En réponse à une série de questions parlementaires déposées par le député Déi Lénk Justin Turpel, huit ministres détaillent, dans une longue réponse conjointe datée du 24 juin 2014, la position du gouvernement luxembourgeois quant aux négociations en vue de l'établissement d'un Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP ou PTCI) entre l’Union européenne et les USA. Ils tentent ainsi d’y apaiser les nombreuses craintes soulevées par la société civile.
Selon les ministres – Jean Asselborn, Félix Braz, Nicolas Schmit, Romain Schneider, Fernand Etgen, Lydia Mutsch, Dan Kersch et Carole Dieschbourg –, le débat "parfois très vif" ces dernières semaines dans l’UE "témoigne des interrogations" sur le sujet. Pour le gouvernement, ces interrogations "interpellent et exigent des réponses, notamment face aux rumeurs persistantes en la matière", dit-il.
Dans leur réponse, les ministres luxembourgeois contestent, sans la citer, la critique récurrente sur l’absence de transparence des négociations. La réponse écrite précise ainsi que le gouvernement "a pris note avec intérêt de la prise de position commune sur le PTCI" de la part d’une plateforme d’ONG luxembourgeoises qui sera reçue par une délégation gouvernementale le 27 juin pour "un échange de vues". Le gouvernement se félicite par ailleurs que la Chambre des députés procède à une audition publique sur le sujet le 11 juillet qui permette "à chaque partie intéressée d'exprimer son point de vue" et d’engager un dialogue.
Sur le caractère secret du mandat de négociation, disponible uniquement en raison de fuites, le gouvernement explique qu’il "aurait souhaité [le] déclassifier et [le] publier", mais que "certains Etats membres de l'UE s'y opposent par principe". Le gouvernement luxembourgeois veillera néanmoins, " ensemble avec d'autres Etats membres, à militer pour un maximum de transparence lors de ces négociations, dans le respect des conventions internationales afférentes", promettent les ministres.
Et de souligner "les efforts déjà accomplis en la matière grâce à la publication des papiers de position de l'UE, l'organisation de séminaires multiples et la mise en place d'un comité consultatif de la société civile à Bruxelles", une voie que le gouvernement "appelle la Commission à poursuivre". "Pour aboutir à un accord, un certain degré de confidentialité sera certes requis, mais ce sera au Parlement européen et à chaque parlement national, voire régional, de débattre et ratifier le paquet final étant donné qu'il s'agira d'un accord dit ‘mixte’", écrivent les ministres.
Le gouvernement rappelle par ailleurs que "certains secteurs sont dès à présent exclus du mandat de négociation, notamment les services publics et audiovisuels" et que "pour d'autres, notamment la culture et l'éducation, les exceptions existantes prévues dans l'accord du GATS seront appliquées".
Les ministres l’affirment en tout cas, le TTIP ne vise "en aucun cas à changer nos règles et normes existantes en Europe". Pour ce qui est de la réduction des barrières non tarifaires, "cet accord doit permettre d'aligner des procédures et d'harmoniser des standards pour certains biens et services lorsqu'une telle harmonisation peut se faire dans le respect des règles de chacune des parties", assurent les ministres.
Mais de préciser qu'il ne s'agit néanmoins "pas de procéder à une reconnaissance mutuelle automatique des standards et procédures des deux parties". Le gouvernement souligne que ce sont surtout les biens industriels, les produits transformés et des services spécialisés qui sont visés par le TTIP et que les opérateurs européens afférents, y compris les PME, ont souvent du mal, voire se retrouvent dans l'impossibilité, d'accéder au marché américain dans ces secteurs. "Il s'agit dès lors d'éviter la duplication de nombreuses procédures de facto équivalentes des deux côtés de l'Atlantique et en aucun cas d'entreprendre par le biais d'un tel accord un nivellement vers le bas de nos systèmes existants ni de mettre fin à notre droit à réglementer".
Selon les ministres, le gouvernement continuera à suivre de près ces négociations et à plaider en faveur d'un accord ambitieux tant du point de vue économique, social qu'environnemental, "dans le strict respect de l'acquis communautaire". Le mandat prévoit une étude d'impact indépendante "développement durable" auquel participera la société civile et qui sera finalisé avant paraphe de l'accord précisent-ils encore.
En ce qui concerne le domaine du travail et de l'emploi, le gouvernement se félicite en particulier de la tenue le 21 mai 2014 à Berlin d'une réunion entre les dirigeants de la Fédération américaine du travail - le Congrès des organisations industrielles (AFL-CiO) - et de la Confédération européenne des syndicats (CES), et de l'appel que ces deux fédérations syndicales y ont lancé pour que le TTIP devienne un accord commercial "d'excellence" qui améliore les conditions de vie et de travail des deux côtés de l'Atlantique. Les deux fédérations ont estimé qu'une augmentation des échanges commerciaux transatlantiques pourrait "créer de nouveaux emplois et une prospérité partagée" mais "que cela doit se faire d'une manière qui soit bénéfique pour tous les travailleurs". Le gouvernement approche cette négociation "avec cette même ambition et cette même exigence", lit-on dans la réponse commune.
Pour les ministres, l'accord doit par ailleurs "consacrer au développement durable un rôle horizontal dans le commerce transatlantique et dans l'action de l'Union européenne et des Etats-Unis au plan international". Ils estiment en effet que "cela pourrait donner à nos normes sociales et environnementales une influence beaucoup plus décisive que ce n'est actuellement le cas". Et de promettre que le gouvernement luxembourgeois "veillera à ce que l'accord ne change en aucun cas notre législation interne, y compris sur les OGM, la viande bovine et les volailles", une allusion claire au poulet au chlore et autres viandes non traçables qui ont été soulevées lors des discussions publiques.
Les ministres précisent que dans ce contexte, le gouvernement veillera en particulier à défendre les politiques énergétiques et climatiques de l'UE, les réglementations européennes en matière de marchés publics, de substances chimiques (en particulier la réglementation "REACH"), de médicaments et de bien-être animal. "Le gouvernement estime que la protection des consommateurs doit sortir renforcée d'un tel accord qui s'inscrira dans notre politique plus globale en matière de protection de l'environnement, d'énergie et de prévention ou de mitigation des changements climatiques. Les politiques ambitieuses de l'UE dans ces domaines doivent servir d'exemple dans ces discussions et leurs effets positifs sur l'emploi, l'innovation, la qualité de vie et la compétitivité être considérées tout particulièrement comme un avantage concurrentiel. Un accord transatlantique ambitieux pourrait constituer un outil important dans l'écriture des règles de la mondialisation".
Dans le secteur de l'agriculture, les ministres soulignent que "l'accord reprendra les positions de l’UE dans le cadre du cycle de Doha à l'OMC, notamment pour ce qui est des contingents et des tarifs de certains produits sensibles (viande, lait, céréales)". Concernant la protection des données, "le gouvernement s'engage pour une ligne très claire visant à garantir la neutralité de la toile et le respect de la sphère privée de chaque citoyen". La Commission européenne n'aurait par ailleurs "aucunement l'intention d'aligner les législations européennes et américaines en matière de droits de propriété intellectuelle", affirment-ils.
Pour ce qui est du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etat (RDIE), qui pourrait permettre à des investisseurs s'estimant lésés par une politique publique de poursuivre un Etat devant un tribunal arbitral, les ministres rappellent qu’une consultation publique est en cours. "La Commission européenne reste convaincue de l'importance des dispositions de protection des investissements assurant le flux des investissements entre les parties de l'accord et vise à négocier un règlement des différends entre investisseurs et Etats ambitieux, sur base d'une analyse des faiblesses du système existant", disent-ils.
Cette approche entend "prendre en compte les critiques liées à la transparence et les déséquilibres d'un tel système d'arbitrage. Les modifications prévues dans un tel chapitre pourraient protéger davantage notre droit à réglementer et renforcer la sécurité juridique des investisseurs. Au-delà de ces moyens, une entreprise peut toujours avoir recours aux voies judiciaires luxembourgeoises pour attaquer en justice une décision du gouvernement dont elle s'estimerait lésée".
Les ministres précisent néanmoins que "le Luxembourg est d'avis qu'un tel système n'est pas nécessaire avec un pays membre de l'OCDE" et qu’ "à l'instar d'autres ministres du Commerce, Monsieur le ministre des Affaires étrangères et européennes a écrit au Commissaire Karel De Gucht pour lui faire part de la position luxembourgeoise à cet égard".
Mais d’ajouter qu’il "est vrai néanmoins qu'il existe des pays pour lesquels l'inclusion d'un tel mécanisme dans un accord d'investissement peut s'avérer utile ; la question d'éventuels "doubles standards" en la matière mérite d'être prise en considération", peut-on lire dans la réponse écrite.
Les ministres relèvent en outre que ce sont avant tout les entreprises européennes qui ont recours à ces arbitrages (52 % de tous les arbitrages enregistrés entre 2008 et 2012). "Les Etats membres de l'UE ont par ailleurs à eux seuls signé plus de 1 400 accords bilatéraux contenant de telles clauses. C’est également le cas du Luxembourg dans le cadre d'accords UEBL".
Selon le gouvernement, qui rappelle "son attachement aux processus multilatéraux (OMC, CNUCED, OCDE) et notamment son engagement en faveur d'un commerce mondial équitable devant permettre aux plus démunis de profiter du développement économique global", l'articulation de cet accord avec d'autres accords de libre-échange sera cumulative pour les pays tiers qui ont conclu un accord de libre-échange à la fois avec l'UE et les Etats-Unis.
"Le TTIP fait partie intégrante de cette stratégie : toutes les études concordent pour affirmer qu'un accord transatlantique ambitieux aurait des retombées positives pour nos partenaires en Afrique, Asie et Amérique latine", écrivent les ministres.
Et de conclure : "Le Luxembourg est une des économies les plus ouvertes dans le monde et a toujours salué les investissements sur son territoire ainsi que le développement économique et la création d'emplois auxquels ils ont contribué. Un meilleur accès au marché américain, notamment pour ce qui est des marchés publics, est d'un grand intérêt pour de nombreuses entreprises européennes et sera créateur d'emplois et de richesse des deux côtés de l'Atlantique".