Le Parlement européen a entériné le 16 septembre 2014 l’accord d’association avec l’Ukraine, par 535 voix pour, 127 voix contre et 35 abstentions. Le Parlement ukrainien, qui était en liaison vidéo avec le Parlement européen à Strasbourg, a également voté, en approuvant le texte à l’unanimité. "Il n'y a jamais eu de vote simultané de deux Parlements appelés à ratifier ensemble un accord d'association. C’est un moment inédit et historique, nous pouvons en être fiers", a déclaré le président du Parlement européen, Martin Schulz, en soulignant que ce vote est un signe de "démocratie directe à l’inverse d’une démocratie dirigée". Pour le président ukrainien Petro Porochenko, l’accord constitue un "premier pas" dans la perspective de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne, selon son discours retransmis en direct juste avant le vote.
"Le Parlement européen a toujours défendu l'intégrité et la souveraineté de l'Ukraine et continuera à agir dans ce sens", a affirmé Martin Schulz. Le président Porochenko a rendu hommage aux Ukrainiens tués cet hiver lors de manifestations pro-européennes sur la place Maïdan à Kiev et aux plus de 800 soldats ukrainiens tués dans les combats dans l'Est. "Depuis la deuxième guerre mondiale, aucune nation n'a payé un prix aussi élevé pour son droit d'être en Europe", a fait valoir Petro Porochenko. "Qui après tout cela osera fermer la porte de l'Europe à l'Ukraine?", a-t-il poursuivi. "Nous avons résisté à la puissante pression (de la Russie). Nous n'avons pas cédé au chantage. Aucun mot, aucun point, aucune virgule dans l'accord n'ont été modifiés", a encore dit le président ukrainien.
L’accord qui a été signé par le Conseil européen et le président ukrainien le 27 juin 2014 établit une association politique étroite ainsi qu'une zone de libre-échange. La commission des affaires étrangères (AFET) du Parlement européen avait déjà recommandé le 8 septembre 2014 avec une large majorité que l’hémicycle européen vote en faveur de la ratification de l’accord.
Les dispositions politiques de l’accord d’association avaient été signées lors d’un Conseil européen le mars 2014. L’accord est une des sources du conflit avec la Russie : le refus de l’ancien président ukrainien Victor Ianoukovitch de le signer fin 2013 avait déclenché mouvement de protestation qui a finalement abouti à sa destitution en février 2014 et aux événements qui ont suivi : constitution d’un gouvernement de transition, annexion de la Crimée par la Russie et soulèvements armés séparatistes dans l’Est de l’Ukraine. Victor Ianoukovitch avait justifié son refus avec le coût pour l’Ukraine d’un tel accord, notamment en termes de mesures de rétorsion commerciales de la part de la Russie.
Par la suite, l’Union européenne a durci par étapes ses sanctions économiques contre la Russie, soupçonnée d’ingérence dans le conflit entre forces armées ukrainiennes et séparatistes pro-russes dans l’est de l’Ukraine. La Russie a répondu par un embargo sur les produits agro-alimentaires européens. Le dernier train de mesures restrictives, en réponse à la présence de forces armées russes sur le sol ukrainien, est entré en vigueur le 12 septembre 2014.
La signature de l’accord, initialement prévue lors du sommet à Vilnius en novembre 2013, avait été repoussée à maintes reprises en raison de l’opposition russe. Pour répondre aux inquiétudes de la Russie, la Commission européenne s’est dit prête à repousser la mise en œuvre provisoire de l’accord jusqu'au 31 décembre 2015, selon une déclaration ministérielle conjointe publiée le 12 septembre 2014 suite à une rencontre entre le commissaire européen au Commerce, Karel De Gucht, le ministre russe du Développement économique, Alexei Ulyukayev, et le chef de la diplomatie ukrainienne, Pavlo Klimkin. La Russie qui redoute une arrivée sur son marché de produits fabriqués dans l'UE via l'Ukraine au détriment de sa production nationale, aurait demandé près de 2 400 modifications au projet d'accord, selon Karel de Gucht.
Jusqu’à fin 2015, l'Ukraine continuera de jouir de l’élimination des douanes aux frontières européennes que l'UE lui octroie depuis la fin avril et qui devaient arriver à échéance au mois d'octobre. Ces mesures font partie d’un programme de soutien pour stabiliser l’économie ukrainienne. L'accord d'association fera l'objet d'une application provisoire en attendant d'être ratifié par l'ensemble des Parlements nationaux, ce qui prendra plusieurs mois.
Avant la vote, les eurodéputés avaient, lors d’un premier débat, discuté de l’état des relations entre l’UE et la Russie.
En introduction, le commissaire européen en charge de l’élargissement et la politique de voisinage, Štefan Füle a souligné que la population ukrainienne aspirait aux mêmes conquêtes que celles dont profitent les Européens, à savoir la paix avec ses voisins, l’absence de menaces sur la souveraineté, des frontières ouvertes, la démocratie, l’Etat de droit et la prospérité.
Il a souligné que l’accord conclu le 12 septembre 2014 au sujet de l’accord d’association, va "dans le sens d’une désescalade et qu’il porte en lui peut-être les clés d’un grand changement". Ce changement pourrait se faire sentir par la révision des sanctions prises. "Nous avons toujours dit que nos mesures de restrictions sont réversibles et échelonnables", a-t-il rappelé, propos reproduits dans un communiqué de presse de la Commission. Or, à la fin du mois de septembre, après une analyse de la situation et de la mise en œuvre du plan de paix, les Etats membres pourraient décider d’un amendement ou d’une suspension des sanctions. La mise en œuvre de l’accord de Minsk est "la clé du succès". "La Russie doit prouver qu’elle respecte le droit international et la souveraineté territoriale de ses voisins", a-t-il dit.
L’approche européenne se déploie sur trois niveaux : le soutien plein et actif pour une solution politique durable, le maintien de la pression sur la Russie par les sanctions et la poursuite du soutien en faveur de la souveraineté ukrainienne et son indépendance. Il a signalé qu’à moyen terme, l’UE et la Russie auront besoin de construire leurs relations sur des intérêts partagées, "notamment dans les domaines du commerce et de l’investissement l’énergie, la science, la coopération dans la résolution des crises internationales et la réponse aux défis globaux". Ainsi, "nous devons éviter de créer un clivage durable sur notre continent", a-t-il déclaré. Suite à une interrogation de l’eurodéputé Pavel Telička (PPE), Stefan Füle a d’ailleurs expliqué que si Catherine Ashton, la haute représentante pour la politique étrangère de l’UE, n’était pas là, c’est qu’elle était en train de négocier sur le dossier iranien pour le désamorcer. "Ce n’est pas parce que les Russes violent le droit international que nous ne coopérons pas avec eux sur d’autres dossiers", a-t-il commenté.
“Nous voulons voir des actions et non entendre des mots de la part de la Russie», a déclaré le premier eurodéputé à intervenir dans le débat, Elmar Brok pour le Parti populaire européen (PPE). "La Russie doit bien comprendre qu’il faut respecter le droit international ainsi que la souveraineté territoriale de l’Ukraine"a-t-il déclaré. "Nous ne pouvons pas tout accepter, car l’Europe repose sur certaines valeurs, dont le respect de la souveraineté territoriale."
L’UE a ainsi vocation à veiller sur cette intégrité dans son voisinage, en Ukraine comme également en Moldavie, en Géorgie, mais aussi dans les Etats membres qui la composent. L’OTAN est également responsable en la matière, a-t-il souligné, en appelant à ce que les pays baltes soient protégés. "Nous entrons dans une nouvelle ère, la mise en œuvre effective de sécurité des Etats européens. Chaque pays doit savoir qu’il peut compter sur la solidarité des autres", a-t-il aussi dit.
Gianni Pitella du groupe Socialistes et démocrates (S&D), a appelé à faire "preuve de responsabilité et de fermeté". "L’Europe a-t-elle vraiment besoin d’une nouvelle guerre froide ? Non. Doit-elle pour autant tout tolérer pour l’éviter ? Non plus", a-t-il dit. Les Ukrainiens ont le droit de décider de leur propre destin, tandis que l’UE a pour objectif de garantir la paix et la prospérité dans son voisinage.
"Les sanctions ne peuvent pas remplacer à tout prix la recherche d’une solution politique", a dit l’eurodéputé italien en appelant à faciliter le dialogue entre l’Ukraine et la Russie. L’UE doit être prête à lever progressivement les sanctions, et si possible rétablir la coopération. Pour cause, il a rappelé les intérêts communs entre l’UE et la Russie, à savoir la lutte contre le terrorisme, contre l’Etat islamique en Syrie et en Irak, la lutte contre les armes de destructions massive, par exemple en Iran et la stabilisation de l’Afghanistan.
Charles Tannock, pour l’ECR, a déclaré qu’il fallait continuer à soutenir l’Ukraine, qui veut se rapprocher de l’Occident, contre l’agression de la Russie qui est, selon lui, en train de "revisiter son passé impérial, et ne souhaite pas l’indépendance de l’Ukraine". Il faut envoyer "à Poutine le message qu’il y a une substance solide derrière notre rhétorique”, a-t-il ajouté en appelant les Etats membres de l’UE à armer l’Ukraine et à chercher de nouvelles voies de diversification de l’énergie.
"Ne sommes-nous pas en train de reconnaître l’incapacité de l’UE à prononcer des sanctions contre la Russie ?", s’est demandé l’eurodéputé ALDE, Petras Auštrevičius, vis-à-vis de la politique européenne, qualifiée de "ligne politique d’auto-retenue". Cette situation a également "révélé la faiblesse du système de sécurité européenne", a-t-il aussi estimé.
Georgios Katrougkalos, (GUE –NGL) est d’avis que la politique européenne a été mauvaise en ne faisant que diviser les populations divisées, tandis que des partis ne sont que des "façades pour oligarques". Il a d’ailleurs aussi rappelé l’influence croissante des fascistes dans la politique du pays. "Au lieu de diviser, nous devrions opter pour l’union. Nous devrions plaider pour la réconciliation, éviter une guerre civile, mettre un terme aux violations des droits de l’homme", a lancé l‘eurodéputé grec.
"Je viens d’un pays où à la fin des années 30, les pays démocratiques nous ont aussi laissé seuls. Ici, ça n’a rien à voir avec la liberté et la démocratie, mais avec la géopolitique. Nous ne sommes qu’un pion sur un échiquier dominé par les USA", a déclaré pour sa part Pablo Iglesias (GUE/NGL).
Rebecca Harms (Verts/ALE) s’est dite "extrêmement perturbée par la ligne politique du Conseil". Confiant s’être entretenue avec le ministre ukrainien des Affaires étrangères Pavlo Klimkine, elle a défendu l’idée que les Ukrainiens ne voulaient pas d’un tel accord mais qu’ils auraient préféré devenir membre de l’UE. "Beaucoup ont considéré que cet accord était le moyen de garder l’Ukraine à distance", a-t-elle rapporté. D’ailleurs, l’eurodéputée doute que l’accord entre en vigueur en 2016, sans avoir été modifié au préalable.
Pour autant, si cet accord existe, ce n’est pas le fait de l’UE mais le fait que "les citoyens ukrainiens se sont battus pour la paix, pour la démocratie". A l’inverse du président russe, Vladimir Poutine, l’UE n’a pas pris les choses au sérieux, pense-t-elle. Désormais, "nous devons tout faire pour que celui qui a misé sur la situation militaire n’obtienne pas ce qu’il voulait par l’intervention militaire", a-t-elle dit.
Nigel Farage de l’EFDD place la politique européenne en Ukraine à la suite des échecs de sa politique étrangère des dernières années que furent à son goût la livraison d’armes aux rebelles syriens et les bombardements en Libye. Pour lui, ce fut "une provocation inutile de la Russie". "Pour empirer les choses, certains ont proposé que l’Ukraine adhère à l’OTAN. Si vous vous en prenez aux Russes, ne vous étonnez pas que les Russes réagissent", a-t-il dit. Il a d’ailleurs dénoncé les exercices menées par l’OTAN en Ukraine et appelé à ce que l’UE se concentre sur les "réelles menaces" qui pèsent sur elle, à commencer par les islamistes extrémistes qui mettraient l’Occident "face à la plus grande menace de tous les temps, depuis 70 ans", une menace contre laquelle l’UE est assurée du concours de la Russie. "Arrêtons ce petit jeu avec l’Ukraine", a-t-il encore dit.
En clôture des débats, le Commissaire européen chargé du commerce, Karl De Gucht, a souligné que l’Ukraine avait avant tout besoin de croissance économique, pour atteindre une paix durable. "Dire que c’est un mauvais accord, et le reporter, ce serait se mettre en difficulté avec la Russie, lui permettre de l’emporter Ce serait une erreur historique."
Le commissaire européen à l’élargissement et à la politique de voisinage, Stefan Füle, a rappelé que depuis 1975 et les accords d’Helsinki, il n’est pas possible de changer des frontières par la force militaire, tandis que le mémorandum de Budapest de 1994 oblige au respect de l’intégralité territoriale de l’Ukraine. En 2008, dans le cadre du Conseil de Bucarest entre Otan et Russie, Poutine avait que l’Ukraine était un pays artificiel. "Et on fait des reproches à la politique européenne", s’est énervé le commissaire.
Le commissaire a aussi souligné que c’est l’Ukraine qui a demandé le report de la mise en œuvre du volet économique de l’accord d’association, pour une "raison logique et compréhensible", à savoir que "le système économique et financier de l’Ukraine est mise à l’épreuve à cause de ce qui se passe à l’Est et de l’annexion de la Crimée", et que le pays souhaite "disposer de plus de temps pour se préparer à remplir les conditions tarifaires qui ont été négociées".
A l’accusation de fissurer l’Europe avec cet accord, Stefan Fülle rétorque que cet accord d’association "constitue aujourd’hui l’un des fondements de ce qui un jour pourrait être une zone de libre-échange s’étendant de Lisbonne à Vladivostok".
Dans le deuxième débat consacré précisément à l’accord d’association, le commissaire européen au Commerce sortant Karel de Gucht a souligné que l’accord va "jeter un pont" et créer "un lien juridiquement contraignant qu’on ne pourra pas défaire". Quant à l’accord convenu avec la Russie de repousser la mise en œuvre provisoire à fin 2015 et critiqué par plusieurs eurodéputés, le commissaire a défendu cette démarche : "Sans cet accord avec la Russie, il n’y aurait pas de ratification aujourd’hui", a-t-il soutenu. Il a avancé que, grâce aux mesures commerciales préférentielles accordées à Kiev depuis avril 2014, l’Ukraine peut exporter sur le marché européen "comme si le traité était déjà en vigueur", en estimant que les exportations ukrainiennes dans l’UE ont progressé de 15 % "en quelques mois", signe que "l’outil est efficace". L’accord d’association est, selon lui, le début d’un processus qui doit contribuer à la souveraineté du pays, sa démocratisation et la mise en œuvre d’un Etat de droit. Il permettra à l’Ukraine de "saisir de nouvelles opportunités économiques", ce dont l’Ukraine a besoin, estime-t-il.
Le commissaire en charge de l’élargissement, Stefan Füle, a pour sa part affirmé que l’accord mène à une Ukraine "plus démocratique et prospère". "L’Ukraine a besoin des mêmes opportunités qui ont été fournies à mon pays et aux autres pays de l’Europe centrale", a soutenu le Tchèque, en appelant à "envoyer un message fort de Strasbourg à Kiev".
Plusieurs eurodéputés ont critiqué l’accord convenu avec la Russie de repousser la mise en œuvre provisoire de l’accord d’association à fin 2015. L’eurodéputé Yannick Jadot (Verts-ALE) a critiqué le fait que le Parlement européen n’avait pas été averti de la négociation et de l’évolution des conditions de la mise en œuvre de l’accord avec l’Ukraine. "On apprend une demie heure avant le vote les raisons" pour le report de sa mise en œuvre, sans savoir "si la Russie l’a imposé", a-t-il critiqué. "Il faut que le Parlement européen puisse juger de cet accord, mais cela n’a pas pu se faire", a-t-il dit, en dénonçant une "mise en scène" du vote des deux parlements en parallèle.
L’eurodéputé James Carver (EFDD) a pour sa part dénoncé un vote "à la hussarde" et le fait que le Parlement européen a eu "très peu de temps pour réagir". Selon lui, l’accord d’association risque de renforcer les tensions avec la Russie.
L’eurodéputée Barbara Spinelli (GUE-NGL) a réclamé un "débat approfondi" sur le traité pour lequel le Parlement européen a eu "trop peu de temps". Les sanctions contre la Russie sont pour elle le signe d’une "politique erronée", voire d’une "absence de politique". Elle a estimé que le gouvernement de Kiev est "illégitime pour la moitié des Ukrainiens". Un avis soutenu par Miloslav Ransdorf (GUE-NGL) qui estime que des "cleptocrates ont été remplacés par des criminels". Il a appelé à soutenir le peuple et les entreprises qui "attendent des programmes économiques raisonnables", tout en mettant en garde contre la menace d’une crise énergétique. ¨
Pour l’eurodéputé Mark Demesmaeker (ECR), l’accord ne portera pas ses fruits si les institutions en Ukraine ne sont pas "remises à plat". Il a dénoncé les faiblesses des institutions démocratiques, la corruption et le système oligarchique, en affirmant que "les changements doivent venir de l’intérieur".
L’eurodéputé polonais Jacek Saryusz-Wolski (PPE), a évoqué un "succès pour l’Ukraine et l’UE" qui partagent "les mêmes valeurs et le même destin". "Nous avons un avenir commun et nous devons le défendre face à la pression exercée par la Russie", a-t-il soutenu, tout en appelant à "restaurer la crédibilité dans les relations entre l’Ukraine et l’UE suite à ces menaces". Selon lui, il faut contrecarrer ces pressions en accélérant l’aide politique et économique, renforcer les capacités militaires de l’Ukraine et l’aider à préserver son intégrité territoriale. Après avoir été ratifié, l’accord ne subira plus de modification, a-t-il prévenu, en allusion aux modifications souhaitées par la Russie.