Au moins 3 419 migrants ont perdu la vie en tentant de traverser la Méditerranée pour rejoindre l’UE, a annoncé le 10 décembre 2014 le Haut-Commissariat des Nations pour les réfugiés (HCR). Cette route est ainsi la plus dangereuse au monde, vu le total de 4 272 personnes mortes dans le monde entier au cours d’une fuite.
Depuis le début de l'année, ce sont plus de 207 000 migrants qui ont tenté de traverser la Méditerranée, un chiffre presque trois fois plus élevé que le précédent record de 2011, lorsque 70 000 migrants avaient fui leurs pays lors du printemps arabe, explique le HCR. Pour la première fois, près de la moitié de ces migrants viennent essentiellement de deux pays : la Syrie et l’Erythrée.
Depuis l'an 2000, plus de 22 000 migrants auraient perdu leur vie en Méditerranée, estime l’Organisation internationale pour les migrations, en se référant à un projet de calculs basés sur les accidents sous le nom de "The Migrants Files". Pour la Méditerranée, "2014 est l'année la plus meurtrière", loin devant le pic de 2011, lorsque 1 500 décès avaient été enregistrés, juge l’OIM.
Le Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'Homme, Zeid Ra'ad Al Hussein, a dénoncé l'indifférence "choquante" des pays européens. "Le manque d'intérêt que nous voyons dans de nombreux pays face à la souffrance et l'exploitation de ces personnes désespérées est profondément choquant", a affirmé Zeid à l'ouverture d'une conférence à Genève sur la protection en mer des migrants. "Les pays riches ne doivent pas devenir des ghettos, avec leurs peuples cherchant à fermer les yeux pour ne pas voir les tâches de sang maculant leurs routes", a averti le Haut-Commissaire.
Le HCR a critiqué la gestion migratoire des Etats européens, regrettant que certains gouvernements se focalisent davantage sur le maintien des étrangers hors de leurs frontières que sur le respect de l'asile. "C'est une erreur, et précisément la mauvaise réaction à avoir dans une période où un nombre record de personnes fuient la guerre", a affirmé António Guterres, Haut-Commissaire de l'ONU pour les réfugiés. Tous les pays ont des préoccupations de sécurité et de gestion de l'immigration, mais les politiques doivent être conçues de manière à ne pas conduire à ce que les vies humaines deviennent des dommages collatéraux".
"Vous ne pouvez pas utiliser des moyens de dissuasion pour empêcher une personne de fuir pour sauver sa vie, sauf en augmentant les dangers", a affirmé António Guterres. Selon lui, les Etats doivent "s'attaquer aux vraies causes profondes, c'est-à-dire examiner les raisons pour lesquelles les personnes fuient, ce qui les empêche de chercher asile par des moyens plus sûrs, et ce qui peut être fait pour sévir contre les réseaux criminels qui prospèrent dans ce contexte, tout en protégeant les victimes".
Selon l’ONU, l'Italie a déjà sauvé 150 000 migrants qui tentaient de traverser la Méditerranée cette année grâce à l'opération "Mare Nostrum" mais a décidé d'y mettre fin, faute de soutien de ses partenaires européens. L’opération était une réponse face au naufrage de Lampedusa en octobre 2013 qui avait coûté la vie à 366 personnes et qui avait suscité des réactions choquées dans le monde entier. La Commission européenne s’était alors engagée à proposer des mesures concrètes "pour prévenir de nouvelles pertes humaines".
Une nouvelle opération, baptisée Triton, qui n’est pas censée prendre la relèv de Mare Nostrum, a été lancée le 1er novembre 2014, mais elle sera limitée à la surveillance de la frontière extérieure de l'UE en Méditerranée. Malgré la fin de l'opération, le commandant de la marine italienne, l'amiral Giuseppe De Giorgi, a affirmé le 10 décembre 2014 à Genève que des patrouilles allaient poursuivre les trafiquants d'êtres humains. "La mer Méditerranée ne doit pas devenir une mer de la mort et nous, en tant que marins, ne devons abandonner personne".
L’ONG allemande Pro Asyl a dénoncé un "échec" et un "aveu de faiblesse" de la part des gouvernements européens. Elle critique le fait que l’UE se concentre sur la protection des frontières, via l’agence européenne de gestion des frontières Frontex, au lieu de créer des services de sauvetage maritime qui sont "laissés à l’appréciation des acteurs privés", en se basant sur des données selon lesquelles seulement trois actions de sauvetages auraient été opérés par Frontex, tandis que 12 auraient été opérés par des acteurs privés sur une trentaine d’opérations conduites au mois de novembre 2014. L’ONG dénonce une politique "fatale" qui "donne la priorité à la protection des frontières plutôt qu’au sauvetage de vies humaines". A noter que l’opération Triton a été conçue pour le contrôle des frontières, comme l’avait expliqué le directeur de Frontex, Gil Arias-Fernández, qui n’avait pas exclu des opérations de sauvetage, mais précisé que les navires de patrouille ne seraient pas à même de prendre des centaines de migrants.
Amnesty International a pour sa part dénoncé dans un rapport "certaines faiblesses structurelles des services de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale" ainsi qu’une "réaction pitoyable de la plupart des États d’Europe", à l’occasion du premier anniversaire du naufrage de Lampedusa, et a appelé à créer des "itinéraires plus sûrs et plus légaux pour ceux qui fuient les conflits et les persécutions". Un appel qui a également été lancé à plusieurs reprises par l’ancienne commissaire aux Affaires intérieures, Cecilia Malmström.
"Ce que l’UE et ses pays membres doivent fournir d’urgence, c’est un nombre accru de navires de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale, munis d’un mandat clair de sauvetage de vies humaines en haute mer et des ressources nécessaires à cet effet", a déclaré John Dalhuisen, directeur du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International.
Si l’Italie est une des premières destinations des réfugiés traversant la Méditerranée, ce sont la Suède et l’Allemagne qui recevaient le plus de demandes d’asile en 2013, selon une étude du Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO), qui avait constaté une hausse de 30 % du nombre de demandeurs d’asile par rapport à l’année précédente. Entre janvier et juillet 2014, l’Italie a enregistré 30 755 demandes (10,4 % du total), contre 94 300 en Allemagne, 41 315 en Suède et 36 680 en France, avait insisté en novembre 2014 la Commission européenne, estimant que malgré une "pression considérable", la part des demandeurs d’asile dans la population nationale reste inférieure à la moyenne de l’UE entre 2009-2013.
Toutefois, si la Méditerranée constitue "la route la plus mortelle du monde" selon le HCR, elle n'est pas la seule. Avec ceux de Méditerranée, au moins 348 000 migrants dans le monde ont ainsi entrepris de traverser une mer depuis début janvier, un pic jamais atteint.