La Commission européenne a présenté le 25 février 2015 son "paquet économique d’hiver", nouvelle étape du cycle modifié du semestre européen 2015. Il fait suite à l’adoption de l’examen annuel de la croissance en novembre dernier et établit les fondements de l'analyse qui conduira à l’adoption de recommandations par pays (RPP) en mai prochain.
Le paquet économique d’hiver comprend les mesures qui pourraient être prises pour certains Etats membres au titre de la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques (PDM) et du Pacte de stabilité et de croissance (PSC).
La Commission recommande de ne pas enclencher la procédure de déficit excessif pour la Belgique, l'Italie et la Finlande, bien que les efforts déployés par ces pays ne permettent pas d'atteindre la valeur de référence concernant la dette. La raison en est que la Commission tient compte des principaux facteurs pertinents comme prévu par les traités. En janvier 2015, la Commission avait en effet clarifié la manière dont elle entendait appliquer les règles du Pacte de stabilité et de croissance en plaçant la flexibilité au service de l’investissement.
La Commission recommande également qu'il soit accordé à la France jusqu'à 2017 pour corriger son déficit excessif. Cette recommandation prévoit des jalons stricts pour la trajectoire d'ajustement budgétaire, dont le respect sera évalué à intervalles réguliers à compter du mois de mai. L'objectif est de laisser à la France suffisamment de temps pour mettre en œuvre d'ambitieuses réformes structurelles.
La Commission adresse ces recommandations au Conseil. Elles devraient être débattues lors de la réunion du Conseil des ministres de l'Economie et des Finances (ECOFIN) en mars.
Le paquet économique d’hiver comprend aussi des documents de travail des services de la Commission qui examinent les politiques économiques de chacun des Etats membres et de la zone euro dans son ensemble, et comportent une analyse approfondie des déséquilibres macroéconomiques pour 16 pays identifiés par la Commission en novembre dernier.
C’est la première fois que la Commission publie des rapports par pays aussi tôt dans le cycle du semestre. Les rapports ne sont plus présentés en même temps que les recommandations par pays au printemps, mais trois mois plus tôt pour laisser plus de temps aux discussions avec les parties prenantes et permettre une plus grande appropriation par les Etats membres.
La Commission organisera en mars un nouveau cycle de réunions bilatérales avec les Etats membres pour discuter des rapports par pays. D'ici à la mi-avril, les Etats membres doivent en effet présenter leur programme national de réforme (PNR) et leur programme de stabilité ou de convergence (PSC).
Pour ce qui est de la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques, il ressort des travaux de la Commission présentés le 25 février que, pour 3 des 16 pays dont on a considéré en novembre, au moment de la publication du rapport sur le mécanisme d’alerte, qu'ils présentaient des déséquilibres macroéconomiques, il a été décidé de passer au stade suivant de la procédure. Ces trois pays sont : la France (qui passe du stade 4, correspondant au constat de "déséquilibres qui requièrent l’adoption de mesures décisives et une surveillance particulière", au "stade 5", qui correspond au constat de "déséquilibres excessifs qui requièrent l’adoption de mesures décisives et une surveillance particulière" et qui est la dernière étape avec le lancement d’une procédure de déficit excessif), l'Allemagne (stade 3, qui correspond au constat de "déséquilibres qui requièrent l’adoption de mesures décisives et une surveillance") et la Bulgarie (stade 5).
Dans le cas de la France, la Commission prendra en mai, sur la base du PNR et des autres engagements de réformes structurelles annoncés d'ici-là, la décision d'activer la procédure concernant les déséquilibres excessifs. Dans un contexte de faible de croissance et de faible inflation, associées à une rentabilité peu élevée des entreprises, et étant donné l'insuffisance des mesures prises à ce jour, les risques liés à la détérioration de la compétitivité-coûts et hors coûts et à la hausse de la dette de la France, en particulier la dette publique, ont augmenté de façon significative, note la Commission.
Dans le cas de l’Allemagne, la Commission note que les risques se sont accrus en raison de l'insuffisance persistante des investissements privés et publics, qui constituent un frein à la croissance et contribue à l'excédent très élevé de la balance courante.
En ce qui concerne la Bulgarie, la Commission relève que les turbulences du secteur financier en 2014 ont suscité des inquiétudes quant à l'existence, dans les établissements bulgares, de pratiques bancaires pouvant avoir des incidences importantes sur le secteur financier et la stabilité macroéconomique globale. En outre, la position extérieure, toujours négative bien que meilleure, le surendettement des entreprises et le faible ajustement du marché du travail continuent de constituer des risques macroéconomiques selon la Commission.
Pour deux autres pays, le Portugal et la Roumanie, la Commission a ouvert la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques (PDM), tandis que, pour la Slovénie, elle a décidé d'en revenir au stade antérieur.
Dans le cas du Portugal, la Commission note qu’en dépit des progrès considérables réalisés au cours de la période d'application du programme, en ce qui concerne aussi bien l’ajustement que les politiques économiques, il subsiste des risques importants en raison d'un haut niveau d'endettement, tant interne qu’externe, dans plusieurs secteurs, qui justifient une attention étroite. Les services de la Commission pointent également de fortes pressions au désendettement, dans un contexte de croissance lente, d'inflation faible et de chômage élevé.
Pour ce qui est de la Roumanie, la Commission estime que les déséquilibres externes et internes ont été considérablement réduits dans le cadre des trois programmes consécutifs UE-FMI. Mais elle relève que les risques liés à une position extérieure globale nette négative relativement importante et à la faible capacité d'exportation à moyen terme méritent l'attention. De plus, si la stabilité du secteur financier a été préservée jusqu'ici, des vulnérabilités externes et internes persistent dans le secteur bancaire, ajoutent les services de la Commission.
Pour la Slovénie, la Commission note que le rééquilibrage est en cours et que, dans l’ensemble, les mesures décisives qui ont été adoptées, l’amélioration des résultats à l’exportation et des conditions de la croissance ont réduit les risques par rapport à l’année dernière, en particulier ceux qui ont trait à la viabilité de la position extérieure. La Commission constate toutefois des risques pour la stabilité financière et la croissance en raison des carences de la gouvernance des entreprises, de la forte participation de l’Etat à leur capital et de leur endettement encore élevé, ainsi que d'une dette publique croissante.
Enfin, pour les dix pays restants, le statu quo a été maintenu.
Pour rappel, le Luxembourg ne compte pas parmi les pays pour lesquels un bilan approfondi était demandé en novembre 2014.
Dans l’ensemble, le Luxembourg a fait des progrès limités pour donner suite aux recommandations par pays qui lui ont été adressées en 2014, estime la Commission dans le document de travail qui préfigure le rapport qu’elle va consacrer au Grand-Duché dans le cadre du semestre européen 2015. Les défis identifiés pour le Luxembourg s’inscrivent donc dans la droite ligne des recommandations que le Grand-Duché s’est vu adresser année après année depuis le début le premier semestre européen.
Au sujet des finances publiques, la Commission note qu’elle "restent saines, soutenues par un cadre politique fort". Les services de la Commission relèvent en effet que, en vue de la détérioration attendue de l’équilibre budgétaire en 2015, le gouvernement s’est lancé dans une série de mesures correctives concernant tant les dépenses que les recettes de façon à maintenir l’objectif à moyen terme. Le plan de consolidation budgétaire présenté par le gouvernement pour la période 2015-2018 est ainsi jugé "ambitieux" par la Commission qui estime aussi que la récente introduction d’un cadre pluriannuel va contribuer à atténuer l’impact du cycle économique sur les finances publiques et réduire la volatilité et l’exposition des recettes à des facteurs extérieurs comme l’évolution des marchés financiers.
Les services de la Commission pointent toutefois le fait que le Luxembourg fait face à des "défis en termes de durabilité à long terme de ses finances publiques" du fait de "ses progrès limités en matière de pensions". La réforme du système de pensions de 2012 n’était “pas assez ambitieuse”, répète la Commission, et les engagements budgétaires liés au vieillissement sont une menace à long terme pour la Commission qui pointe aussi une réforme des soins de longue durée qui n’avance pas. La durabilité à long terme des finances publiques luxembourgeoises est en effet aussi menacée par la hausse continue des dépenses en soins de longue durée selon la Commission.
Si la récente réforme de la TVA va compenser au moins partiellement la chute des recettes fiscales liées au changement de la réglementation sur la TVA appliquée au commerce électronique, la Commission estime qu’il y a du potentiel pour "élargir encore la base fiscale" vu l’usage répandu de taux réduits, et pour "revisiter la fiscalité actuellement basse sur la propriété immobilière". La Commission estime aussi qu’il serait possible de tirer potentiellement des revenus de sources comme la fiscalité environnementale.
L’économie est "lourdement dépendante du secteur financier", insiste une fois de plus la Commission, sans perdre de vue les efforts menés pour soutenir l’investissement dans les secteurs à forte valeur ajoutée, notamment dans l’industrie du net et les transports. Et la Commission est d’avis que le plan Juncker pourrait contribuer à ces efforts.
La Commission note aussi que le bas niveau de coopération entre les entreprises et les instituts de recherche publics et la forte baisse de l’intensité en R&D des entreprises, qui a reculé de 1,5 % en 2000 à 0,7 % en 2013, révèlent "les faiblesses actuelles du système de recherche et d’innovation du Luxembourg".
En bref, aux yeux de la Commission, la forte dépendance de l’économie au secteur financier implique un risque structurel inhérent qui témoigne de la nécessité d’une diversification économique qui doit notamment passer par plus d’investissements dans la recherche et le développement.
La Commission pointe une fois encore du doigt l’évolution des salaires, qui devrait être "en ligne avec la productivité", ce qui aiderait à améliorer la position extérieure du Luxembourg. "Aucun progrès n’a été fait en matière de coût-compétitivité", déplore ainsi la Commission en rappelant que ce facteur a subi une érosion au cours de la dernière décennie du fait que les coûts salariaux unitaires nominaux ont crû plus vite au Grand-Duché que chez ses partenaires commerciaux. Ce que la Commission explique par une stagnation de la productivité du travail et une hausse continue des salaires nominaux.
Si la Commission constate que le marché du travail fonctionne bien dans l’ensemble et que le taux de personnes titulaires d’un diplôme élevé est haut, elle note aussi que les taux d’emploi restent relativement bas pour les travailleurs âgés, les femmes et les jeunes peu qualifiés. La Commission souligne que les efforts pour réduire le chômage, notamment des jeunes les moins qualifiés, ont été intensifiés et commencent à porter leurs fruits. En revanche, les progrès pour augmenter le taux d’emploi des travailleurs âgés, notamment en améliorant leur employabilité par la formation continue, sont restés limités selon les services de la Commission. De même, elle juge "limités" les progrès réalisés pour renforcer la formation professionnelle en promouvant l’apprentissage et les stages. Pour ce qui est de la réforme du système d’éducation secondaire, la Commission constate qu’aucun progrès n’a été fait.
En conclusion, la Commission juge donc "insatisfaisants" les résultats des efforts menés sur le terrain de l’éducation malgré le taux élevé de diplômés. Améliorer la situation des personnes issues de l’immigration et des jeunes peu qualifiés reste en effet difficile, déplore la Commission.
La Commission pointe par ailleurs l’existence d’obstacles institutionnels à l’efficacité des politiques d’activation de l’emploi. Elle estime par exemple que l’imposition commune des couples a tendance à ne pas encourager les femmes à travailler, tout comme le régime de prestations sociales peut présenter selon ses services de véritables "pièges à chômage".
La Commission constate aussi que le taux de personnes à risque de pauvreté et d’exclusion sociale augmente parmi les enfants, les familles monoparentales et les migrants, ce qui mérite de l’attention.
Le Luxembourg n’est actuellement pas en voie de réduire ses émissions de gaz à effet de serre dans les secteurs non couverts par le marché du carbone (SEQE ou ETS) de 20 % entre 2005 et 2020, observe encore la Commission qui déplore qu’aucun progrès n’ait été fait dans ce domaine et qui appelle de ses vœux "des mesures concrètes et ambitieuses" pour parvenir à cet objectif.
La Commission met notamment en cause le tourisme à la pompe "induit par une fiscalité relativement basse de l’essence et du diesel" et évoque une étude de faisabilité sur l’impact d’une réforme de la fiscalité de l’énergie que le gouvernement entend présenter courant 2015. La Commission suggère que les résultats de cette étude soient pris en compte dans la réforme fiscale en cours de préparation.
Pour la Commission, le défi du Luxembourg est de se transformer en une économie sobre en carbone et permettant une utilisation rationnelle des ressources. La Commission suggère donc au Luxembourg de mettre en des mesures politiques concrètes pour atteindre à la fois ses objectifs environnementaux et économiques.