La nouvelle Commission présentée le 10 septembre 2014 par son président, Jean-Claude Juncker, n’a pas manqué de susciter de nombreux commentaires. Les réactions des ONG environnementalistes auront été à la fois rapides et virulentes, la proposition de Jean-Claude Juncker étant en effet de fusionner d’une part les portefeuilles du Climat et de l’Energie pour les confier à l’Espagnol Miguel Arias Cañete, et d’autre part ceux de l’Environnement et de la Pêche qui vont être placés sous la responsabilité du Maltais Karmenu Vella.
Ainsi, dès le 10 septembre 2014, plusieurs grandes ONG exprimaient leurs préoccupations par voie de communiqué avant de se concerter pour adresser dès le lendemain une lettre ouverte à Jean-Claude Juncker.
Parmi les premiers à réagir, le Bureau européen de l'environnement (BEE) a ainsi exprimé sa "profonde préoccupation", voyant dans la proposition de Jean-Claude Juncker "un mauvais présage" pour la durabilité environnementale.
"Au lieu de placer la durabilité au centre de sa nouvelle équipe, Jean-Claude Juncker a décidé de la reléguer à la marge en éliminant les postes de commissaires spécifiquement dédiés au Climat et à l'Environnement, et en nommant pour la première fois un vice-président à la Déréglementation pour passer toutes les initiatives par le filtre de la compétitivité", affirme ainsi Jeremy Wates, secrétaire général du BEE. Le Bureau met encore en garde contre la perte de toute ressource pour lutter contre le changement climatique ou pour la durabilité environnementale.
Une critique partagée par l’organisation Birdlife Europe qui met en avant "des choix inquiétants" qui semblent traduire une marginalisation de l’environnement et de l'action climatique. "Le commissaire à l'environnement sera supervisé par le vice-président responsable de l'Union de l’énergie et perdra la compétence sur les produits chimiques. La même chose vaut pour le portefeuille climatique, fusionné avec celui de l'énergie et mis sous la responsabilité du même vice-président", dénonce Ariel Brunner, en charge des politiques européennes.
"Bien que le climat et l'énergie soient inextricablement liés, il y a un réel danger que les préoccupations liées au climat soient marginalisées par les questions d'énergie", souligne pour sa part Friends of Earth (FoE). L'ONG dit espérer "que la fusion des portefeuilles de l'Environnement et des Affaires maritimes conduira à une meilleure protection des océans et de la biodiversité marine si cruellement nécessaire, mais cela reste à voir", tandis que le WWF (World Wide Fund, Fonds mondial pour la nature) déplore que "pour la première fois en 25 ans, l'environnement n'aura pas son propre commissaire désigné", cela au moment même où les problèmes environnementaux se profilent de manière toujours plus urgente à l'agenda politique, dit l’organisation.
Du côté de Greenpeace, les propositions de Jean-Claude Juncker ont créé la surprise, mais l’organisation souligne surtout que beaucoup de questions restent ouvertes. «La fusion de l'Environnement et de la Pêche et l'établissement de deux commissaires avec un portefeuille dédié à l'énergie sont des choix qui prêtent à controverse", souligne l’ONG dans un communiqué diffusé aussi le 10 septembre 2014.
Une autre inquiétude exprimée par le BEE concerne le transfert de certaines responsabilités "cruciales" actuellement exercées au sein de la Direction générale (DG) Environnement ailleurs au sein de la Commission. Ainsi, les relations avec l'Agence européenne des produits chimiques, qui est chargée de protéger les citoyens européens contre les produits chimiques nocifs, seront à l’avenir gérées par la DG Industrie, tandis que les déchets alimentaires et les biocides, quant à eux, relèveront de la DG Santé et Consommateurs, explique le Bureau pour qui ces changements s'inscrivent dans la continuité de ceux introduits par la Commission Barroso, qui avait déjà retiré la responsabilité des OGM et des pesticides à la DG Environnement.
"Plus troublantes encore que le rétrécissement de la composante environnementale, ce sont les instructions données par Jean-Claude Juncker à l'équipe qu'il propose", poursuit le BEE qui explique que le commissaire entrant à l'Environnement est censé revoir les propositions législatives récemment lancées et urgemment requises, comme les paquets législatifs "Air pur en Europe" et "Economie circulaire', à la lumière de l'Agenda pour l'emploi et la croissance.
De même, il est censé revoir l'efficacité "des deux excellentes législations" que sont les directives européennes pour la protection de la Nature (les directives 'Oiseaux' et 'Habitats') conformément à ce que demandent de longue date les intérêts anti-environnementaux de l'industrie, estime le BEE. Pour le WWF, "le signal clair dans le mandat donné au commissaire Karmenu Vella, selon lequel les directives Oiseaux et Habitats seront remises sur le métier et "fusionnées" marque une nouvelle orientation politique" face à laquelle le WWF promet qu’il sera "extrêmement vigilant" pour s'assurer que cela ne conduise pas à un affaiblissement de la législation sur la conservation de la nature existant en Europe.
«La nomination à l'environnement d'un commissaire maltais, issu d'un gouvernement au bilan très médiocre sur l'abattage illégal des oiseaux, soulève de graves préoccupations", juge par ailleurs Birdlife qui rappelle que Malte a été condamnée pour violation de ladite directive et que dès lors, "il devra convaincre qu'il n’affaiblira pas la directive Oiseaux de l'UE afin de satisfaire ses électeurs nationaux".
La nomination de l’Espagnol Miguel Arias Cañete au portefeuille du climat et de l'énergie suscite aussi le scepticisme alors que "son gouvernement a fait marche-arrière en termes de politique pour le climat et a autorisé et fortement poussé l'expansion de l’extraction de combustibles fossiles", dit l’ONG. Greenpeace ne manque d’ailleurs pas non plus de s’étonner du choix de Cañete comme commissaire au climat et à l’énergie "étant donné ses liens avec l'industrie du pétrole". Greenpeace évoque par ailleurs son "bilan controversé et médiocre en tant que ministre de l’Environnement" et l’invite à "mette un terme à ses conflits d'intérêts" et à "prouver qu’il est la bonne personne au bon poste".
Le BEE conclut dès lors que "sous couvert de réforme, c'est un programme de dérégulation totalement rétrograde qu'on vient de nous présenter et qui s'apparente à une liste de souhaits des groupes d'intérêt du secteur privé, hostiles à l'environnement", comme le résume Jeremy Wates.
Suite à cette série de prises de positions individuelles, dix ONG environnementales actives dans les 28 Etats membre et regroupées dans l’alliance "Green 10" ont adressé une lettre ouverte à Jean-Claude Juncker, le 11 septembre 2014, afin de faire part au nouveau président de la Commission européenne de leurs "profondes inquiétudes" concernant les orientations que semble prendre la nouvelle Commission.
Ce courrier résume les craintes des ONG selon lesquelles "la structure de la nouvelle Commission, les lettres de mission, et le choix des commissaires révèlent […] un retour sur les engagements de l'UE pour le développement durable, l'efficacité des ressources, la qualité de l'air, la protection de la biodiversité et l'action climatique". Or, il s’agirait ainsi d’une "réduction des ambitions de l'UE précisément dans l'un des rares domaines où il existe un large consensus sur l'utilité de l'action communautaire", ce qui mettrait à mal la position de l'Europe dans le monde comme un pionnier et champion de la lutte contre la crise écologique mondiale et représenterait "une trahison des intérêts des citoyens de l'UE".
Selon elles:
Enfin, la promesse de Jean-Claude Juncker de ne pas autoriser toute initiative législative qui ne serait pas en adéquation avec ses priorités, combinée à l'absence virtuelle de toute priorités environnementales, "suggère un abandon de facto de la politique environnementale de l’UE", conclut l'alliance d'ONG.