Le 5 août 2014, la radio socio-culturelle luxembourgeoise 100komma7 avait diffusé un reportage sur l’avis très critique délivré par la Banque centrale européenne (BCE) au sujet de la forme que doit prendre le nouveau Comité pour le risque systémique au Luxembourg.
La radio a prolongé son travail en interrogeant deux députés membres de la commission parlementaire des finances et du budget, à savoir le libéral Eugène Berger le 13 août 2014, et le socialiste, Franz Fayot, le 28 août suivant, au sujet de la prise en compte éventuelle de ces reproches en commission parlementaire.
Parmi les principales objections de l’avis, signé par le président de la BCE, Mario Draghi en personne, on comptait le reproche fait au projet de loi concocté par le gouvernement que la BCL se voit assigner un rôle limité en matière de politique macro-prudentielle et ne jouisse "d’aucun traitement préférentiel par rapport aux autres institutions représentées au sein du comité, que ce soit en termes de représentation, modalités de vote, possibilité de soumettre des propositions ou attribution de missions macro-prudentielles spécifiques". La BCE met en avant l’expertise de la BCL chargée de la surveillance de la situation générale de la liquidité sur les marchés et de contribuer à la stabilité financière.
A ce sujet, les deux députés interviewés par la radio socio-culturelle, sont d’accord pour dire que la BCE ne fait, par ce reproche, que défendre ses propres intérêts.
Pour Franz Fayot, c’est en partie une "politique de la force" (Muechtpolitik dans le texte, ndlr), qui explique que la BCE veuille que la BCL joue un rôle plus important pour la surveillance des banques. Il y a une "tendance pour donner plus de pouvoir à la BCL qu’elle n’en a", fait remarquer Franz Fayot.
Le député libéral, Eugène Berger, signale que régulièrement, dans ses avis, la BCE défend une telle évolution. "La BCE veut placer sa fille de Luxembourg, c’est un élément", dit-il. Il dit comprendre cette position, mais y oppose le choix luxembourgeois de ne pas donner de préférence entre le Comité de surveillance du secteur financier (CSSF), la BCL, le Commissariat aux assurances et le ministère des Finances, qui sont les quatre entités représentées dans le comité. "Chaque acteur doit avoir les mêmes droits et les mêmes devoirs", pense-t-il. "Il ne s’agit pas de faire hiérarchie où les uns ont plus à dire que les autres mais apporter le know-how pour à la fin ne pas se retrouver dans une situation au plan européen voire luxembourgeois telle qu’on l’a connue en 2008."
Pour Franz Fayot, c’est une tradition luxembourgeoise de la concertation qui est mise en application par le choix d’un comité à plusieurs têtes. L’option retenue au Luxembourg est héritée d’un contexte national, dans lequel la CSSF "joue toujours un grand rôle", tout en collaborant avec la BCL.
Franz Fayot explique qu’il a lui-même vu de près, en tant qu’administrateur judicaire, le sauvetage de la banque islandaise en faillite Kaupting Bank, ET la manière luxembourgeois de procéder en cas de faillite. "Il y a eu une collaboration pilotée par le ministère des finances avec les autres autorités, la BCL, la CSSF, le Commissariat aux assurances. Il est dans la tradition luxembourgeoise de privilégier une telle collaboration, que les autorités se concertent pour régler les problèmes. C’est quelque chose qui nous est cher", dit-il.
La BCE reprochait également au texte de loi de ne pas donner au comité de risque systémique des pouvoirs propres qui le mettent en mesure "d’influencer la portée de la règlementation ou de créer de nouveaux instruments macro-prudentiels en réaction aux circonstances changeantes". Elle critiquait également au Conseil d’Etat de défendre l’option que le comité ait uniquement la possibilité de faire de simples recommandations aux institutions existantes.
"Je comprends les critiques mais je ne les partage pas forcément", dit Franz Fayot. "Le Conseil d’Etat a plutôt une vue institutionnelle. Selon lui, l’unique mission du Comité est de faire recommandations à ses membres qui doivent ensuite les mettre en œuvre sur le terrain", commente Franz Fayot. Cependant, le Comité est tout de même tenu d’agir, ajoute-t-il. "C’est une architecture qui s’insère dans notre cadre institutionnel." Franz Fayot n’est pas pour une instance, qui aurait un pouvoir d’investigation et de coercition. "On peut le critiquer. Mais dans notre contexte, c’est une décision logique."
"La BCE veut mettre presque sur la tête tout le cadre de surveillance de notre place financière", mais "l’idée du législateur n’est pas de revisiter toute l’architecture de la surveillance luxembourgeoise des banques", observe Franz Fayot, qui imagine que tous les députés de la commission parlementaire seront en faveur de l’approche fondamentale retenue dans le projet de loi.
Pour Eugène Berger, dans ce Comité, chaque acteur peut dire quelque chose. Chacun a un rôle à jouer, alors que "la BCE pense que la BCL pourrait faire quasiment seule". Dans la conception d’Eugène Berger, le Comité joue le rôle d’avertisseur. En cas de problème macro-prudentiel, ses membres sont les premiers à le percevoir. Mais, "ensuite, c’est aux autorités de prendre les mesures nécessaires". Les membres du Comité doivent être en mesure de faire des propositions mais pas de faire des règlements, pense Eugène Berger. "Comme député, j’aurais des difficultés si le Comité prenait des règlements pratiques, pour le secteur financier", dit-il. Les décisions concernant le secteur relèvent de la Chambre des députés et du gouvernement. Le fait que le ministre des Finances préside le Comité, s’inscrit dans cette logique.
Considérant le vote à l’unanimité au sein du Comité, Eugène Berger constate "une contradiction" dans le rapport de la BCE qui dénonce cette unanimité tout en réclamant un droit de veto pour la BCL. Pour sa part, il considère important que dans un groupe de petite taille comme le Comité, se dégage une "vue claire".
Interrogés tous deux par les journalistes de 100komma7 sur le fait que l’option retenue par le Luxembourg pourrait être interprétée comme une volonté d’épargner la place financière d’une surveillance trop importante, les députés réfutent.
Le député socialiste répète que cette architecture a été retenue "pour des raisons historiques, et sur base du vécu après la dernière crise financière". "Je ne pense pas qu’il y ait d’arrière-pensées politiques pour privilégier la place financière", dit Franz Fayot en rappelant que "nous avons des autorités pour la surveillance micro prudentielle qui sont indépendantes".
C’est au contraire "l’intérêt pour l’image de notre place financière d’avoir une surveillance sévère", pense Eugène Berger qui souligne par ailleurs que le Luxembourg serait regardé bizarrement s’il accordait au Comité du risque systémique le pouvoir de prendre des décisions règlementaires.
La BCE s’était également inquiétée des limites, soulignées par le Conseil d’Etat, que pourrait poser le secret professionnel à la collecte d’informations. Franz Fayot et Eugène Berger concèdent qu’il faudra retravailler ce point de l’accès à l’information en commission parlementaire.
Pour Franz Fayot, il serait absurde que le Comité, qui doit, entre autre, contrôler la situation du crédit, l’exposition aux risques, l’endettement ou encore les effets de leviers excessifs, ne puisse pas échanger toutes les informations nécessaires à sa mission, à commencer par celles récoltées par ses membres, sans devoir observer le cadre règlementaire, dans lequel figure le secret professionnel. Dans pareilles circonstances, la nouvelle politique de surveillance macro-prudentielle serait "un coup d’épée dans l’eau", pense Franz Fayot. La loi organique de la CSSF devrait être changée sur ce point, tout comme les dispositions concernant la BCL et le Commissariat aux assurances, poursuit le député socialiste, qui suggère soit d’étudier la possibilité de donner accès à des agrégats d’informations dans lesquels les noms des banques ne figureraient pas, soit d’envisager l’introduction d’exceptions au secret professionnel.
"On doit encore en discuter en commission. C’est une question à traiter intensivement", confirme pour sa part Eugène Berger.