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Politique étrangère et de défense
Le COREPER adopte des sanctions économiques d’envergure contre la Russie
29-07-2014


ukraine-carteLe Comité des représentants permanents des Etats membres auprès de l’Union européenne (COREPER), qui se réunissait à Bruxelles le 29 juillet 2014, a marqué un accord politique sur une série de sanctions économiques envers la Russie, en raison du soutien aux actions de déstabilisation menées dans l’Est de l’Ukraine qui est imputé à Moscou.

Le contexte

Pour mémoire, dans le contexte de l'attentat contre le vol MH17 de la Malaysian Airlines à Donetsk qui a fait 298 victimes le 17 juillet dernier et des difficultés rencontrées par les enquêteurs internationaux pour accéder à la zone du crash où se poursuivent des combats entre des séparatistes pro-russes et l’armée régulière ukrainienne, le Conseil "Affaires étrangères" du 22 juillet 2014 avait demandé à la Commission et au Service européen pour l’action extérieure (SEAE) de présenter au COREPER des propositions d’actions, y compris concernant "l'accès aux marchés des capitaux, la défense, les biens à double usage et les technologies sensibles, notamment dans le secteur de l'énergie".

Discutées les 24 et 25 juillet par les représentants permanents, les propositions législatives nécessaires dans tous les domaines identifiés ont été élaborées et adoptées par la Commission européenne le 28 juillet 2014. Il s’agit ainsi désormais bien de la phase dite 3 des sanctions qui prévoit des mesures restrictives économiques "de grande ampleur".

Les sanctions économiques

Le COREPER s’est ainsi mis d’accord sur un nouveau train de mesures restrictives de l'UE visant la Russie, à commencer par une limitation de l'accès de la Russie aux marchés de capitaux primaires et secondaires de l'UE pour les institutions financières publiques russes. "Les ressortissants et les entreprises de l'UE ne pourront plus acheter ou vendre de nouvelles obligations, actions ou instruments financiers similaires dont l’échéance est supérieure à 90 jours, émis par de grandes banques d'Etat russes, des banques de développement, de leurs filiales et de ceux qui agissent en leur nom", peut-on lire dans un communiqué diffusé par le service de presse du Conseil à l’issue de la réunion. Sont ainsi visées les banques détenues à plus de 50 % par l’Etat russe. Les services liés à l'émission de ces instruments financiers, par exemple, le courtage, sont également interdits.

Ces mesures viennent s’ajouter à la suspension par la Banque européenne d'investissement (BEI) de la signature de nouvelles opérations de financement en Russie, demandée par le Conseil européen extraordinaire du 16 juillet 2014, de même que de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) au sein de laquelle les Etats membres de l'UE coordonnent leurs positions en vue de suspendre le financement de nouvelles opérations en Russie.

En outre, un embargo sur l'importation et l'exportation d'armes et de matériel connexe de et vers la Russie a été convenu. Cet embargo couvre tous les éléments de la liste commune des équipements militaires de l'UE. Le COREPER est également parvenu à un accord sur une interdiction des exportations de biens et technologies à double usage à des fins militaires en Russie ou destinées aux militaires russes en tant qu’utilisateurs finaux. Tous les éléments de la liste des biens à double usage de l'UE sont inclus.

Enfin, les exportations de certains équipements et technologies liés à l'énergie vers la Russie seront soumis à l'autorisation préalable des autorités compétentes des États membres. "Les licences d'exportation seront refusées si les produits sont destinés à l'exploration en eau profonde et la production pétrolière, l'exploration et l’exploitation pétrolière de l'Arctique ou des projets d’exploitation de pétroles de schiste en Russie", lit-on dans le communiqué diffusé à l’issue du COREPER.

Aucune de ces mesures ne sera rétroactive et elles ne s'appliqueront dès lors qu’aux nouveaux contrats, précise encore le communiqué. La vente de navires militaires de type Mistral par le France à la Russie, qui avait été critiquée par plusieurs chefs d’Etat et de gouvernement européen dans le contexte de la crise ukrainienne, n’est donc pas concernée.

Ces restrictions vont maintenant être formellement adoptées par le Conseil par le biais d'une procédure écrite. Elles seront applicables à partir du jour suivant leur publication au Journal officiel de l'UE, qui est prévue au plus tard d’ici le 31 juillet 2014. Selon plusieurs agences de presse, les sanctions seront réévaluées d’ici à trois mois pour en vérifier l’impact.

Des restrictions supplémentaires relatives à l’annexion illégale de la Crimée et de Sébastopol

En outre, les représentants permanents des Etats membres ont convenu d’imposer des restrictions en matière de commerce et d'investissement pour la Crimée et Sébastopol, comme l’avait demandé le Conseil européen du 16 juillet 2014. Celles-ci comprennent une interdiction de nouveaux investissements en Crimée et Sébastopol dans les secteurs suivants: les projets d'infrastructure dans le transport, les télécommunications, les secteurs de l'énergie ainsi que dans le cadre de l'exploitation du pétrole, du gaz et des minéraux.

"Les équipements clés pour les six mêmes secteurs ne pourront être exportés en Crimée et à Sébastopol et les services financiers et d'assurance liés à de telles opérations ne devront pas être fournis", précise le communiqué. Pour mémoire, les marchandises originaires de Crimée ou de Sébastopol ne peuvent déjà plus être importées dans l'UE, sauf si elles disposent de certificats ukrainiens.

En outre, le COREPER a convenu d’élargir la liste des personnes soumises à un gel des avoirs et une interdiction de visa dans l’UE en y ajoutant huit personnes et trois entités, notamment parce qu’elles "soutiennent activement les décideurs russes responsables de l'annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l'est de l'Ukraine ou [qu’elles] tirent avantage de ces décideurs".

Parmi les personnalités concernées se retrouvent trois "connaissance[s] de longue date du président Poutine" dont Yuriy Kovalchuk  et Nikolay Shamalov, les deux cofondateurs d'"Ozero Dacha", une société coopérative réunissant un groupe influent de personnes autour du président russe, lit-on dans le Journal officiel. Tous deux sont par ailleurs les principaux actionnaires de Bank Rossiya, qui a ouvert des succursales en Crimée et à Sébastopol, "consolidant ainsi leur intégration dans la Fédération de Russie" et qui détient d'importantes participations dans le National Media Group, "qui contrôle des chaînes de télévision soutenant activement les politiques du gouvernement russe visant à déstabiliser l'Ukraine".

La troisième "connaissance de longue date du président Poutine", Arkady Rotenberg est un actionnaire important de Giprotransmost, société qui s'est vu attribuer par une entreprise publique russe un marché public portant sur la réalisation de l'étude de faisabilité relative à la construction d'un pont entre la Russie et la République autonome de Crimée annexée illégalement. Alexey Gromov, premier chef d'état-major adjoint de l'Administration présidentielle, est de son côté sanctionné pour son rôle envers les médias russes auxquels il est "chargé de donner pour instruction d'adopter une ligne favorable aux séparatistes de l'Ukraine et à l'annexion de la Crimée".

Oksana Tchigrina, porte-parole du "gouvernement" de la "République populaire de Lougansk", Boris Litvinov, président du "Conseil suprême" de la "République populaire de Donetsk", Sergey Abisov, "ministre de l'intérieur de la République de Crimée" et Konstantin Malofeev, "étroitement lié aux séparatistes ukrainiens de l'Est de l'Ukraine et de Crimée", selon le Journal officiel viennent compléter la liste.

Pour ce qui des entités visées par l’élargissement des sanctions, se retrouvent l’entreprise publique russe Almaz-Antei, fabricante d’armements antiaériens dont des missiles sol-air destinés à l’armée russe. "Les autorités russes ont fourni des armes lourdes aux séparatistes de l'Est de l'Ukraine, contribuant à la déstabilisation de l'Ukraine. Ces armes sont utilisées par les séparatistes, notamment pour abattre des avions", lit-on dans le Journal officiel.

Dobrolet, filiale d'une compagnie aérienne publique russe qui depuis l'annexion illégale de la Crimée assure exclusivement des vols entre Moscou et Simferopol, et la Russian National Commercial Bank (RNCB), passée entièrement sous le contrôle de la "République de Crimée" suite à l’annexion de la péninsule et devenue le principal acteur du marché, alors qu'elle n'y était pas présente avant l'annexion, complètent la liste des entités sanctionnées.

Pour rappel, cette liste contenait déjà 87 personnes et 9 entités considérées "responsables d'actions allant à l'encontre de l'intégrité territoriale de l'Ukraine" et de 11 entités en Crimée et Sébastopol qui ont soit été confisquées ou qui ont bénéficié d'un transfert de propriété contraire à la loi ukrainienne. Cela porte le nombre des personnes et entités soumises à des restrictions de l'UE à 95 personnes et 23 entités.

Ces mesures sont entrées en vigueur suite à leur adoption formelle par le Conseil via procédure écrite et leur publication au Journal officiel de l'UE le 30 juillet 2014.

"Une sérieuse mise en garde" à l’adresse de la Russie, selon José Manuel Barroso et Herman Van Rompuy

Dans une déclaration commune, les présidents de la Commission européenne et du Conseil européen, José Manuel Barroso et Herman Van Rompuy ont souligné "l’importance" de ce train de mesures restrictives supplémentaires ciblant la coopération sectorielle et les échanges avec la Fédération de Russie qui constitue "une sérieuse mise en garde".

"L'annexion illégale d'un territoire et la déstabilisation délibérée d'un pays voisin souverain ne sont pas acceptables dans l'Europe du XXIe siècle. En outre, lorsque la situation violente ainsi engendrée dégénère en provoquant la mort de près de 300 civils innocents passagers d'un vol entre les Pays-Bas et la Malaisie, une réaction urgente et déterminée s'impose", estiment-ils. Et d’ajouter que l’UE "respectera ses obligations en assurant la protection et la sécurité de ses citoyens" et qu’elle "soutiendra ses voisins et partenaires".

Les deux présidents assurent encore que depuis le début de la crise ukrainienne, l'UE a appelé le pouvoir russe à œuvrer à une solution pacifique. "Nous l'avons fait de façon collective et bilatérale. Or, nous sommes au regret de devoir déplorer que, malgré les signaux ambivalents envoyés par Moscou et les échanges qui ont eu lieu en Normandie et sous d'autres formes, les engagements pris n'ont quasiment pas été suivis d'effet", disent-ils.

Ainsi, Herman Van Rompuy et José Manuel Barroso relèvent que "des armes et des combattants provenant de la Fédération de Russie continuent d'affluer en Ukraine", à quoi s’ajoute "une forte propagande nationaliste soutenue par l'État russe [qui] continue d'encourager les actions illégales des combattants séparatistes". Et d’appuyer que c'est "avec colère et frustration" qu’il a fallu constater "le retard" avec lequel les experts internationaux ont eu accès au site de la catastrophe aérienne, "la manipulation" des débris de l'avion et "la manière irrespectueuse" dont ont été traitées les dépouilles des victimes.

Rappelant que la Russie et l'UE ont d'importants intérêts communs, ils soulignent que "toutes deux ont tout à gagner" d'un dialogue franc et ouvert, ainsi que d'un renforcement de la coopération et des échanges. "Cependant, nous ne pouvons poursuivre ce programme constructif important alors que la Crimée a été annexée, que la Fédération de Russie soutient une révolte armée dans l'Est de l'Ukraine et que les violences ainsi déclenchées provoquent la mort de civils innocents", disent encore les deux présidents.

Il s’agit donc désormais d’adresser "un signal fort" aux dirigeants de la Fédération de Russie: "le prix à payer pour la déstabilisation de l'Ukraine, ou de tout autre pays voisin d'Europe de l'Est, pèsera lourdement sur son économie". La Russie va par ailleurs "se retrouver de plus en plus isolée par ses propres actions". Néanmoins, ajoutent les deux présidents, l'UE reste disposée à revoir ses décisions et à reprendre le dialogue avec la Russie, cela lorsque celle-ci commencera à "contribuer activement et sans aucune ambiguïté" à la recherche d'une solution à la crise ukrainienne.

De son côté, la chancelière allemande, Angela Merkel, a estimé que cette décision "était inévitable", dans un communiqué publié sur le site du gouvernement allemand. Elle a appelé le pouvoir russe "à emprunter la voie de la désescalade et de la coopération" dans le conflit en Ukraine. "Les sanctions de l'UE peuvent être revues, mais des mesures supplémentaires sont également possibles", a-t-elle prévenu.