Les ministres de la Justice de l’UE se sont réunis le 13 mars 2015 pour la deuxième journée d’un Conseil JAI qui a été marquée notamment par le compromis trouvé sur une partie importante de la réforme de la protection des données.
Les ministres se sont en effet entendus sur une approche générale partielle en se fixant pour objectif de clôturer la position du Conseil sur ce dossier lors du Conseil JAI du mois de juin 2015. En attendant, comme souvent, le principe qui prévaut est qu’il n’y a d’accord sur rien tant qu’il n’y a pas d’accord sur tout.
Les ministres ont toutefois pu s’entendre sur les chapitres VI et VII, qui portent sur le mécanisme de guichet unique, ainsi que sur le chapitre II qui porte sur les principes généraux de protection des données personnelles. La commissaire en charge du dossier, Vera Jourova, a donc d’ores et déjà parlé d’un "grand jour pour la protection des données". A ses yeux, en trouvant un accord sur "un pilier clé" de la réforme de la protection des données, les ministres ont établi "l’architecture de la réforme".
En ce qui concerne le guichet unique, mécanisme "fondamentalement nouveau en matière de protection des données", ainsi que l’a décrit Dzintars Rasnačs, ministre de la Justice letton qui présidait la réunion, les ministres se sont entendus pour que les citoyens aient la possibilité de s’adresser à l’autorité de protection des données de leur pays. En donnant la possibilité de s’adresser à l’autorité de son choix au citoyen, "le critère de proximité est respecté", a salué à cet égard le ministre de la Justice luxembourgeois Félix Braz. Il sera aussi possible aux citoyens de faire appel devant les juridictions de leur pays, a souligné le ministre letton.
En revanche, les entreprises travaillant dans plusieurs pays n’auront plus qu’une seule autorité comme interlocuteur grâce au guichet unique. En offrant une seule autorité comme interlocuteur, le mécanisme constituera "un progrès par rapport à la situation fragmentée" qui existe actuellement, a salué Félix Braz en soulignant que cela devrait contribuer à réduire la charge administrative des entreprises.
Le compromis trouvé indique clairement que la décision finale qui sera prise dans les cas transfrontaliers importants qui bénéficieront du mécanisme de guichet unique sera "adoptée par l’autorité de protection la mieux placée pour donner la protection la plus efficace du point de vue du sujet des données", précise un communiqué du Conseil. Félix Braz salue de ce point de vue "le renforcement de la sécurité juridique et de la cohérence dans l’application du droit de la protection des données" qui découlera du fait qu’en fin de procédure, il y aura "une seule décision contraignante pour l’ensemble du territoire de l’UE".
La délégation irlandaise a toutefois proposé l’idée d’introduire une clause générale de révision, prévoyant notamment une évaluation annuelle du fonctionnement du mécanisme de guichet unique. Une idée soutenue par nombre de délégations, et pour laquelle Félix Braz n’a pas manqué de faire part des "sympathies" du Luxembourg.
En ce qui concerne le chapitre II, le communiqué du Conseil indique que les ministres se sont entendus sur un ensemble de principes visant "un traitement des données loyal, licite et transparent". L’accent a été mis sur le traitement de catégories spéciales de données, indique le communiqué de presse qui précise aussi que le texte du compromis prévoit des mesures pour un traitement des données sur la base du consentement.
“Nous posons les bases pour autoriser tout traitement de données personnelles”, a expliqué au sujet de ces principes généraux Félix Braz. Il s’agit selon lui de trouver "un équilibre délicat" entre le renforcement de la protection du citoyen et la possibilité de mieux réglementer un environnement qui permet aux acteurs du numériques d’utiliser leurs données. Dans ce contexte, le ministre luxembourgeois a souligné les progrès faits en matière de NTIC, et il a plaidé pour qu’ils soient "accompagnés obligatoirement par des règles claires et durables". "Notre devoir est de combler tout vide juridique et de lever tous les doutes qui peuvent subsister", a poursuivi le ministre. C’est dans cette perspective qu’il faut selon lui aborder la question des "traitements ultérieurs".
"La question posée aujourd’hui va au-delà de la directive de 1995 puisque l’on prévoit de légitimer les traitements ultérieurs en invoquant comme base juridique l’intérêt légitime du responsable du traitement", a expliqué Félix Braz. Il a relevé que cette approche mettait mal à l’aise plusieurs délégations dans la mesure où elle peut être interprétée comme synonyme d’un affaiblissement des droits de la personne concernée. "Si l’on devait retenir cette solution, elle devrait s’accompagner d’un renforcement efficace des droits de la personne qui doit pouvoir s’opposer à ce que ses données soient traitées à certaines fins et doit pouvoir disposer en temps utile d’une information complète plus poussée et plus utile sur l’usage qui sera fait de ses données personnelles".
"Les discussions avec le Parlement européen ne seront pas faciles", a prévenu dans ce contexte Félix Braz en rappelant la position "très tranchée" des eurodéputés sur les questions de principe. L’objectif affiché par les ministres est toutefois de parvenir à un accord sur la position du Conseil dès juin, ce qui ouvrirait la possibilité de lancer les négociations en trilogue sous présidence luxembourgeoise. La commissaire Vera Jourova a exprimé l’espoir de parvenir à un accord en trilogue en 2015.
Les ministres de la Justice se sont entendus sur une approche générale au sujet du projet de directive relative à l'aide juridictionnelle provisoire pour les suspects et les personnes poursuivies privés de liberté, ainsi que l'aide juridictionnelle dans le cadre des procédures relatives au mandat d'arrêt européen. Ce texte va servir de base aux négociations avec le Parlement européen. La Commission avait mis sur la table sa proposition en novembre 2013 et le Parlement européen n’a pas encore arrêté sa position en commission à ce stade, comme en témoigne la fiche de procédure.
Les services de presse du Conseil notent que les ministres ont acté un certain nombre de modifications à la proposition initiale de la Commission. Ils ont en effet tenu à en définir plus précisément le champ d’application, en précisant que la directive ne s’appliquerait ni aux délits mineurs, ni aux situations liées à des restrictions temporaires de liberté de la personne où les droits de la défense ne doivent pas ou ne sont pas supposés être exercés. Une nouvelle disposition prévoit par ailleurs la possibilité d’accorder une aide juridictionnelle dans des délits moins graves lorsque cela est requis dans l’intérêt de la justice, ainsi que le prévoit la jurisprudence de la CEDH.
Comme l’a relevé la commissaire Vera Jourova, ce texte marque un progrès pour les suspects et les accusés. Mais la commissaire a laissé entendre qu’elle attendait beaucoup des négociations qui vont pouvoir s’ouvrir bientôt en trilogue. Félix Braz, qui a évoqué des négociations très difficiles et qui a souligné combien l’orientation générale s’écartait de la proposition initiale sur plusieurs dispositions importantes, n’a pas manqué lui aussi de souligner que les négociations avec le Parlement européen s’annonçaient ardues.
Les ministres sont aussi parvenus à s’entendre sur une approche générale au sujet d’un règlement portant sur l’agence de coopération en matière pénale de l’Union, Eurojust. La Commission avait mis sur la table sa proposition en juillet 2013, avec pour projet de lier ce règlement à la création d’un parquet européen. Les ministres ont toutefois exclu les dispositions liées au parquet européen à ce stade, en annonçant qu’elles pourraient être réintroduites ultérieurement. La commissaire Vera Jourova a insisté sur le fait que les propositions sur Eurojust et le parquet européen devraient aller de pair, et, si elle a salué comme un pas dans la bonne directions l’approche générale trouvée par les ministres, elle a aussi clairement dit qu’elle misait sur les négociations en trilogue.
Ce texte qui vise à ajuster les règles de fonctionnement et la structure d’Eurojust en fonction du traité de Lisbonne, est censé renforcer la légitimité démocratique de l’agence, mais aussi d’en améliorer l’efficacité grâce à un nouveau modèle de gouvernance.
Les ministres se sont par ailleurs entendus sur une approche générale partielle concernant un projet de règlement visant à favoriser la libre circulation des citoyens et des entreprises en simplifiant l'acceptation de certains documents publics dans l'UE. Ce texte avait été présenté par la Commission européenne en avril 2013 avec pour objectif de limiter les obstacles bureaucratiques à la libre circulation. Le Parlement européen a adopté sa position sur ce dossier en février 2014.
L’accord trouvé ne porte que sur certains chapitres du document et les négociations vont donc devoir se poursuivre. Vera Jourova s’est dite confiante dans la possibilité de parvenir à un accord sur une approche générale en juin prochain.
Comme l’a expliqué le ministre Félix Braz lors du débat public, le concept du compromis trouvé par les ministres vise à faire coexister différents systèmes, à savoir celui offert par la proposition initiale de la Commission avec les mécanismes existant actuellement. Si certains ont exprimé l’avis que cette coexistence serait de nature à mettre en danger la primauté de la solution offerte par le projet de la Commission et que ce dernier en serait dénaturé, tel n’est pas l’avis de la délégation luxembourgeoise. Au contraire, a expliqué Félix Braz, le citoyen aura le choix : soit il demandera l’apostille s’il estime que c’est le moyen le plus rapide de faire circuler le document, soit il fait usage des possibilités offertes par ce règlement. "Reste à voir si nous pourrons parvenir à un véritable guichet unique électronique avec échange direct et dématérialisé des documents entre autorités", un système dont Félix Braz espère qu’il verra le jour à moyen terme.
Les débats sur le projet de Parquet européen présenté par la Commission européenne en juillet 2013 s’est poursuivi, se concentrant notamment sur la manière dont le futur parquet européen pourrait conclure des "transactions" avec les suspects, à savoir des "jugements sur accord".
Au cours du débat, Félix Braz a évoqué les récentes discussions qui ont eu lieu au Luxembourg sur l’introduction de ce type d’instrument, finalement adopté quasiment à l’unanimité à la Chambre avec l’appui tant de la magistrature que du barreau. Selon le ministre luxembourgeois, un tel instrument peut être utile en vue de décisions rapides, justes et efficaces, et il devrait avoir sa place dans l’arsenal de moyens à disposition du futur parquet européen. Il plaide donc pour qu’un tel mécanisme soit introduit dans le règlement, afin qu’il soit uniforme, applicable quel que soit l’Etat membre concerné. Mais il s’est montré conscient du fait qu’il faudrait encore beaucoup de travail pour qu’un tel outil soit considéré comme efficace par tous les Etats membres, et surtout, comme juste par les citoyens.