Principaux portails publics  |     | 

Fiscalité
Tax ruling - Plusieurs organisations syndicales européennes et américaines dénoncent la stratégie d’évitement fiscal de McDonald’s, qui passerait par le Luxembourg, et demandent à la Commission européenne de se pencher sur ce cas
25-02-2015


Le 25 février 2015, plusieurs organisations syndicales européennes et américaines réunies en coalition ont publié un rapport mettant en cause les stratégies d’évitement fiscal mises en place par McDonald’s.

La Fédération syndicale européenne des services publics (FSESP), la Fédération européenne des syndicats des secteurs de l'alimentation, de l'agriculture et du tourisme (EFFA) et l'Union internationale des employés de service (SEIU), soit une coalition de syndicats européens et américains représentant 15 millions de travailleurs dans différents secteurs de l’économie au sein de près de 40 pays, ont travaillé avec le groupe britannique de lutte contre la pauvreté La couverture du rapport consacré à la stratégie d'évitement fiscal de McDonald's disponible sur le site www.notaxfraud.euWar on Want pour livrer ce rapport qui s’inscrit dans la foulée des révélations faite dans le cadre du Luxleaks et qui touche aussi directement les pratiques fiscales du Grand-Duché, tant en matière de ruling fiscal que de régime fiscal spécial applicable aux droits de la propriété intellectuelle.

Selon ce rapport intitulé "Unhappy meal", la structure fiscale mise en place par le géant américain de la restauration rapide lui aurait permis d’éviter de payer plus d’un milliard d’euros en impôt sur les sociétés dans plusieurs pays européens entre 2009 et 2013.

McDonald’s est la plus grande entreprise de restauration rapide en Europe, avec 7 850 magasins et 20,3 milliards d’euros de chiffre d’affaire en 2013. Les activités commerciales de la branche européenne de McDonald’s représente près de 40 % des revenus de la compagnie.

La stratégie d'évitement fiscal décrite dans le rapport

Le rapport décrit la stratégie d’évitement fiscal adoptée par McDonald’s en 2008 et 2009, son impact en Europe et dans ses principaux marchés que sont la France, l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni.

Le rapport explique ainsi comment McDonald a décidé de déménager son siège social européen du Royaume-Uni vers la Suisse en 2009, tandis qu’une filiale dotée d’une branche suisse était créée au Luxembourg.

Selon le rapport, la chaîne de restauration rapide utilise les paiements de redevances intra-groupes et les transfère vers la filiale luxembourgeoise.

Le groupe fonctionne en effet sur la base de franchises, et une grande majorité des établissements européens doivent payer des redevances représentant 5 % de leurs ventes, sans compter les loyers qu’elles versent souvent pour des locaux détenus par le groupe.

La filiale créée au Luxembourg, McD Europe Franchising Sarl, détient la propriété intellectuelle du  groupe et a été créée juste après un changement de politique au Luxembourg permettant aux entreprises de bénéficier de réductions significatives du taux d'imposition sur les revenus de la propriété intellectuelle. Depuis 2009, le Grand-Duché a en effet mis en place un régime fiscal qui favorise l’exploitation de la propriété intellectuelle et permet aux entreprises implantées au Luxembourg d’exonérer à hauteur de 80 % les revenus nets générés par l’exploitation d’un droit de propriété intellectuelle.

Cette filiale, dont les auteurs notent qu’elle n’a pas de réelle activité économique sur le territoire du Grand-Duché, est devenue une des plus grandes filiales de McDonald en Europe alors qu’elle n’emploie que 13 employés au Grand-Duché. Elle a reçu 3,7 milliards d'euros de paiement de redevances entre 2009 et 2013. Or, selon le rapport, la holding n’aurait payé que 16 millions d’euros d’impôts au Grand-Duché sur l’ensemble de la période.

Selon le rapport, en 2013, le taux d’imposition de McD Europe Franchising Sarl aurait été de 1,4 %. "Ce taux est significativement inférieur à ceux qui semblent être disponibles au Luxembourg, même en prenant en compte le taux d'imposition généreux de 5,8 % du Luxembourg sur les redevances et les revenus de la propriété intellectuelle", explique le rapport. Les auteurs du document estiment donc très probable que ces taux extrêmement bas soient le résultat d'un rescrit fiscal (ou tax ruling) conclu avec le Luxembourg, soit un accord similaire à ceux révélés dans le cadre du scandale LuxLeaks.

Les auteurs demandent à la Commission européenne et aux administrations fiscales nationales, ainsi qu’à la commission spéciale récemment créée au Parlement européen, d’examiner de près les pratiques fiscales de McDonald’s et prendre les mesures appropriées

Les auteurs du rapport, qui jugent "honteux" le fait que McDonald’s "cherche à fuir sa responsabilité de payer sa juste part d’impôts, nécessaires pour financer les services publics dont nous dépendons tous", demandent "à la Commission européenne et aux administrations fiscales nationales, ainsi qu’à la commission spéciale récemment créée au Parlement européen, d’examiner de près les pratiques fiscales de McDonald’s et prendre les mesures appropriées".

Ils se réfèrent aux enquêtes déjà lancées par la Commission sur les rescrits fiscaux au Luxembourg et ailleurs en Europe, à savoir les enquêtes sur Fiat, Amazon, ainsi que l’enquête ouverte en décembre 2014 sur les rulings dans tous les Etats membres.

Et ils suggèrent que le cas McDonald’s devrait faire l’objet d’une enquête de la part de la Commission afin d’établir si le traitement fiscal de l’entreprise peut être considéré comme une aide d’Etat entravant le principe de libre-concurrence. Dans le cas où le ruling présumé ne serait pas jugé conforme aux règles en matière d’aides d’Etat, la Commission pourrait demander au Luxembourg de mettre fin au traitement fiscal spécial accordé à McDonald’s et de recouvrer les taxes qui auraient dû être perçues sur les revenus perçus au Luxembourg. Selon les calculs présentés dans le rapport, ce sont 194 millions d’euros que devraient recouvrir le Luxembourg pour la période 2009-2013. Et les auteurs observent que ce n’est là qu’une petite partie de ce que l’entreprise aurait dû payer en Europe si elle n’avait pas eu recours à sa filiale luxembourgeoise.

Les auteurs du rapport ajoutent que les régimes spéciaux accordés au titre de la propriété intellectuelle sont censés "stimuler l’innovation et les investissements dans les nouvelles technologies", selon les termes de la Commission qui, dans ses enquêtes sur les tax rulings, veut aussi s’assurer que c’est bien à cette fin que ces régimes connus sous le nom de "patent box" sont utilisés. Dans le cas de McDonald’s, les auteurs du rapport souligne que le rapport de la filiale luxembourgeoise ne mentionne aucun coût lié aux investissements en R&D. Par conséquent, les avantages fiscaux découlant de l’utilisation du régime fiscal de la propriété intellectuelle pourraient selon eux poser problème au regard des règles européennes sur les aides d’Etat. Si la Commission devait suivre cette analyse, les auteurs du rapport calculent que le montant total du recouvrement pourrait atteindre plus d’un milliard d’euros sur la période 2009-2013. Dans ce cas le Luxembourg devrait en effet recouvrir l’ensemble du montant des impôts non payés sur la base du taux d’imposition des sociétés standard.

Premières réactions

Dans son édition datée du 27 février 2015, le Bulletin quotidien de l’Agence Europe rapporte que la Commission européenne, interrogée sur le sujet, a "expliqué qu'à l'instar des documents du LuxLeaks, ce rapport pouvait être considéré comme une information de marché". "Elle n'a cependant pas tenu à dire si elle réunissait ou non des informations sur le cas spécifique de McDonald", ajoute le Bulletin.

Dès la publication de ce rapport, l’ONG Transparency International a réagi en appelant la Commission européenne à proposer un nouveau cadre réglementaire sur la transparence des données financières des entreprises multinationales. L’ONG entend par données financières notamment les revenus, les impôts payés et le nombre d’employés, qui devraient être communiqué pays par pays. Elle souhaiterait que la Commission intègre ces informations dans le paquet de mesures sur la transparence fiscale qu’elle entend présenter en mars, ainsi qu’elle l’a annoncé par voie de communiqué le 18 février dernier.

Du côté du Parlement européen, les Verts/ALE ont évoqué "les révélations sur l’évasion fiscale de McDonald’s" pour souligner que "nous ne sommes qu’au début d’une longue histoire de découvertes sur l'optimisation et l'évasion fiscales organisées par les sociétés en Europe". "Nous devons analyser ces pratiques en vue  de formuler des solutions globales dans lesquelles les entreprises ne pourront plus éviter leur responsabilité fiscale ", a indiqué Eva Joly, qui vient d’être nommée vice-présidente de la commission spéciale récemment créée pour enquêter sur les rescrits fiscaux.

Au Luxembourg, le député Justin Turpel (Déi Lénk) a adressé une question parlementaire circonstanciée au ministre luxembourgeois des Finances sur le sujet dès le 27 février 2015. Il lui demande notamment de lui confirmer l’existence d’un rescrit fiscal concernant la holding "McD Europe Franchising sàrl"et s’enquiert de savoir s’il accepterait de participer à une réunion de la commission des Finances et du Budget portant sur le sujet en présence des responsables de cette holding.