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Institutions européennes
Un rapport sur la réduction des charges administratives qui n’a pas fait l’unanimité atteste des "progrès significatifs" réalisés par la Commission européenne
14-10-2014


Edmund Stoiber et José Manuel Barroso lors de la présentation du rapport (Source : Commission)Le groupe indépendant de haut niveau sur les charges administratives, qui conseille la Commission depuis 2007, a présenté le 14 octobre 2014 au président sortant José Manuel Barroso le rapport final du groupe, intitulé "Alléger les formalités administratives en Europe – Bilan et perspectives".

Le groupe est constitué de quinze experts et présidé par l’ancien ministre-président de la Bavière, Edmund Stoiber. Le groupe estime dans le rapport que "les formalités administratives superflues ternissent l’image de l’Union européenne et représentent une charge pour les entreprises et les citoyens. Elles entravent en outre la croissance économique et la création de nouvelles possibilités d’emploi".

Edmund Stoiber se félicite tout de même du fait que l’objectif de réduction de 25 % des charges administratives dans treize domaines prioritaires définis dans le cadre du programme REFIT a été dépassé, en précisant que plus de 33,4 milliards d’euros ont été économisés, soit 27 %. Selon la Commission européenne, il s’agit de 18,8 milliards d'économies en matière de facturation et 6,6 milliards d'économies en matière de comptabilité annuelle au profit des entreprises. Le rapport précise que les trois domaines les plus pesants, à savoir fiscalité/douanes, comptes annuels/droit des sociétés et agriculture/subventions agricoles, représentaient environ 86 % de la charge administrative totale pesant sur les entreprises – le volet fiscalité/douanes représentant à lui seul 70 % de la charge.

Près de 6 100 actes législatifs abrogés depuis 2005

La Commission affirme que REFIT, qui a pris la suite au programme "Mieux légiférer" lancée en 2002, a permis de recenser quelque 200 actions à mettre en œuvre, telles que des propositions de simplification de la législation ou  l'abrogation d'actes législatifs devenus caduc. Au total, la Commission a abrogé plus de 6 100 actes législatifs et a retiré près de 300 propositions depuis 2005. Ces retraits peuvent parfois concerner des dossiers sensibles comme la proposition de la révision de la directive sur le congé maternité, dans l’impasse depuis 2010.

Edmund Stoiber s’est montré plein d’éloges pour le président Barroso, estimant que celui-ci a "rompu avec l'attitude ancrée depuis des dizaines d'années consistant à considérer toute réglementation de l'UE, aussi détaillée soit-elle, comme nécessairement bonne pour l'intégration européenne."

La Commission ajoute dans le communiqué que près de 680 analyses d'impact ont été produites depuis 2007 pour connaître les coûts et les bénéfices d’actes législatifs et que plus de 40 % de l'ensemble des projets d'analyse d'impact ont été renvoyés par un comité d’analyse d’impact pour qu’ils soient améliorés. La Commission a d’ailleurs prolongé la consultation des parties intéressées de huit à douze semaines. Elle affirme appliquer le principe "penser en priorité aux PME" et examiner ainsi l'impact de la législation sur les petites et moyennes entreprises.

Le groupe d’experts concède que la Commission européenne a fait des "progrès significatifs", mais est d’avis qu’il est "possible et nécessaire d’en faire beaucoup plus". Le rapport évoque notamment un potentiel total de réduction de la charge administrative de l’ordre de 41 milliards d’euros.

Le rapport cite des exemples positifs dans certains pays comme le Portugal où 75 % des marchés publics ont été numérisés (la moyenne européenne étant de 5 %) ou du Danemark qui a rendu obligatoire la communication numérique avec les entreprises. Ou encore la "Grenzoffensive" dans le triangle Allemagne-Autriche-République tchèque qui vise à faciliter aux PME locales la prestation de leurs services au-delà de la frontière.

Le rapport critiqué par quatre membres du groupe pour son "objectif clair de déréglementation"

L’adoption du rapport n’a pas fait l’unanimité  - quatre des 15 membres du groupe, dont un représentant des organisations de consommateurs et de l'Alliance européenne pour la santé publique, se sont démarqués du rapport, jugeant qu'il servait un "objectif clair de déréglementation". Ils craignent des réductions de "charges" telles que l'obligation d'informer les travailleurs de leurs droits, l'étiquetage des denrées alimentaires ou encore les obligations de transparence des coûts des services financiers, selon un document qui énumère leurs positions. 

"Ils n'ont rien compris à la question", a objecté, péremptoire, Edmund Stoiber, pour qui "la priorité doit rester la réduction des coûts de la bureaucratie".

Les quatre membres ont résumé leurs critiques dans un communiqué commun dans lequel il reproche au rapport de "prescrire le mauvais remède" :

Heidi Rønne, représentante de la Confédération européenne des syndicats (CES), s’est dit opposée à des "engagements généraux ou des objectifs arbitraires qui mettent en danger la santé, la sécurité et la protection de l’environnement".

Pieter de Pous, le directeur du Bureau de l’environnement européen (EEB), une fédération de 140 organisations environnementales qui s’exprimant au nom de Nina Renshaw, a déclaré : "En promouvant la dérégulation comme la recette de plus d'emploi et de croissance, ce groupe est entré dans l'ère du 'légiférer dans le vide'. Ces recommandations ramèneraient l'Europe 30 ans en arrière et ne permettraient d'améliorer la popularité de l'UE que chez les lobbyistes de l'industrie du passé, pas parmi ses citoyens et auprès de l'industrie tournée". 

Monique Goyens, directrice du Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) s’exprimant au nom de l’ancien directeur Jim Murray, a refusé une dérégulation qui ne profite qu’à une seule partie, à savoir les entreprises. "Cette approche ne reconnaît pas les coûts pour la société de non-régulation", estime-t-elle.  

Peggy Maguire, présidente de l’Alliance européenne pour la santé (EPHA) s’exprimant au nom de l’ancien secrétaire général Monika Kosinska, a défendu la régulation qui "promeut l’innovation là où on en a besoin le plus", ajoutant que des "mesures douces et volontaires" ne servent pratiquement pas à la santé publique. 

D’ailleurs, le syndicat luxembourgeois OGBL avait en janvier 2014 émis des craintes que le programme REFIT ne devienne pas un prétexte pour réduire ou même supprimer certaines protections des salariés.

Les recommandations du rapport

Le rapport intitulé "Alléger les formalités administratives en Europe – Bilan et perspectives" (Source : Commission)Le rapport recommande d’adopter un nouveau programme d’action ainsi que de définir un objectif absolu de réduction des couts et de publier des comptes annuels concernant les couts ou le bénéfice net total des nouvelles propositions législatives.

Il propose de lancer une consultation publique globale au sujet des projets de propositions législatives, ce que la Commission a fait cette année – sur son site elle invite les entrepreneurs à signaler des obligations d’information trop contraignantes. Les experts appellent la Commission à "mettre l’accent sur les besoins des PME et des microentreprises, ces dernières devant être dispensées des obligations européennes dans la mesure du possible".

Le groupe estime qu’il faut "rendre obligatoire l’évaluation de tout acte législatif européen" sur la base d’une méthodologie commune qu’il faut encore développer.

A l’adresse de toutes les institutions européennes, le groupe recommande d’habiliter un "organisme indépendant à examiner les analyses d’impact de la Commission avant qu’elle n’adopte une proposition législative".

Le rapport note qu’une "très large proportion des charges administratives découle d’un nombre limité d’obligations d’information en vigueur dans une poignée de domaines thématiques", précisant que la fiscalité et le droit des sociétés représentent plus de 80 % de la charge totale mesurée, et que les dix obligations d’information les plus importantes représentent ensemble plus de 77 % de la charge totale d’origine européenne.

Il évoque également le problème de "surréglementation", qui serait responsable pour 32 % des charges administratives d’origine européenne.  La surréglementation  désigne le fait que certains Etats veulent aller au-delà des exigences de l’Union ou un défaut d’efficacité de leurs procédures nationales.

La réduction de la charge administrative présenté comme un moyen pour séduire le Royaume-Uni

Edmund Stoiber a estimé que la réduction des charges administratives au sein de l'Union pourrait convaincre la Grande-Bretagne d'y rester. Le conservateur bavarois a émis l'espoir que ces idées "contribuent à rendre moins négative la position britannique envers l'UE". "Nous voulons que la Grande-Bretagne reste un membre de l'UE, nous avons besoin d'elle", a insisté l'ancien président de la Bavière.

Il a aussi recommandé à la future Commission de Jean-Claude Juncker de se donner des "nouveaux objectifs" en termes de réduction de la bureaucratie alors que celle-ci s'est engagée à tailler dans la réglementation européenne pour lutter contre l'euroscepticisme notamment britannique.

Le groupe PPE au Parlement européen a pour sa part annoncé avoir écrit une lettre au futur président de la Commission, Jean-Claude Juncker, l’appelant à créer un organisme indépendant et fort de contrôle qui calcule les coûts bureaucratiques de chaque loi européenne avant son adoption afin d’évaluer des "conflits de compétences" ou des "infractions au principe de subsidiarité". "Chaque loi européenne a besoin d’être évaluée quant à son impact sur les PME", a insisté le député Markus Pieper.

Le futur vice-président Frans Timmermans, qui sera en charge de l’amélioration de la réglementation, s’était exprimé en faveur de la subsidiarité, lors de son audition devant le Parlement européen le 7 octobre 2014. "L'UE ne doit faire que ce qu'elle seule peut faire, et doit laisser aux Etats membres ce qu'ils peuvent faire mieux", a-t-il dit. Mais "la meilleure régulation n'est pas la dérégulation (...), elle échouera si elle attaque les droits sociaux et la protection de l'environnement", a souligné l’ancien ministre social-démocrate.