Principaux portails publics  |     | 

Migration et asile - Justice, liberté, sécurité et immigration
Après le nouveau drame de l’immigration, les appels se multiplient à renforcer les moyens de Frontex, financer des programmes de sauvetage et créer des voies légales pour accéder à l’UE
12-02-2015


Suite au nouveau drame de l’immigration au large de l’île de Lampedusa avec plus de 300 morts, les réactions se sont multipliées ces derniers jours, tant dans l’UE qu’au Luxembourg, pour demander un renforcement des moyens de Frontex, l'agence européenne de surveillance des frontières et de créer des voies légales pour accéder à l’UE.

Plus de 330 disparus en quelques jours

frontex-eurosur-source-frontexSelon des récits de rescapés, plus de 330 personnes sont portées disparues après avoir embarqué quatre embarcations le week-end du 7 et 8 février 2015 en Libye, a indiqué le 11 février l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR), dans un communiqué. L’agence rapporte que sur deux embarcations portant 210 personnes, seulement neuf ont survécu, les autres ayant été emportés par les flots lors d’une tempête. Par ailleurs, 29 personnes sont mortes de froid à bord d’un canot pneumatique. Une quatrième embarcation qui n’a pas été retrouvée jusqu’à présent, aurait porté près de 100 personnes, avaient indiqué les rescapés. La plus jeune des personnes disparues était un jeune garçon âgé de 12 ans, souligne l’UNHCR.  "C'est une tragédie de grande ampleur et un rappel brutal qui laisse envisager encore davantage de pertes en vies humaines si des personnes en quête de sécurité sont laissées à la merci des océans. Sauver des vies devrait être notre priorité absolue. L'Europe ne peut se permettre de faire trop peu et trop tard", a déclaré Vincent Cochetel, directeur du Bureau Europe du HCR.

Deux de quatre navires impliqués dans le sauvetage des migrants faisaient partie de l’opération Triton, a indiqué Frontex dans un communiqué. Le directeur exécutif, Fabrice Leggeri, s’est dit "profondément touché" et "indigné" par le drame. Frontex indique avoir sauvé 6000 des 19 000 migrants en route vers l’Italie depuis le lancement de Triton en novembre. Au total, l'opération a sauvé 11 400 migrants, précise un autre communiqué, qui ajoute que l'année 2014 peut être caractérisée comme celle lors de laquelle le trafic des êtres humains "est devenu une activité pratiquée toute l'année".

La réaction de la Commission

Interrogée le 11 février 2015 lors du "Daily Midday Briefing" de la Commission européenne sur les conséquences du drame, la porte-parole Natasha Bertaud a demandé aux Etats membres de donner plus de moyens, notamment financiers à Frontex. Le budget de l’agence, à hauteur de 90 millions d'euros par an, n'est "pas à la hauteur de sa tâche", a-t-elle insisté. Elle a réclamé plus de "sincérité" et qu’il soit reconnu que Frontex "n'est pas un système de contrôle des frontières. Si nous voulons un système de contrôle des frontières, il faut le mettre sur pied", a insisté la porte-parole qui ajoute que la Commission est en train d’entreprendre une étude de faisabilité sur un tel système. "Si on veut parler sérieusement d'améliorer la situation, il faut aussi parler de la façon de financer cela de façon adéquate", a poursuivi Natasha Bertaud. "Aux yeux de la Commission, il faut mettre en commun les ressources des États membres, notamment pour renforcer le travail de Frontex". Un débat d'orientation sur la politique migratoire sera organisé début mars au sein de la Commission et son nouveau président, Jean-Claude Juncker, en a fait l'une de ses "priorités", a-t-elle encore souligné.

"C'est une autre tragédie à nos portes et nous ne pouvons détourner le regard", a pour sa part déclaré Frans Timmermans le 12 février 2015. Dans un communiqué, le Premier vice-président de la Commission européenne appelle les États membres à travailler avec l'institution européenne pour déterminer de nouvelles "solutions pour mieux gérer les migrations".

Le commissaire européen chargé de la Migration, Dimitris Avramopoulos, a déclaré le 9 février 2015 sur son compte Twitter que "le drame continue". "Notre lutte contre les passeurs continue de manière coordonnée et impitoyable. Il faut faire plus", a-t-il ajouté. Quant à la Haute Représentante de l’UE pour les Affaires étrangères, Federica Mogherini, elle a annoncé une réunion dans les prochains jours pour une "révision de nos politiques".

Le contexte

Frontex est l'Agence européenne pour la surveillance des frontières extérieures de l’UEFrontex coordonne l'opération Triton qui a pris le 1er novembre 2014 le relais de Mare Nostrum, une mission de secours italienne lancée en octobre 2013 après le naufrage de Lampedusa qui avait coûté la vie à 366 migrants. L’Italie avait mis fin à cette opération, notamment en raison de ses coûts élevés d’environ 9 millions d’euros par mois. Le ministre de l’Intérieur Angelino Alfano avait déclaré la veille du lancement de Triton que Mare Nostrum avait permis de sauver 100 250 personnes et d’arrêter 728 trafiquants.

Le directeur de Frontex, Gil Arias Fernandez, avait pour sa part souligné à maintes reprises que Triton ne remplacera pas Mare Nostrum et que cette idée de remplacement "pourrait avoir des conséquences catastrophiques et mortelles en Méditerranée", parce que l’opération "ne répond pas aux besoins de milliers de migrants et de réfugiés, y compris ceux qui sont forcés de fuir les guerres et les persécutions au Moyen-Orient et en Afrique".

Lors de la présentation de Triton en septembre 2014, Gil Arias Fernandez avait déjà expliqué que "ni la mission ni les ressources ne permettent un remplacement" de Mare Nostrum et que Triton n’était pas focalisé sur le sauvetage, mais sur le contrôle des frontières. Il avait averti que les navires de patrouille ne sont pas à même de prendre à bord des centaines de migrants. De plus, Triton couvre uniquement un rayon de 30 miles nautiques au large des côtes italiennes alors que les garde-côtes italiens patrouillaient jusqu’au large de la Libye. Ses moyens techniques sont 4 avions, 1 hélicoptère, 4 patrouilleurs de haute mer, 1 navire de patrouille côtière et 2 patrouilleurs côtiers.

Réactions des associations

Amnesty International a reproché à l’UE de pratiquer une "politique d’autruche", rapporte un communiqué du 11 février. "Cette nouvelle tragédie réalise nos pires craintes quant à la fin de l’opération italienne de recherche et de sauvetage Mare Nostrum et révèle les conséquences prévisibles de l’absence de solution de remplacement adaptée fournie par l’UE", a déclaré John Dalhuisen. Amnesty cite le HCR selon lequel nombre de migrants arrivés clandestinement par la mer en janvier 2015 aurait augmenté d’environ 60 % par rapport à janvier 2014, lorsque Mare Nostrum était en place. Pour Amnesty, "cela montre bien l’absurdité des théories affirmant que cette opération de recherche et de sauvetage – dont la fin a connu un grand retentissement – encourageait les migrants à emprunter ce dangereux itinéraire".

Pour l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), le nouveau drame montre "la nécessité des opérations de secours dans la Méditerranée" et marque "l’un des débuts d’année les plus meurtriers de ces dernières années, en termes de décès de migrants". L’organisation rappelle dans un communiqué que, selon le Ministère italien de l’intérieur, 3 528 migrants ont déjà traversé la Méditerranée au mois de janvier, malgré les conditions hivernales. S’il s’agit d’une baisse par rapport à décembre (6 732), ces chiffres sont "inhabituels" pour l’hiver, insiste l’OIM, qui rappelle qu’en janvier 2014, les migrants arrivés étaient 2 171, contre seulement 217 en 2013. En janvier 2014, 41 migrants avaient trouvé la mort, insiste l’organisation. Plus de 3 400 migrants ont perdu leur vie en 2014 dans la Méditerranée, avait indiqué l’ONU en décembre 2014.

Réactions des groupes politiques

"Il faut rapidement renforcer la lutte contre les passeurs, et pour cela, il faut renforcer les moyens d’Europol", a insisté Monika Hohlmeier (PPE), lors d’un débat en plénière au Parlement européen consacré au rôle, aux ressources et aux capacités de Frontex et d’EASO.

Le groupe S&D a déclaré que l’UE "ne peut pas rester les bras croisés" et appelé le Conseil européen à régler d’urgence cette question. "Cette nouvelle tragédie est une honte pour les gouvernements de l’UE. La surveillance des frontières ne peut pas être la seule réponse aux défis humanitaires d’aujourd’hui", a indiqué la socialiste Birgit Sippel, qui appelle les Etats membres à mettre ensemble en œuvre règles de recherche et de sauvetage. Selon elle, l’UE a besoin d’urgence de voies d’entrée sûres et légales dans l’UE ainsi que d’une nouvelle approche de la politique d'asile, notamment un "vrai système européen de réinstallation, fondé sur des quotas pour chaque État membre, calculés éventuellement sur leur taille et leur PIB".

Les libéraux de l’ALDE ont également demandé plus de voies légales et sûres pour entrer dans l’UE et proposé la délivrance de visas humanitaires dans les ambassades de l'UE ou des bureaux consulaires dans les camps de réfugiés temporaires. Cecilia Wikström reproche dans un communiqué à la Commission d’avoir gardé le silence pendant trop longtemps et l’appelle à prendre des initiatives et faire des propositions concrètes.

Ulrike Lunacek (Verts), vice-présidente du Parlement européen, a déclaré lors du débat en plénière qu’il faut agir de manière à ce que "cela ne se reproduise plus jamais autour de notre continent".

Pour le groupe de gauche GUE/NGL, Frontex et Triton se sont avérés un "vrai échec". C’est pourquoi il ne faut pas augmenter les ressources de l’agence, a estimé Barbara Spinelli, qui appelle l’UE à financer des programmes de sauvetage tels que Mare Nostrum, dont la fin a provoqué des "désastres humains". Frontex devrait agir de manière proactive et élargir son champ opératoire au-delà de sa limite de 30 miles de la côte italienne. Pour Malin Björk, la politique européenne de migration est "catastrophique". "Frontex ne va jamais sauver des vies, c’est une police des frontières", a-t-elle insisté, appelant à renforcer l’opération Mare Nostrum au lieu de renforcer Frontex.

Réactions au Luxembourg

Déi Lénk ont déposé le 11 février 2015 une question parlementaire urgente, dans laquelle les députés Justin Turpel et Serge Urbany demandent à Jean Asselborn, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, s’il est d’avis qu’il faut reprendre "d’urgence" l’opération Mare Nostrum, et s’il est prêt à intervenir au Conseil européen "afin que les moyens financiers nécessaires à cette fin soient mis à disposition de l'Italie, ou bien que l’UE prenne directement en charge cette mission humanitaire urgente ?". Dans cette question, les députés rappellent que l’opération Triton "n’a pas du tout la même vocation que Mare Nostrum" qui, selon eux, a permis de sauver la vie de 150 000 personnes. "Contrairement à cette dernière, I'opération Triton n'a pas de mission essentiellement humanitaire, mais se concentre plutôt, dans un rayon de 30 kilomètres, à la protection des frontières italiennes", rappellent-ils. Les députés citent le Ministre de l'Intérieur selon lequel 3 700 personnes seraient arrivées en Italie pendant le mois de janvier 2015 (sous Triton), contre 3 300 en janvier 2014 (sous Mare Nostrum).

Déi Lénk avait déjà adressé le 3 novembre 2014 une question parlementaire sur le même sujet. Dans sa réponse datée du 21 novembre, Jean Asselborn avait indiqué que "le destin de la mission Mare Nostrum ou des activités substitutives éventuelles, relève d'une décision nationale souveraine de l'Italie" et que "le Gouvernement du Luxembourg ne peut s'immiscer dans les affaires italiennes", mais continue à s'engager "pour le maintien d'un dispositif Triton efficace et durable, dans lequel la composante humanitaire occupera une place prépondérante". "Dans cet ordre d'idées, le Gouvernement envisage de déployer des moyens luxembourgeois dans la mission Triton", avait conclu le ministre.