Alors que le groupe Déi Lénk a demandé le 20 février 2015 une interpellation auprès du président de la Chambre des députés au sujet du scandale Luxleaks et des pratiques du Luxembourg en matière fiscale, notamment le tax ruling, le député Laurent Mosar (CSV) a accordé au Luxemburger Wort un entretien publié dans l’édition du quotidien datée du 23 février 2015.
Cette prise de position intervient alors que le parti de la gauche n’a de cesse d’accuser les quatre grands partis qui ont été ou sont actuellement au gouvernement de bloquer toute élucidation de l’affaire Luxleaks en évoquant "un mélange des intérêts entre la politique et le secteur de la finance", ainsi que le résume le journaliste Christoph Bumb. Des accusations qui ne sont "pas concrètes" et qui laissent planer "des soupçons généralisés", dénonce Laurent Mosar.
Laurent Mosar rappelle que les décisions anticipées connues sous le nom de tax ruling sont pratiquées dans 25 autres Etats membres de l’UE, ce qui explique pourquoi la Chambre des députés, qu’il a présidée pendant la législature précédente, n’est selon lui "pas le bon lieu pour une élucidation supplémentaire". Le député CSV souligne qu’une commission spéciale du Parlement européen va se pencher sur ces pratiques dans toute l’Europe et que le Luxembourg fera "vraisemblablement" l’objet de demandes d’informations dans ce contexte.
Pour Laurent Mosar, "les entreprises qui demandent des rulings le font pour des intérêts économiques compréhensibles", et le font parce que "leurs pays d’origine" le "permettent" grâce à une "série de niches fiscales". Après analyse "du paysage fiscal mondial", les entreprises se placent de façon à être compétitives, explique Laurent Mosar qui estime que "le Luxembourg n’est qu’une petite partie du système". "Nous ne pouvons offrir aux entreprises que ce qui est possible légalement", rappelle le député qui assure que "si le choix se porte sur Luxembourg, ce n’est pas que pour des raisons d’optimisation fiscale". Certes, il reconnaît que "les modèles fiscaux sont un facteur important", mais Laurent Mosar insiste aussi sur le fait que le Luxembourg offre aussi "les bonnes infrastructures, le savoir-faire de sa place financière et enfin fiabilité politique et stabilité sociale".
Interpellé par le journaliste du Wort sur le cas d’entreprises qui ont eu recours aux décisions anticipées de l’administration fiscale en ne disposant que de peu, voire aucune substance économique dans le pays, Laurent Mosar reconnaît que "ces cas sont un problème". "Il y a peut-être eu quelques excès par le passé en ce qui concerne la domiciliation de toutes sortes d’entreprises n’ayant pas de vraie substance économique dans le pays", admet le député CSV qui dit "ne pas saluer" le fait que "tant de sociétés boîtes aux lettres se soient établies au Luxembourg". "Nous devons nous défaire de cette image de boîtes aux lettres", affirme Laurent Mosar pour qui "l’objectif devrait être d’attirer et de retenir au Grand-Duché des entreprises avec de la substance, c’est-à-dire des activités économiques durables, des investissements et des emplois".
Quand le journaliste lui demande si la spécificité du Luxembourg par rapport aux autres pays concernés par les rulings ne réside pas dans le fait que cette pratique y représente une part bien plus conséquente du modèle économique, Laurent Mosar lui répond tout d’abord qu’il est difficile d’avoir les chiffres exacts. Toutefois, il ne pense pas que leur part dans le modèle économique soit aussi importante que certains le disent. "Si toutes les sociétés boîtes aux lettres devaient partir un jour, cela aurait certes avoir un effet sur les recettes fiscales de l’Etat, mais pas au point que l’on ne puisse pas le compenser par le soutien d’autres activités économiques", assure le député qui voit à cet égard encore "beaucoup de potentiel" dans la place financière.
Lorsque Christoph Bumb évoque l’idée que le Luxembourg a eu tendance à réagir plutôt en retard dans les différents dossiers fiscaux, que ce soit dans le cadre du scandale Luxleaks, des discussions sur le secret bancaire ou sur la suppression des sociétés de holding luxembourgeoises, Laurent Mosar souligne qu’il n’y avait "peut-être pas de raison urgente d’agir plus tôt pour changer les choses". "On ne change pas une équipe qui gagne", argue en effet le député qui estime que "tant que quelque chose va bien et a des répercussions positives sur le budget de l’Etat, on n’a en tous cas pas vu le besoin d’opérer un grand changement". "Cela vaut pour la politique, mais plus encore pour les acteurs de la place financière", glisse le député CSV qui ne se souvient pas que ceux qui étaient alors dans l’opposition aient jamais remis en question cette politique.
Laurent Mosar, qui est membre de la commission des Finances à la Chambre, explique au journaliste que "ce n’est pas exactement un seul homme" qui a décidé de tous les rescrits fiscaux dévoilés dans l’affaire Luxleaks, même si de nombreuses décisions anticipées portent en fin de compte la signature d’une seule et même personne. Il souligne aussi que tous les rulings ne sont pas très complexes. Pour autant, Laurent Mosar juge tout à fait "sensée" la création d’une instance de contrôle et la mise en place d’une plus grande transparence. Le député juge que les mesures introduites par l’ancien et l’actuel gouvernement vont dans la bonne direction. Car, explique-t-il, si l’on vit dans une société où une transparence plus grande est requise, on doit aussi "être prudent en matière d’échange d’informations et ne pas lever complètement le secret fiscal qui vaut pour les entreprises".
A ses yeux, "il en va de la compétence nécessaire de l’Etat, de la politique et de l’administration de comprendre ces relations complexes". Laurent Mosar s’inquiète en effet de voir que la politique aussi bien que les administrations font face à un manque de personnel compétent sur les questions de finances et de politique fiscale. "Les meilleurs ne vont pas dans le public, mais dans le privé", déplore le député qui, face à une concentration de talents dans l’économie privée, constate que "les hauts fonctionnaires ont souvent du mal à avoir une vision d’ensemble de l’environnement toujours plus difficile et du nombre toujours plus grand de dossiers complexes". Une situation que le député déplore tout particulièrement dans le cas du Ministère des Finances dont il souligne l’importance "pour l’avenir du pays".
Laurent Mosar, qui a plaidé récemment pour un changement de paradigme en matière de fiscalité des entreprises, veut abaisser le taux d’imposition à 16 ou 17 % et, en contrepartie, élargir l’assiette fiscale tout en écartant diverses possibilités de déductions fiscales. L’enjeu serait selon lui non seulement de faire un pas vers plus de transparence, mais aussi de renforcer l’attractivité du site. "Le Luxembourg devrait être à la tête des Etats qui s’engagent pour une harmonisation de l’assiette fiscale", estime dans ce contexte le député CSV. "Nous n’avons rien à y perdre, bien au contraire", assure-t-il sans toutefois se faire d’illusions. "Cela durera encore un moment avant que l’on avance sur cette question à car de nombreux Etats bloquent», explique-t-il en effet en assurant que le gouvernement luxembourgeois, que ce soit l’ancien ou l’actuel, pour autant qu’il sache, n’en fait pas partie.
Pour rappel, l’ancien Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, alors tout juste entré en fonction au poste de président de la Commission européenne, avait dit dans la foulée des révélations sur le Luxleaks attacher une grande importance aux progrès du Conseil au sujet du projet de base d’assiette commune (dite ACCIS). Un projet de la Commission est sur la table depuis mars 2011 sans avoir pu avancer au Conseil. La Chambre des députés, que présidait alors Laurent Mosar, avait adopté en mai 2011 un avis politique sur ce texte. Les députés saluaient les objectifs visés par la Commission dans cette ébauche de directive, et notamment le fait que l’ACCIS tende à réduire pour les entreprises les coûts de mise en conformité liés à l’obligation de respecter les dispositions fiscales en vigueur dans les différents Etats membres. Mais ils émettaient quelques réserves : ils s’inquiétaient des "effets négatifs non négligeables sur les recettes fiscales" que pourraient avoir la consolidation obligatoire des résultats et la composition de la formule de répartition prévues par le texte soumis par la Commission.