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Institutions européennes
Invité des Midis de l’Europe, le juge luxembourgeois de la Cour de Justice de l'UE, François Biltgen, a exposé le fonctionnement de son institution
07-05-2014


François BiltgenLe 7 mai 2014, dans le cadre des Midis de l'Europe, le Bureau d’information du Parlement européen au Luxembourg, la Représentation de la Commission européenne au Luxembourg et le Mouvement européen Luxembourg invitaient le juge luxembourgeois de la Cour de Justice de l'UE (CJUE), et par ailleurs ancien ministre, François Biltgen, à présenter la CJUE, son fonctionnement et ses missions.

La CJUE est constituée du tribunal de la fonction publique, seul tribunal spécialisé existant, le tribunal, qui traite des recours contre décisions du tribunal de la fonction publique mais aussi ses compétences propres (concurrence, aides d’Etat… etc)  et la Cour, à proprement parler, composée de 28 juges et 9 neuf avocats généraux.

C’est "l’une des institutions les plus transparentes de l’UE", a tenu à souligner François Biltgen en renvoyant au rapport diffusé le 24 avril 2014 par Transparency International.

Elle a traité plus de 700 affaires en 2013. Elles se jugent à 3, à 5 ou à 15 juges, le nombre de juges augmentant avec la complexité et la nouveauté de la question posée. 32 % de ces affaires se jugent dans une chambre à trois juges, 60 % à cinq juges et 8 % à 15 juges. Dans ce dernier cas, l’affaire est très complexe, elle est "politiquement sensible" ou alors les juges font face à une faible jurisprudence disponible. En cas de nouvelle affaire, de question de droit nouvelle, les conclusions de l’avocat général sont sollicitées, précise par ailleurs le juge.

Il arrive, même si c’est rare, que la CJUE siège en plénière avec ses 28 juges. Ce fut le cas durant les deux jours précédant la conférence, soit neuf heures d’audience consacrées à l’audition des représentants des Etats membres, la Commission, le Parlement et le Conseil, pour que la Cour soit en situation de formuler un avis sur l’accord d’adhésion de l’UE à la convention des droits de l’homme.

Trois types de contentieux traités par la CJUE

"Il existe trois grands volumes de contentieux", fait savoir François Biltgen. Le premier et le plus petit est constitué par les recours directs (qui ont constitué entre 1/10e des affaires en 2013), entre les institutions ou entre les Etats membres et les institutions.

Le recours en manquement en fait partie. "La Commission peut l’utiliser pour reprocher à un Etat membre de ne pas avoir mis en œuvre ou de ne pas appliquer correctement la règlementation européenne." François Biltgen cite deux exemples de recours introduits par la Commission en 2013 contre le Luxembourg. Dans le premier cas, par son arrêt du 11 juillet 2013, la CJUE n’a pas constaté de manquement du Luxembourg dans la transposition des directives du premier paquet ferroviaire, concernant la séparation du rail et du trafic. Dans le deuxième cas, qui concerne les eaux résiduaires, il s’agit d’un "manquement sur manquement", mis en place depuis le traité de Lisbonne, qui à la sanction pécuniaire déjà infligée par la Commission européenne, ajoute aussi une astreinte journalière à payer jusqu’à ce la directive soit effectivement correctement appliquée.  Dans son arrêt du 28 novembre 2013, la CJUE a confirmé l’amende de deux millions d’euros, mais a limité, au vu des efforts fournis par le Luxembourg, l’astreinte à 2800 euros par jour.

Un second type de recours est le recours en annulation. Il est le fait d’institutions européennes, le plus souvent, ou d’Etats membres, dans les autres cas, qui introduisent des recours contre des actes auxquels ils ont participé. François Biltgen cite l’arrêt, rendu par la CJUE le 7 novembre 2000, du recours en annulation du Luxembourg contre le Conseil et le Parlement au sujet de la directive traitant de la liberté d’établissement des avocats dans l’UE.

François Biltgen a aussi évoqué le recours en annulation introduit par la Commission contre la directive sur les infractions routières telle qu’adoptée par le Parlement et le Conseil, à la suite duquel la CJUE a, dans son arrêt du 6 mai 2014, annulé la directive.

La deuxième catégorie, "en train d’exploser", constitue les pourvois contre les arrêts du tribunal. La Cour doit examiner les éléments de droit, non pas de fait, de telle sorte que 90 % des pourvois sont rejetés, explique François Biltgen. Dans ce contexte, il rappelle la nécessité d’engager neuf nouveaux juges pour le tribunal chargés pour sa part d’examiner les éléments de fait en plus des éléments de droit. Néanmoins, si le Parlement est prêt à accéder à cette vieille revendication de la CJUE, le Conseil reste divisé, a fait savoir le juge. Il souligne toutefois que la CJUE est astreinte à respecter la charte des droits fondamentaux, parmi lesquels figurent l’accès à la justice et le droit à obtenir un jugement dans un délai raisonnable.

D’ailleurs, François Biltgen rend attentif à l’arrêt Gascogne rendu le 26 novembre 2013, par lequel la Cour a confirmé l’arrêt du Tribunal sur la participation des sociétés Gascogne Sack Deutschland, Groupe Gascogne et Kendrion à une entente sur le marché des sacs industriels en plastique mais a également souligné le droit de ces sociétés d’introduire des recours en indemnités visant à réparer les préjudices éventuels qu’elles auraient subis en raison de la durée excessive de la procédure devant le Tribunal. Elle a estimé que "la durée du traitement, par le Tribunal, des affaires en cause, qui s’est élevée à près de 5 ans et 9 mois, ne peut être justifiée par aucune circonstance en rapport avec ces affaires", selon le communiqué de presse diffusé alors.

La troisième catégorie est constituée par les questions préjudicielles. Elles forment la mission essentielle de la CJUE, à savoir "garantir une interprétation et une application uniformes du droit de l’Union dans l’ensemble des Etats". Elles constituent 64 % des affaires. C’est un "dialogue de juge à juge"consistant dans la plupart des cas en une demande d’interprétation du droit européen, et, comme c’est moins souvent le cas, en une demande sur la validité d’une norme européenne. 

"Le juge national est aussi un juge européen", souligne François Biltgen. Il a la possibilité de poser une question préjudicielle mais il n’y est tenu que lorsqu’il statue en dernier ressort. Pour le reste, il peut aussi ne pas poser de question, dès lors que la jurisprudence européenne lui est claire.

A la fois, la réponse de la CJUE doit "aider le juge national à résoudre son cas" mais a aussi "valeur de la chose interprétée". Selon ce dernier principe, l’interprétation ainsi donnée par la Cour  vaut pour tout le monde. Ce qui explique d’ailleurs, signale François Biltgen, que d’autres Etats membres que celui dans lequel l’affaire est jugée peuvent parfois intervenir devant la Cour pour défendre une interprétation.

François Biltgen signale pour exemple le cas luxembourgeois des arrêts Kohll et Decker du 28 avril 1998 concernant deux assurés luxembourgeois qui s’étaient vu refuser, par leur caisse d'assurance maladie, le remboursement de prestations de santé effectuées à l'étranger (achat de lunettes en Belgique pour l’un, traitement d'orthodontie en Allemagne pour l’autre) sans autorisation préalable. "La Cour, reconnaissant que les prestations médicales doivent être considérées comme des prestations de services et en conséquence soumises aux règles de libre circulation dans le marché intérieur, a considéré que le fait même de subordonner le remboursement de soins ou de produits de santé à l'obtention d'une autorisation préalable constituait une entrave injustifiable à la liberté de circulation des marchandises et des services", lit-on dans un résumé de l’arrêt.

C’est la Cour de cassation luxembourgeoise qui avait posé la question préjudicielle. Et l’arrêt a finalement abouti à l’adoption, en 2011, de la directive sur les soins transfrontaliers, laquelle n’a d’ailleurs pas encore été transposée au Luxembourg, selon les informations de François Biltgen. Ce dernier voit également dans cet exemple d’arrêt, qu’il y a des affaires qui sont, par le biais des renvois préjudiciels, "déclenchées par les citoyens", quand bien même ceux-ci n’ont pas d’accès direct à la CJUE.

Dans de tels cas de questions préjudicielles, la CJUE doit étudier si une liberté fondamentale est remise en cause, puis si cette remise en cause est justifiée par un intérêt général supérieur, si le moyen employé est approprié pour satisfaire cet intérêt général, et enfin si ce moyen est proportionné.

Au sujet de la directive sur la conservation des données de mars 2006, qui exigeaient que tous les prestataires de communications électroniques devaient conserver, pendant une certaine durée, les données relatives aux communications et les mettre à disposition des autorités nationales, la CJUE a ainsi décidé, par son arrêt du 8 avril 2014, de son invalidité car les moyens employés n’étaient pas proportionnés.

François Biltgen cite également l’arrêt rendu par la CJUE, le 6 janvier 2013, dans l’affaire Sky Austria. Elle a alors arrêté que la Charte des droits fondamentaux ne s’oppose pas à ce que la compensation financière que le titulaire des droits exclusifs de retransmission peut demander pour de brefs reportages par d’autres chaînes soit limitée aux frais techniques.