Le 24 avril 2014, l’ONG Transparency International a publié un imposant rapport consacré à l’intégrité de l’UE face aux risques de corruption du secteur public. Ce document de quelques 250 pages est le fruit de neuf mois de recherches conduites par le bureau européen de Transparency International entre 2013 et 2014. Une enquête qui est la première du genre menée au niveau de l’UE.
Un des principaux objectifs de ce rapport est de faire la part des choses entre les mythes et la réalité, tout en partant du principe que le risque de corruption existe et doit donc être prévenu.
Le rapport étudie ainsi, au sein de dix institutions de l’Union Européenne, les règles et pratiques pour prévenir la corruption et protéger l’intégrité du secteur public, couvrant des domaines ayant trait à la transparence, à la redevabilité et aux règles éthiques internes. Les données ont été collectées par des travaux de recherche et à travers des entretiens réalisés auprès des personnels de chaque institution.
Dix institutions, organes ou agences, de l’Union Européenne sont évaluées dans ce rapport :
Le rapport de Transparency International souligne l’existence, au sein des organes de l’Union européenne, de règles et de pratiques en ligne avec les meilleurs standards internationaux en matière de service public et de redevabilité. Ces mesures incluent notamment la mise en place de procédures pour enquêter sur les soupçons de fraude ou de mauvaise gestion, la possibilité pour le citoyen d’accéder aux documents des institutions européennes ou encore d’intenter un recours judiciaire concernant les décisions le concernant.
Cependant, de nombreuses lacunes subsistent telles que l’absence de règles obligatoires en matière de lobbying et une tendance croissante à négocier les lois en coulisse. Lorsqu’il s’agit de contraindre les décideurs publics à respecter des règles éthiques - comme les délais de carence lorsqu’ils quittent une fonction – l’autorégulation, plutôt qu’un contrôle indépendant, est la norme.
En matière de transparence, les auteurs du rapport soulignent les fondations solides offertes par les traités qui garantissent le droit d’accès aux documents des institutions européennes. Ainsi, le Conseil, la Commission et le Parlement publient-ils, en pratique, nombre de documents, le Parlement permettant notamment de retracer une bonne partie du processus décisionnel sur son site Internet. Les auteurs du rapport relèvent aussi les progrès qui s’annoncent en matière de transparence sur les votes en commission parlementaire. La CJUE, la Cour des Comptes et le Médiateur européen publient systématiquement les résultats de leurs travaux, et toutes les institutions évaluées traitent les demandes d’accès aux documents qui leur sont adressées. Le Médiateur européen joue dans ce contexte un rôle important pour améliorer la transparence.
Mais, au-delà des améliorations nombreuses à apporter en ce qui concerne la transparence sur les documents détenus par les institutions européennes, l’ONG pointe quelques "angles morts" dans le processus législatif, et notamment les négociations qui ont lieu à huis clos entre Parlement, Commission et Conseil lors des trilogues et des comités de conciliation. Par ailleurs le travail du Conseil reste difficile à retracer lorsqu’il se fait à un niveau inférieur au niveau ministériel, ainsi que celui de la Commission et des Etats membres lorsqu’interviennent les groupes d’experts. Les réunions du Conseil européen et les délibérations de la Cour se font aussi à huis-clos.
De plus, rien n’oblige les législateurs européens à enregistrer ou mentionner leurs rencontres avec des lobbyistes au moment où les textes législatifs sont préparés, ni à faire part des suggestions qu’ils auraient pu faire ou des amendements qu’ils auraient pu apporter. L’inscription au registre existant actuellement se fait sur une base volontaire et ne s’applique qu’à la Commission et au Parlement européen, et non au Conseil ou aux représentations permanentes des Etats membres malgré leur rôle central dans le processus législatif européen.
En matière de transparence, l’ONG recommande donc au Parlement, à la Commission et au Conseil d’enregistrer et de diffuser tout apport provenant de lobbyistes ou représentants d’intérêts, ce qui devrait être fait dans un format standardisé sous forme "d’empreinte législative". Les auteurs du rapport recommandent aussi de rendre l’inscription au registre obligatoire et d’élargir son application au Conseil et aux RP, ce qui devrait être soutenu par des mesures incitant s à s’inscrire et dissuadant de ne pas le faire.
Pour Transparency International, le Parlement, la Commission et le Conseil devrait publier tous les documents relatant chacune des étapes dans le processus législatif, et ce y compris lors des négociations comme les trilogues, ou lors des travaux des comités et des groupes d’experts. Il devrait être fait obligatoirement rapport de ces différentes étapes de façon systématique et en temps opportun, ajoute l’ONG.
Selon les auteurs du rapport, les règles du code de conduite en vigueur dans l’administration sont une bonne base pour prévenir la corruption. Le personnel permanent est soumis à de nombreuses restrictions et obligations concernant d’éventuels conflits d’intérêts. L’ONG note que la question fait l’objet d’une attention grandissante au sein des institutions. Mais elle relève aussi la complexité de ces règles.
Les auteurs du rapport soulignent par ailleurs que le comportement de certains parlementaires européens ou hauts représentants de l’UE contraste avec le respect du code de conduite dans l’administration. Ainsi, il n’existe pas de vérification exhaustive des avoirs déclarés par les commissaires ou les députés européens. Quant aux membres des groupes d’experts de la Commission, ils n’ont pas d’obligation de remplir des déclarations d’intérêt.
L’ONG observe par ailleurs que lors des procédures de nomination à de nombreux postes, les décisions politiques prennent bien souvent le pas sur les questions d’intégrité. Les auteurs relèvent aussi les incohérences des règles concernant la durée et l’étendue des obligations auxquelles sont soumis les anciens fonctionnaires ou membres des différentes institutions. Quant aux comités d’éthique, ils sont rarement indépendants et ne disposent pas des pouvoirs qui permettraient d’émettre des recommandations contraignantes ou des sanctions administratives. Les auteurs pointent aussi l’absence de règles éthiques valables pour tous les représentants des autorités nationales exerçant des fonctions au niveau de l’UE.
Le règlement du personnel de l’UE oblige tous les fonctionnaires à faire état de toute activité illégale ou faute grave observée pendant leur travail. Depuis 2014, toutes les institutions doivent par ailleurs mettre des procédures internes en place pour protéger les lanceurs d’alerte. Les auteurs du rapport observent toutefois que seule la Commission a rempli cette obligation et relèvent que l’absence de telles règles est particulièrement problématique dans des institutions comme l’OLAF ou la Cour des comptes.
En matière de contrôle financier, l’ONG souligne que les règles financières en vigueur offrent de fortes garanties contre une mauvaise gestion des finances publiques au sein des institutions européennes. Toutes les institutions étudiées dans ce rapport sont soumises à ces règles et font l’objet d’audits conduits par la Cour des comptes européenne.
La procédure de décharge fonctionne, et l’ONG relève que le Parlement européen semble "prêt à faire usage de ses pouvoirs de surveillance budgétaire". Mais l’efficacité de cette procédure est largement tributaire de la bonne coopération avec les autres institutions et de la qualité de l’information qu’elles choisissent de fournir au Parlement européen. Transparency international pointe ainsi quelques limites révélées par le manque de conséquences qui ont suivi lorsque le Conseil m’a pas fourni au Parlement européen les informations requises et que ce dernier a par conséquent refusé à trois reprises de certifier les comptes du Conseil.
Toutes les institutions ont des procédures financières internes conformes aux règles de l’UE, et l’ONG observe des améliorations mis en œuvre, par exemple pour développer des stratégies anti-fraude au sein des unités de la Commission, ce qui pourrait servir de modèle aux autres institutions.
Les auteurs du rapport pointent toutefois que les nombreux contrôles existant pour éviter que l’argent public ne tombe dans les mains d’individus corrompus risquent d’être minés par le fait que la Commission ne fait que très peu usage de son pouvoir d’exclure et d’empêcher des entreprises corrompues de participer à des marchés publics publiés par les institutions européennes : seules 7 entreprises avaient été exclues fin 2013 suite à des affaires de corruption.
Si les auteurs du rapport notent que les mécanismes en place pour permettre aux institutions de demander des comptes aux autres institutions sont bien utilisés, ils pointent aussi quelques lacunes en matière de surveillance et d’équilibre interinstitutionnel. C’est le cas par exemple quand Parlement européen et Conseil tentent de surveiller les actes délégués adoptés par la Commission, le Parlement ne pouvant prendre des sanctions à l’égard de cette dernière lorsqu’elle tarde à lui fournir des informations. Le Parlement européen a aussi peu à dire en matière de surveillance du travail d’agences comme Europol ou Eurojust.
Par ailleurs, déplore l’ONG, certains organes de contrôle souffrent de restrictions budgétaires, ce qui explique le temps que prennent les enquêtes et audits menés par la Cour des comptes, l’OLAF ou le Médiateur européen. Enfin, et c’est sur ce dernier point qu’insiste beaucoup l’ONG, le cas de l’OLAF pose problème dans la mesure où il fait partie de la Commission et n’a pas le statut indépendant qui lui permettrait d’exercer un contrôle plus efficace ou en tout cas plus crédible sur toutes les institutions.
Les auteurs du rapport observent que les institutions attachent de plus en plus d’importance à la lutte contre la corruption. Ainsi, la dimension de la lutte contre la corruption a-t-elle été ajoutée par le Conseil européen aux feuilles de route de l’UE en matière de Justice, liberté et sécurité.
Le Conseil se sert des renseignements d’Europol pour fixer ses priorités dans la lutte contre le crime transfrontalier tandis que les Etats membres font usage des possibilités de coopérer offertes par Europol et Eurojust. Mais la lutte contre la corruption n’apparaît pas explicitement dans les priorités opérationnelles d’Europol, qui sont fixées par le Conseil, tandis que la possibilité des deux agences de coopérer pour lutter contre la corruption est sous-exploitée selon l’ONG.
Par ailleurs, en 2014, la Commission a établi un rapport sur les efforts des Etats membres en matière de lutte anti-corruption pour la première fois. Mais la dimension européenne de la corruption n’y était pas traitée, tandis que la corruption transfrontalière ou les risques de corruption au sein des institutions ne faisaient pas l’objet d’une grande attention.
Enfin, l’OLAF enquête sur des cas de fraude et de corruption portant sur l’argent de l’UE tout en aidant à la formation des autorités nationales chargées d’administrer des fonds européens. Mais sans pouvoir obliger les Etats membres à suivre ses recommandations ou à mener une enquête.
Transparency International déplore surtout l’absence de Parquet européen en mesure de traiter des affaires transnationales, ou encore le fait que la CJUE n’a pas le pouvoir de statuer sur des affaires de corruption au niveau de l’UE. De ce fait, c’est aux autorités nationales de mener les enquêtes portant sur des affaires de corruption transnationales, avec les incohérences et défaillances du suivi judiciaire que cela implique.