Les ministres européens en charge de la Justice et de l’Intérieur étaient réunis à Luxembourg, le 5 juin 2014 à l’occasion de la première journée d’un Conseil "Justice et affaires intérieures" (JAI) à l’ordre du jour chargé, un peu moins de deux semaines après l’attentat tragique qui a fait quatre victimes au musée juif de Bruxelles le 24 mai 2014. Etienne Schneider, Vice-Premier ministre et ministre de la Sécurité intérieure, ainsi que Félix Braz, ministre de la Justice, y représentaient le Luxembourg.
Les ministres en charge des affaires intérieures ont notamment tenu une discussion approfondie concernant la problématique des combattants étrangers partis faire la guerre en Syrie et de leur retour au pays, sous l’angle de la lutte contre le terrorisme. Dans le contexte de l’attentat tragique au musée juif de Bruxelles qui a fait quatre victimes le 24 mai 2014, le coordinateur de l’UE pour la lutte contre le terrorisme, Gilles de Kerchove, a informé les ministres sur les mesures de prévention, ainsi que sur l’échange d’informations, les réponses au niveau de la justice pénale et sur le renforcement de la coopération avec les pays tiers.
Les ministres ont accueilli favorablement le rapport du coordinateur et ont souligné "que le travail devrait être intensifié", précisent les conclusions diffusées par le Conseil. Dans ce même contexte, l’optimisation de l’utilisation des outils européens existants, tels que le Système Information Schengen (SIS) II, avec le but de détecter les déplacements suspects et les routes empruntées par les djihadistes a été discuté. Le renforcement de la coopération et de l’échange d’informations entre Etats membres ont également fait l’objet de discussions.
Pour Gilles de Kerchove, l'UE doit impérativement se doter d'un programme PNR, "l'outil le plus efficace" selon lui pour traquer ces combattants, mais aussi mettre l’accent sur davantage de moyens de prévention. Le coordinateur a notamment plaidé pour que les Etats membres lancent des campagnes de sensibilisation sur le net aux dangers du combat en Syrie. "Il faut expliquer à ces jeunes tentés de partir l'horreur qui les attend sur place, la cruauté des actes qu'ils seront éventuellement amenés à commettre", a-t-il expliqué, selon des propos rapportés par l’Agence Europe.
Du côté luxembourgeois, le vice-premier ministre, Etienne Schneider, a souligné, lors d’une conférence de presse à l’issue du Conseil, le peu de compétences de l’UE dans ce domaine, celles-ci relevant d’abord des Etats membres. Le SIS II peut certes permettre d’évaluer la dangerosité de certains individus, comme par exemple les personnes qui ont été, sont ou veulent devenir des combattants étrangers, selon le ministre. Mais, estime-t-il, comme les citoyens européens ont le droit de voyager où ils veulent, les moyens pour endiguer les flux de ces personnes vers des pays où sévit un conflit sont très limités.
Dans ce contexte, Etienne Schneider est très réservé à l’égard d’un PNR européen qui enregistrerait les données de tous les passagers. Une telle démarche serait selon lui contrée par la Cour de Justice de l’UE, le Parlement européen et risque fort d’être contraire au principe de la protection des données. Ce n’est donc "pas la bonne voie", assure-t-il.
Le ministre est en revanche favorable à une coopération accrue entre les services de renseignement, le parquet et la police pour identifier et placer sous observation des individus "reconnus comme dangereux et susceptibles de faire certains pas" qui risquent de s’achever par leur mort sur le terrain. Etienne Schneider a évoqué les souffrances des familles et des proches de ces personnes et il estime qu’il faudrait donc agir de manière préventive et les aider à ne pas faire ce choix. Une manière de procéder serait de leur offrir de participer à des actions qui constitueraient une alternative à leur décision de devenir un combattant, par exemple en leur donnant la possibilité d’aider le pays où ils projettent d’aller combattre.
Parallèlement, les ministres ont adopté une version révisée de la stratégie de l’UE visant à lutter contre la radicalisation et le recrutement de terroristes. Des lignes directrices pour la mise en œuvre de cette stratégie doivent dorénavant être élaborées.
Pour mémoire, les conclusions du Conseil rappellent que la stratégie révisée souligne la nécessité de promouvoir la sécurité, la justice et l'égalité des chances pour tous ; veiller à ce que la voix de l'opinion majoritaire l'emporte sur celle de l'extrémisme ; améliorer la communication du gouvernement ; soutenir les messages de la lutte antiterroriste ; lutter contre la radicalisation et le recrutement en ligne au terrorisme ; entraîner, renforcer les capacités et engager des spécialistes de première ligne dans tous les secteurs pertinents ; aider les individus et la société civile pour renforcer la résilience ; soutenir les initiatives de désengagement ; soutenir de nouvelles recherches sur les tendances et les défis de la radicalisation et du recrutement des terroristes et ; harmoniser le travail de contre-radicalisation interne et externe.
Le Conseil a pris note du rapport de la Commission sur l'état de la mise en œuvre des actions opérationnelles dans le contexte de la Task Force pour la Méditerranée et "s'est félicité des progrès réalisés à ce jour", soulignent les conclusions diffusées à l’issue du Conseil.
Pour mémoire, le Groupe de travail de la Méditerranée avait été créé à la suite du Conseil JAI des 7 et 8 octobre 2013 afin d'identifier les outils à la disposition de l'UE qui pourraient être utilisé de manière plus efficace pour éviter les événements tragiques qui ont eu lieu au large des côtes de Lampedusa.
Dans ses conclusions, le Conseil a reconnu que la situation en Méditerranée est "une grande préoccupation pour tous les Etats membres". La mise en œuvre rapide des initiatives identifiées par le Groupe de travail, avec la contribution active de tous les acteurs impliqués, est jugée "essentielle" pour aider les Etats membres situés aux frontières du Sud et de l'Est de l’UE à répondre aux défis auxquels ils sont actuellement confrontés.
En marge du Conseil JAI, le Vice-Premier ministre Etienne Schneider a déclaré en sa qualité de ministre de la Sécurité intérieure que le Luxembourg s’engage en matière de politique vis-à-vis des réfugiés pour une démarche qui mise sur l’aide à leurs pays d’origine, et ce à travers l’aide publique au développement, qui devrait être de 0,7 % pour tous les pays de l’UE, et qui mise également sur la stabilisation politique de ces pays. Dans ce contexte, Frontex est pour le ministre également "un moyen de maîtriser le côté humanitaire du problème", notamment à travers son programme de prévention des naufrages de bateaux transportant des réfugiés du sud de la Méditerranée vers les côtes européennes. Mais, fait remarquer le ministre, cette mission a créé "une situation perverse", nombre de réfugiés pensant que le risque d’une traversée aurait diminué, ce qui a fait de nouveau évoluer à la hausse le nombre de tentatives pour traverser la Méditerranée.
Etienne Schneider voudrait par ailleurs que l’on parle plus d’immigration légale, car l’Europe est confrontée au vieillissement de sa population. Pour lui, il est faux de croire que les personnes qui viennent des pays situés au Sud de la Méditerranée seraient toutes sous-qualifiées pour le marché du travail européen. Au contraire, leur immigration légale pourrait constituer une opportunité.
Finalement, le Vice-Premier ministre, ministre de la Sécurité intérieure Étienne Schneider a pris part à une discussion concernant la procédure de sélection du directeur exécutif de l’agence Frontex. Le ministre a souligné l’importance d’un déroulement rapide de la procédure de nomination, selon un communiqué de son Ministère.
Lors d’une discussion sur la réforme d’Europol, l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des services répressifs, les ministres sont parvenus à dégager une orientation générale sur le texte proposé par la Commission européenne. Ceci permettra d’entamer les négociations avec le Parlement européen en vue d’un accord sur le texte final du règlement.
Pour rappel, le nouveau projet de règlement envisageait notamment la fusion de l'agence de coopération policière en Europe - Europol - avec le collège de police - CEPOL. Mais à l’instar du Parlement européen, qui avait refusé cette fusion le 26 février 2014, le Conseil avait lui aussi rejeté définitivement cette proposition de fusion lors de sa réunion de mars 2014.
Le reste du texte vise essentiellement à la "lisbonnisation" de l'actuelle décision du Conseil de 2009 relative à Europol, notamment en introduisant des dispositions relatives au contrôle parlementaire de l’agence, soulignent les conclusions diffusées par le Conseil. Il s’agit ainsi d’adapter les relations extérieures d'Europol aux règles du nouveau traité, entre autres via la nomination du Contrôleur européen de la protection des données en tant qu’organe de surveillance de la protection des données à Europol. Par ailleurs, le projet de règlement vise à fournir à Europol un régime de gestion de données souple et moderne et à aligner la gouvernance d'Europol avec les orientations générales applicables aux agences de l’UE.
Dans l’après-midi du 5 juin 2014, lors d’une session conjointe, les ministres ont participé à un échange de vues consacré à l’évolution future du domaine de la justice et des affaires intérieures et à la définition des orientations stratégiques pour l’espace de liberté, de sécurité et de justice (orientations pour la période dite "post-Stockholm").
Le traité de Lisbonne consacre en effet la programmation pluriannuelle dans le domaine de la JAI et attribue au Conseil européen la définition des "orientations stratégiques de la programmation législative et opérationnelle dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice". Ainsi, le débat des ministres aura servi de base à la discussion qui aura lieu au Conseil européen des 26 et 27 juin 2014, en vue de procéder à l’adoption des nouvelles orientations stratégiques.
Au cours de l’échange de vues, les ministres luxembourgeois Étienne Schneider et Félix Braz ont tenu à mettre en avant les points que le gouvernement luxembourgeois considère comme "particulièrement importants", à savoir : "une simplification des canaux de communication de la coopération policière européenne et internationale ; l’adéquation des règles de coopération policière Schengen ; la mise en place d’un système européen de garde-frontières et un débat sur le mandat de l’agence Frontex ; le renforcement des droits de la famille, dans un contexte de mobilité intra-européenne accrue ; et finalement la création d’un Parquet européen, comme un des projets phares dans le domaine de la JAI pour les années à venir", précise le communiqué conjoint de leurs deux Ministères.
La présidence grecque du Conseil a de son côté souligné que le Conseil "reviendra sur la question des orientations stratégiques au cours des présidences italienne et lettones dans le but de discuter des modalités de leur mise en œuvre", détaillent les conclusions.
Les ministres de la Justice se sont ensuite penchés sur l’arrêt rendu le 8 avril 2014 par la Cour de justice de l’Union européenne, qui a invalidé la directive sur la conservation de données personnelles par les opérateurs de communications électroniques.
Cette première discussion au Conseil, qui fait suite à un débat sur le sujet au Parlement européen le 16 avril 2014, avait comme but de donner une ligne d’interprétation de l’arrêt de la Cour, tant en ce qui concerne le principe de la conservation de données qu’en ce qui concerne les garanties à pourvoir. Lors d’un tour de table, différents États-membres ont fourni un aperçu des analyses qui sont en cours au niveau interne.
Lors de son intervention, le ministre luxembourgeois de la Justice Félix Braz s’est félicité de l’arrêt de la CJUE, dans la mesure où il vient de trancher une discussion vieille de plus de dix ans. "L’arrêt de la Cour souligne clairement que tous les droits fondamentaux des citoyens de l’UE sont à respecter, et met en évidence que les règles relatives à la sécurité ne priment pas les droits relatifs à la protection de la vie privée et de la protection des données à caractère personnel. De plus, la Cour déclare que la directive n’a pas respecté le principe de la proportionnalité" a ainsi rappelé le ministre selon le communiqué diffusé par son Ministère.
"Au Luxembourg, tout comme dans les autres Etats membres, une analyse de fond de la législation nationale est en cours", a-t-il poursuivi, insistant néanmoins "sur la nécessité de réagir de manière collective et au niveau européen à l’arrêt de la Cour", et de définir avant tout progrès en cause un régime général de protection des données qui garantisse "un niveau de protection élevé et harmonisé" avant de ne se pencher sur d’éventuelles exceptions à la règle. "Nous devons une protection efficace à nos citoyens !" a conclu Félix Braz.
Le Conseil a par ailleurs pris note des informations sur l'état d'avancement en ce qui concerne les préparatifs de la fin de la période de transition post-Lisbonne pour les mesures relevant de l’ex-troisième pilier le 30 novembre 2014. Pour rappel, le troisième pilier institutionnel de l’UE, portant sur les décisions relatives à la coopération judiciaire et policière en matière pénales, relevait jusqu’au traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1 er décembre 2009 et qui a fusionné les trois piliers, exclusivement de la méthode intergouvernementale. Après la période de transition qui s’achève le 30 novembre 2014, les politiques en place intègreront l’acquis communautaire.
Dans ce contexte, le Protocole 36 du traité de Lisbonne permettait au Royaume-Uni de décider, le 31 mai 2014, s’il devait continuer à être lié par les quelque 130 mesures policières et de justice pénale adoptées à l'unanimité par le Conseil des ministres avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, ou exercer son droit de se retirer (opt-out) de l’ensemble. C’est cette dernière option que le Royaume-Uni a notifié en Juillet 2013.
Toutefois, le protocole 36 prévoit également que le Royaume-Uni peut ensuite décider de notifier au Conseil s’il souhaite à nouveau participer à des actes qui ont cessé de s'appliquer à cet Etat membre (opt-in), ce que le Royaume-Uni "a déjà indiqué officieusement", précisent les conclusions du Conseil.
Pour les mesures ne relevant pas de Schengen (mandat d'arrêt européen, Europol, Eurojust, échange des casiers judiciaires, etc.), la Commission européenne est compétente pour "accepter la demande ou chercher à imposer des conditions à la participation du Royaume-Uni". Si le Royaume-Uni n'accepte pas les conditions ou ne parvient pas à les satisfaire dans les quatre mois la question peut alors être déférée au Conseil, qui décidera d'accepter ou non la demande du Royaume-Uni par un vote à la majorité qualifiée (sans le Royaume-Uni).
Pour les mesures de Schengen (SIS II par exemple, la coopération policière Schengen, etc.), le Royaume-Uni doit s'adresser au Conseil, qui agit à l'unanimité (y compris le Royaume-Uni).