Federica Mogherini, désignée Haute représentante de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité et vice-présidente de la Commission européenne, a été interrogée sur sa stratégie face à la Russie, lors de son audition devant la commission des Affaires étrangères au Parlement européen le 6 octobre 2014. Sa nomination par le Conseil européen en août 2014 avait suscité des critiques, notamment en raison de son manque présumé d’expérience diplomatique sur la scène internationale et de sa proximité avec Moscou.
Agée de 44 ans, Federica Mogherini est la plus jeune commissaire dans l’équipe de Jean-Claude Juncker. Elle a également été la plus jeune ministre des Affaires étrangères en Italie, poste auquel elle avait été nommée en février 2014 par Matteo Renzi et qu’elle n’a exercé que quelques mois. Elue députée en 2008, elle a présidé la délégation italienne à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN et a été vice-présidente de sa commission politique ainsi que secrétaire de la commission de la défense et membre de la commission des affaires étrangères. Diplômée en sciences politiques, elle a fait partie de la direction du parti démocrate depuis sa fondation en 2007, entre autres en tant que secrétaire aux affaires européennes et internationales, selon son Curriculum Vitae.
Federica Mogherini (S&D) devra présider un groupe de commissaires chargé de développer une approche commune de la politique étrangère, selon la lettre de mission de Jean-Claude Juncker. L’Italienne est de plus censée rapporter au collège des commissaires les développements géopolitiques et de travailler étroitement avec son président sur les "responsabilités extérieures" de ce dernier. Jean-Claude Juncker précise que les deux cabinets vont coopérer étroitement afin d’avoir une "ligne cohérente". Federica Mogherini devra également travailler avec le vice-président chargé du Budget et des Ressources humaines afin d’assurer que "nous ne faisons pas d’engagements que nous ne pourrons pas tenir".
Dans ses réponses écrites aux députés, Federica Mogherini s’engage à travailler étroitement avec d’autres commissaires dont les portefeuilles ont d’importantes implications sur la politique extérieure et de guider leur action. "Notre objectif est de faire preuve d’une unité de vue et d’une unité d’action en tant qu’institutions de l’Union si nous voulons confirmer que l’Union est véritablement un acteur d’envergure mondiale", estime la candidate socialiste. Son but déclaré est de désigner une "vraie politique étrangère européenne" dans les cinq ans à venir.
Une de ses priorités est la rationalisation des structures décisionnelles du Service européen pour l'Action extérieure (SEAE). Elle prévoit d’établir un "lien effectif" entre ces structures et la haute représentante alors que le SEAE était confronté à de nombreuses critiques, notamment de la Cour des comptes qui avait constaté dans un rapport en juin 2014 que le service "n’est pas à la hauteur de son potentiel". Le rapport avait dénoncé des "mécanismes de coopération inefficaces au sommet de la hiérarchie et de la rigidité du cadre financier et administratif dans les délégations" et critiqué une coopération que "partiellement efficace" entre le service et la Commission.
La candidate plaide également pour une rationalisation des processus de décision de la Commission et du Conseil. Elle estime que l’Union doit continuer à renforcer sa capacité d’anticipation des événements et de réaction aux crises. Par ailleurs, elle appelle à la réalisation d’un marché européen des équipements de défense qui est "essentiel pour la santé à long terme de la base industrielle de défense en Europe".
Lors de son audition, Federica Mogherini, a défendu un mélange de "fermeté" et de "diplomatie" face à la Russie et qu’il faut une réévaluation profonde des relations. "La Russie peut ne pas être un partenaire à l'heure actuelle, mais reste un pays stratégique et un voisin", a-t-elle déclaré. Début septembre, l’Italienne, accusée par plusieurs pays de l'Est d'être trop proche de Moscou, avait assuré que la Russie n'était plus un "partenaire stratégique" en raison de son rôle dans la crise ukrainienne, mais que ce pays restait "un acteur stratégique dans les défis régionaux et mondiaux". Devant les députés, elle a notamment évoqué la nécessité "d'impliquer" de nouveau Moscou, notamment sur la question du désarmement nucléaire.
Elle a estimé que les sanctions imposées par l'UE à la Russie étaient "efficaces" et que l'économie russe "souffre", mais elle s’est demandée si elles l’étaient assez pour peser sur "la décision politique russe". Quant à la crise ukrainienne, l’Italienne estime qu’il faut travailler "chaque jour, chaque jour, chaque jour avec le président Porochenko et faire de sorte que ses efforts diplomatiques envers la Russie réussissent".
La future Haute représentante a aussi jugé que les "conditions politiques n'étaient actuellement pas réunies" pour la poursuite du projet controversé de gazoduc South Stream, mené par le géant russe Gazprom avec des groupes européens comme l'italien Eni et le français EDF. South Stream doit transporter à partir de fin 2015 du gaz russe vers l'Europe en contournant l'Ukraine. La Commission européenne estime que les contrats signés par Gazprom ont enfreint les règles européennes en matière de concurrence tandis que la Russie estime que le paquet énergie de l’Union est incompatible avec les règles de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC).
Federica Mogherini a aussi estimé que l'UE devait au Proche-Orient passer du rôle de "payeur efficace" à celui de "joueur efficace". Elle a appelé l'Iran, "plutôt que d'être un élément perturbateur dans des conflits, à participer à la solution". Sur les négociations nucléaires entre les grandes puissances et Téhéran, "où nous arrivons à un accord avant" la date-butoir" du 24 novembre 2014, " où il sera extrêmement compliqué d'en obtenir un après", a-t-elle estimé. Elle a assuré qu'elle soulèverait "toujours la question des droits de l'Homme avec les autorités iraniennes".
Le groupe PPE a déclaré attendre de la Haute Représentante une "position claire et forte" sur la Russie et que l’Union ne peut plus se permettre une "performance insuffisante". "La crise en Ukraine a montré que la sécurité en Europe n’est plus garantie. On a besoin d’une stratégie de sécurité redessinée et d’une consolidation du SEAE", a expliqué Cristian Preda.
Pour le groupe S&D, dont l’Italienne fait partie, la candidate a fait preuve d’une "connaissance excellente" de son portefeuille et qu’elle est consciente du besoin de l’Union d’élaborer une stratégie cohérente en matière de politique étrangère et de jouer un rôle politique important dans les crises internationales. Selon Richard Howitt, Federica Mogherini saura donner un vrai "leadership" au Conseil des Affaires étrangères et agira différemment que sa prédécesseure.
Barbara Lochbihler des Verts a évoqué une "bonne audition" et salué les "vastes connaissances" de la candidate, tout en critiquant que certaines réponses n’étaient pas assez spécifiques ou trop superficielles, notamment sur la menace de l’Etats islamique (EI). "Elle a souvent évoqué la protection des droits de l’homme et qu’il faut protéger les réfugiés, mais elle n’a pas dit comment surmonter la politique européenne de "forteresse" aux frontières extérieures", a-t-elle estimé.
Pour Charles Tannock (ECR), l’Italienne a donné une impression "honnête et authentique". Il ajoute que la candidate était bien préparée, mais que certaines réponses n’étaient pas assez spécifiques.
Sabine Lösung (GUE/NGL) a estimé que la candidate a donné des "réponses compétentes et modérées", notamment à des questions provocatrices, en lui attestant une attitude "non obstinée". La députée se félicite de son approche orientée sur la question des droits de l’homme et la protection des réfugiés et constate une "amélioration" comparée à la prédécesseure Catherine Ashton. Sabine Lösung critique le fait que Federica Mogherini plaide pour une militarisation de l’Union et pour une politique interventionniste. "Vu notre position antimilitariste, on ne peut pas donner nos voix à la candidate", conclut-elle.