Le 17 décembre 2014, les eurodéputés réunis en plénière à Strasbourg ont rejeté le projet de résolution adopté le 3 décembre dernier par la commission de l’Environnement.
Dans ce projet de résolution dont le rapporteur était Giovanni La Via (PPE), les parlementaires de la commission ENVI rejetaient la proposition de la Commission établissant des méthodes de calcul concernant la qualité des carburants.
La proposition de directive déposée par la Commission le 6 octobre dernier s’inscrit dans le cadre de la révision de la directive sur la qualité des carburants de 1998, qui vise à réduire la teneur en carbone des carburants destinés aux transports. Ce texte établit des méthodes de calcul concernant la qualité de l’essence et des carburants diesel afin de mettre en œuvre les obligations inscrites dans la directive sur la qualité des carburants.
Or, contrairement à une proposition d’octobre 2011 qui prévoyait une classification distincte pour les carburants fossiles non-conventionnels (notamment les gaz de schistes et le carburant dérivé des sables bitumineux), la Commission européenne a décidé d’éliminer ces catégories distinctes dans sa nouvelle proposition. Pour rappel, le carburant dérivé des sables bitumineux contiendrait un taux de CO2 de 25 % supérieur à celle de carburants conventionnels.
Ce projet législatif, qui est une mesure d’exécution concernant le mécanisme de surveillance et de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), a pour particularité de relever de la procédure de réglementation avec contrôle. Dans cette procédure relevant de la comitologie et vouée à disparaître, Parlement européen et Conseil ont trois mois pour manifester leur opposition aux mesures d’exécution envisagées par la Commission. En cas d’opposition d’un des deux co-législateurs, la Commission peut soumettre une proposition modifiée ou une nouvelle proposition.
Dans leur projet de résolution, les eurodéputés de la commission ENVI appelaient le Parlement européen à s’opposer à l’adoption du projet de directive dans la mesure où il n’était "pas compatible avec le but et le contenu de la directive" sur la qualité des carburants. Les parlementaires voulaient "inviter la Commission à retirer sa proposition de directive du Conseil et à soumettre au comité une nouvelle proposition fondée sur l'exigence de déclarer les émissions selon des valeurs moyennes par défaut de l'intensité d'émission de GES, ventilées par types de matière de base pour l'essence et le carburant diesel, tout en autorisant les fournisseurs à déclarer les valeurs réelles".
Mais le jour du vote en plénière, seuls 337 eurodéputés se sont prononcés en faveur de cette résolution, contre 325 qui l’ont rejetée et 48 qui se sont abstenus. Or, la procédure de réglementation avec contrôle requiert la majorité absolue. La tentative de bloquer ce projet législatif controversé au niveau du Parlement européen a donc échoué.
Le groupe des Socialistes & Démocrates au Parlement européen a aussitôt fait part de son regret "qu’une minorité de blocage, conduite par la droite, ait voté contre l’objection à la proposition controversée avancée par la Commission au sujet de la mise en œuvre de la directive relative à la qualité des carburants". On peut toutefois relever que près d’une vingtaine d’eurodéputés du groupe avaient frondé et s’étaient opposé au projet de résolution.
La ligne défendue par le groupe S&D est toutefois que la proposition de la Commission "porte préjudice à l’objectif général de la directive". En effet, soulignent les S&D dans un communiqué de presse daté du 17 décembre 2014, les bruts conventionnels et les sources non conventionnelles comme les sables bitumineux – bitumes naturels, les schistes bitumineux, le charbon liquéfié –, présentent de grandes différences sur le plan de l’émission de gaz à effet de serre". Le groupe des socialistes et démocrates craint qu’en abandonnant l’obligation de différencier les carburants en fonction de leur niveau de pollution, le projet de la Commission génère des "conditions de commercialisation" qui "permettront à des pays comme le Canada de vendre leurs sables et schistes bitumineux en Europe".
"Les lobbys canadiens exercent de fortes pressions pour ouvrir le marché européen à certains types de carburants", constate l’eurodéputé Matthias Groote, porte-parole S&D pour la santé et l’environnement. "Nous ne permettrons pas que cette législation soit émoussée par de quelconques pressions extérieures, et particulièrement pas par ceux qui prétendent que cette législation et l’accord commercial récemment conclu entre l’Europe et le Canada (CETA) sont liés", a-t-il assuré. De son point de vue, "la Commission doit faire en sorte que les méthodes de calcul du cycle de vie des émissions de gaz à effet de serre par les véhicules stimulent la transition de l’Europe vers une énergie sans carbone".
Jo Leinen, eurodéputé S&D et cosignataire de la résolution parlementaire, s’est par ailleurs dit "abasourdi" par le fait que "la proposition de la Commission ignore l’évaluation d'incidence faite par la même Commission".
Du côté du groupe des Verts/ALE, la déception était visible aussi. "Le Parlement européen vient d’accepter la proposition de la Commission européenne concernant la méthode de calcul des émissions de CO2 des carburants proposée dans le cadre de la directive qualité des carburants", constate un communiqué dont les auteurs déplorent que "les opposants au texte, parmi lesquels le groupe des Verts/ALE, majoritaires, n’ont pu réunir une majorité absolue pour rejeter ce texte".
Pour l’eurodéputé Yannick Jadot, "la proposition de la Commission favorable aux très polluants sables bitumineux canadiens est très clairement l'un des résultats des négociations de libre-échange UE-Canada et de pressions d'États-membres, comme la France, défendant ouvertement les intérêts de TOTAL". "Jusqu’au vote", souligne l’eurodéputé dans le communiqué diffusé par son groupe aussitôt après le scrutin, "les lobbys pétroliers ont cherché à influencer les positions des députés européens".
Il évoque à cet égard un communiqué de BusinessEurope daté du 16 décembre 2014 dans lequel les représentants de l’industrie demandaient aux députés de ne pas rejeter la proposition de la Commission pour permettre une ratification rapide de l’accord de libre-échange avec le Canada.
"Cet argument a été décisif dans le vote de nombreux députés (libéraux, conservateurs et eurosceptiques parmi lesquels ceux du FN) qui au nom du libre-échange ont renoncé à leurs pouvoirs de législateurs et ont refusé de rappeler à la Commission européenne ses engagements sur la directive qualité des carburants une directive que le précédent parlement avait soutenue y compris en vue d’une plus grand pénalisation du pétrole extrait des sables bitumineux", explique Yannick Jadot.
Pour l’eurodéputé, "ce vote met en lumière les atteintes aux législations et ambitions environnementales européennes découlant de CETA et TAFTA (ou TTIP)". Ce qui est à ses yeux "la preuve que la Commission européenne nous ment lors qu’elle soutient mordicus que ces deux accords de libre-échange ne remettront pas en cause la législation européenne".