins insistantes ou même agressives et ciblant tout particulièrement des consommateurs âgés particulièrement vulnérables, a été enregistré auprès des associations de consommateurs ainsi qu’auprès des services gouvernementaux", précise l’exposé des motifs. Et ces dérives "ne peuvent que susciter une profonde inquiétude quant aux conséquences de la libéralisation de cette pratique et des pratiques connexes", à savoir notamment la vente ambulante, laquelle pourra être aussi appliquée à partir d’un véhicule en application du droit à la libre circulation.

"Le dénominateur commun à ces pratiques commerciales est que ces biens et services sont, pour leur quasi-totalité, proposés à nos résidents par des individus agissant en transfrontière, que leur qualité de commerçant ou d’artisan dûment autorisé dans leur pays de provenance est invérifiable pour un simple particulier et que les services proposés et vendus sont de piètre qualité et généralement à des prix exorbitants", lit-on encore dans l’exposé des motifs. "De plus, il n’est pas rare que ces individus qui exigent d’être payés immédiatement en liquide se proposent pour accompagner les seniors à leur banque afin de se faire remettre les fonds réclamés." Toutefois, si "notre population est très attachée à sa tranquillité et à sa sécurité et que ces valeurs ont toujours été partagées par les acteurs politiques et économiques luxembourgeois", "il faut se faire une raison", disait le texte.

Lors des débats à la Chambre des députés, qui se sont tenus le 11 mars 2014, aucun parti ne s’est montré satisfait par l’autorisation du colportage. Dans l’ensemble, les intervenants ont salué le fait que le texte essaie de préserver au mieux la sécurité et la tranquillité publiques, souci qui était déjà, avec la protection du commerce établi, au centre des premières initiatives législatives en ce sens, au milieu du XIXe siècle.

Le député CSV, Laurent Mosar, a jugé qu’il s’agissait là d’un "texte équilibré", alliant "des entreprises et protection des consommateurs". La députée Déi Gréng, Christiane Wickler, a souligné l’importance de garder un œil sur le terrain pour traquer les abus à venir et formulé le vœu que la loi du 21 février 2013 portant incrimination de l’abus de faiblesse puisse trouver son application.

Le député ADR Roy Reding avait salué les efforts pour limiter les "conséquences néfastes" de cette libéralisation du colportage, par le système des autocollants. Reprenant des arguments développés par la CSL, il avait aussi sérieusement remis en cause la légitimité de l’Union européenne à légiférer par la voie de "l’harmonisation maximale" en laissant peu de marge de manœuvre aux Etats membres. "Aucun d’entre nous ici pense que c’est une bonne chose de lever cette interdiction. L’Europe nous l’a dictée", a-t-il regretté. "Il s’agit là d’une méthode de commerce, profitant des plus faibles, qui à bon droit, avait été interdite par le Luxembourg". "C’est la preuve d’un besoin de plus de Luxembourg et moins d’Europe", avait-il conclu, après le député CSV et candidat à la présidence de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, lui ait reproché un "populisme antieuropéen primitif".

Le ministre de l’Economie, Etienne Schneider, avait alors relativisé le caractère néfaste de ce nouveau texte et estimé qu’il accordait beaucoup plus de droits pour les consommateurs de se protéger, tout en mettant le pays en accord avec le droit européen. Les sanctions prévues, à savoir, l’annulation de la vente, saisie de voitures et marchandises, et des amendes pouvant s’élever jusqu’à 120 000 euros (contre une amende maximale de 5 000 euros figurant dans la loi de 1987) permettraient d’éviter les abus. Le texte de loi a finalement été adopté par 50 voix pour et 5 contre.

Le droit de refuser toute sollicitation par un autocollant

La nouvelle loi portant modification du Code de la consommation accorde de nouveaux droits aux consommateurs. Le consommateur peut aussi inviter le commerçant qui lui propose des biens ou la fourniture de services à quitter le domicile et/ou à ne pas y revenir. Et s’il le désire, le consommateur qui souhaite préserver sa tranquillité lorsqu’il est chez lui peut manifester son refus total d’être sollicité.

"À cet effet le consommateur peut apposer sur sa porte d’entrée ou à proximité immédiate de celle-ci une vignette ou tout autre signe distinctif de refus. Le consommateur peut choisir lui-même le texte et la forme de cette vignette, pour autant que le refus d’être démarché soit clairement exprimé", a signalé le ministère luxembourgeois de l’Economie dans un communiqué de presse du 22 avril 2014.

Pour aider les consommateurs qui souhaitent afficher leur refus d’être démarchés à leur domicile, le gouvernement a néanmoins fait réaliser un autocollant, disponible auprès de l’Union Luxembourgeoise des consommateurs (ULC) et de la Police grand-ducale notamment. Le Conseil d’Etat avait, dans son avis, encouragé les autorités nationales à engager "une campagne d’information et de vulgarisation des nouvelles dispositions et du Code de la consommation en général". Seul un consommateur averti sera un bon consommateur.

Si, malgré l’autocollant ou toute autre indication de refus à l’entrée du bâtiment, le professionnel propose quand-même ses biens ou services et que le consommateur signe malgré tout un contrat, il peut en demander en justice la nullité et demander la restitution de l’argent payé. Le vendeur risque une amende de 251 à 120 000 euros (contre 30 000 euros maximum dans la loi de 1987) ainsi que la confiscation de ses marchandises et de son véhicule.

Pour les contrats réguliers, la nouvelle loi introduit le délai harmonisé dans toute l’UE, de 14 jours, pour se retirer sans motifs du contrat.

Par ailleurs, la directive précise et renforce l’obligation d’information générale du professionnel vis-à-vis du consommateur quel que soit le type de contrat (les éléments essentiels du bien ou du service et l’identité du professionnel, l’indication du prix, la livraison), les obligations spécifiques d’information pour les contrats autres que les contrats à distance et hors établissement, ainsi que les obligations spécifiques d’information dans le cadre des contrats à distance et des contrats hors établissement.

Pour les sollicitations par les techniques de communication à distance, le professionnel ne peut démarcher que le consommateur ayant expressément accepté d’être sollicité

Les chambres professionnelles étaient partagées

Dans son avis, la Chambre des salariés (CSL) a regretté la manière retenue par la Commission européenne, consistant à "recourir dans le domaine du droit de la consommation à la technique de l’harmonisation maximale", qui ne laisse que peu de marge de manœuvre aux Etats membres. "Depuis quelque temps, la Commission, par différentes initiatives et sous la pression des milieux industriels, privilégie le principe d’harmonisation maximale afin de réaliser et de faire fonctionner le Marché intérieur", a-t-elle en effet noté. Or, selon la CSL, "la réalisation d’un marché unique ne doit pas être un but en soi"mais, au contraire, "le Marché intérieur doit plutôt être le moyen d’atteindre l’objectif de l’Union à savoir la promotion du progrès économique et social".

Or, considérant qu’il n’y a pas de garantie que le consommateur change ses habitudes "pour ne plus privilégier ses vendeurs nationaux et préférer acheter à l’étranger", la CSL pense que le marché intérieur des consommateurs « risque de rester illusoire, alors que le danger résultant de l’abaissement du niveau de protection du consommateur est très imminent et réel ». Elle comptait parmi les effets négatifs, le fait que la directive ne prévoit qu’une seule hypothèse de prolongation du délai de rétractation (à savoir le défaut par le professionnel d’informer le consommateur de son droit de rétractation), alors que les hypothèses de prolongation du délai de rétractation concernaient auparavant également l’information par le professionnel relative aux caractéristiques essentielles du bien ou du service ou le service après-vente ou encore l’existence d’une garantie commerciale.

"La directive en tant qu’acte normatif de droit dérivé doit par définition laisser aux autorités nationales la compétence quant à la forme et aux moyens pour atteindre le résultat fixé par la directive, nécessite l’intervention normative des Etats afin de le mettre en œuvre dans leur ordre interne. Or, la technique de l’harmonisation maximale par voie de directives empiète sur ces principes en agissant directement sur les moyens, pour lesquels les Etats membres ne disposent plus de latitude d’action."

L’exposé des motifs du projet de loi semblait d’ailleurs constater un semblable recul de la protection des consommateurs. "La libéralisation du colportage sur notre territoire entraînera, à coup sûr, dans un premier temps, un afflux de vrais et de faux colporteurs ne respectant ni les règles d’une saine concurrence, ni les dispositions légales en faveur des consommateurs telles qu’elles sont issues du droit européen et donc souvent moins protectrices que la loi nationale antérieure. 

 Que peut valoir un droit de rétractation lorsqu’un colporteur non identifié a encaissé la totalité de la somme réclamée au consommateur pour des biens et/ou services prestés ou à prester et s’est ensuite immédiatement réfugié de l’autre côté d’une des trois frontières bordant notre pays et accessibles en quelques dizaines de minutes pour qui veut se soustraire à la loi luxembourgeoise?"

Par ailleurs, la Chambre des salariés a déploré le fait que le gouvernement n’ait pas retenu des exigences linguistiques dans le domaine des obligations d’information précontractuelles, comme la directive le lui permettait.

"La jurisprudence actuelle illustre cependant qu’à de nombreuses reprises les tribunaux ont décidé que des personnes qui ne comprenaient pas le contrat rédigé dans une langue qu’elles ne maîtrisaient pas, étaient néanmoins tenues car elles n’auraient pas dû le signer si vraiment elles ne l’avaient pas compris", fait savoir à ce sujet l’ULC, dans son avis.

Toutefois, elle "se félicite de l’abrogation de [la] loi dépassée" de 1987. Après lecture des documents parlementaires de l’époque, elle rappelle qu’elle avait été adoptée "essentiellement pour protéger le commerce sédentaire bien plus que pour protéger les consommateurs".

Toutefois, l’ULC s’inquiète du fait que la contrepartie à la possibilité de refuser d’être sollicité est que s’il n’a pas manifesté cette opposition avant qu’un démarcheur se présente chez lui/elle mais exprime seulement sa réticence sur le moment tout en se laissant persuader de passer commande, le consommateur ne pourra pas invoquer la nullité mais uniquement se rétracter dans un délai de 14 jours, applicable à tous les autres contrats conclus hors établissement commercial, tandis que "le grand avantage de la nullité est qu’elle peut être invoquée sans restriction dans le temps ce qui constitue une protection efficace pour des personnes souvent vulnérables ignorant la possibilité et les conditions d’exercice du droit de rétractation".

La Confédération générale de la fonction publique (CGFP) s’est montré la plus réticente et la plus pessimiste vis-à-vis de l’autorisation du colportage. Elle déplore que, "une fois de plus, le principe de la subsidiarité reste lettre morte !" La CGFP prévoit que la loi "va d’emblée anéantir la paix et la tranquillité qui caractérisent nos (petites) villes et nos villages et nuire à la discrétion chérie par les habitants du Grand-Duché". "Ce démarchage a par ailleurs pour effet de pousser le consommateur à faire des acquisitions futiles qu’il pourrait ultérieurement regretter", constate-t-elle, puisque "le facteur psychologique, l’effet de surprise, la perplexité, ainsi qu’un temps de réflexion insuffisant" sont tous de nature à pousser le consommateur à prendre une décision d’achat trop hâtive

De même, le colportage, c’est la multiplication d’emplois "extrêmement précaires et mal rémunérés", objecte-t-elle.

Au contraire, la Chambre de Commerce s’est réjouie de l’abrogation de la loi du 16 juillet 1987 qui permettra "aux professionnels de démarcher les consommateurs dans le respect de la loi, et de développer ainsi leur commerce et d’améliorer leur compétitivité". "Cela pourrait également permettre de développer l’activité de représentant commercial et du micro-entreprenariat pour les 'home-parties' ce qui ne peut être que bénéfique pour l’économie luxembourgeoise et les consommateurs en ces temps de crise", dit-elle.

Elle estime également "disproportionnées", les amendes et confiscations prévues par rapport aux dommages éventuels ou désagréments que pourraient causer le non-respect de la loi, et mis en garde contre le fait que "le consommateur ne doit pas (…) être surprotégé au détriment du professionnel".