Principaux portails publics  |     | 

Environnement - Santé
Un groupe d’eurodéputés interpelle la Commission sur le retard pris dans la préparation de critères de définition des perturbateurs endocriniens
09-03-2015


Lors d’un débat en plénière, un groupe d’eurodéputés a interpellé le 9 mars 2015 le commissaire européen à la Santé, Vytenis Andriukaitis, sur le retard pris dans la préparation de critères de définition des perturbateurs endocriniens alors qu’une nouvelle étude suggère que les coûts de maladies causées par ces substances chimiques s’élèverait à 1,23 % du PIB de l’UE.

Le contexte

Pour rappel, la Commission s’était engagée à présenter pour décembre 2013 des mesures de détermination des perturbateurs endocriniens, mais le dossier n’a toujours pas abouti, poussant certains Etats membres à prendre leurs propres initiatives, dont la France qui a élaboré sa propre stratégie nationale visant à réduire l’exposition de la population aux perturbateurs endocriniens.

La Suède avait introduit en juillet 2014 un recours contre la Commission européenne devant la Cour de Justice de l’UE. Le ministère de l’Environnement suédois avait encore appelé dans un communiqué de novembre 2014 la Commission à agir, déplorant que les efforts de la Commission sortante sur les perturbateurs endocriniens soient restés au point morts, contrairement aux "aux efforts intenses des pays nordiques". Le Conseil de l’UE a par ailleurs décidé le 29 janvier 2015 par procédure écrite de soutenir la Suède dans son action contre la Commission, comme l'a confirmé le 11 mars 2015 une attachée de presse du Conseil à Europaforum.lu et comme l'indique un article de l'Institut syndical européen (ETUI).

Quant au Parlement européen, il avait adopté en mars 2013 une résolution appelant la Commission à agir pour réduire l’exposition aux perturbateurs endocriniens, qui faisait suite à un rapport adopté en janvier 2013.

En juin 2014, la Commission a finalement publié une feuille de route qui propose quatre options en vue d’une définition des perturbateurs endocriniens (EDC en anglais pour Endocrine disrupting chemicals). La Commission a également lancé une consultation publique sur ces quatre options de définition ainsi qu’une évaluation d’impact ("impact assessment").  

Un groupe de 64 eurodéputés interroge la Commission sur la nécessité d’une évaluation d’impact qui met en suspens l’ensemble du processus

L'eurodéputé Nicola Caputo (Source : PE)L’eurodéputé Nicola Caputo (S&D) a soumis au commissaire une question orale signée par 64 eurodéputés, dans laquelle il demande pourquoi la Commission a réalisé une évaluation d’impact qui, selon lui, met "en suspens l'ensemble du processus" et a pour conséquence qu’elle "manqu[e] de ce fait à ses obligations légales". Il demande également si une telle étude "examinant les conséquences économiques des différents critères entrant dans la définition des perturbateurs endocriniens constitue une réponse appropriée à la question, de nature scientifique".

Dans la question, l’eurodéputé cite un article du quotidien britannique The Guardian du 2 février 2015 selon lequel "pas moins de 31 pesticides entraînant des troubles endocriniens et d'une valeur atteignant plusieurs milliards auraient pu être interdits en raison des risques qu'ils peuvent présenter pour la santé si une suite avait été donnée à un document de l'Union européenne sur les perturbateurs endocriniens qui a été bloqué." Le journal déclare avoir vu ce document, constitué de recommandations sur l’identification des perturbateurs endocriniens, et qu’il aurait été "enterré", selon des sources de la Commission cité dans l’article, en raison de la "pression exercée par de grands groupes chimiques".

Dans son intervention, Nicola Caputo a regretté que l’évaluation d’impact ne soit pas terminée avant la fin 2016. Il a jugé que d’autres directions générales (DG) ont "apparemment bloqué suite à des pressions extérieures" la proposition de la DG Sanco de présenter des mesures de définition pour décembre 2013. Il a rappelé que le Parlement européen avait demandé dans un rapport de limiter l’autorisation de produits contenant des perturbateurs endocriniens, tels que les pesticides. Il a souligné que l’augmentation des cancers, des maladies cardio-vasculaires, des anomalies congénitales auraient été associée par des scientifiques à l’exposition aux perturbateurs endocriniens. Il a dénoncé "l’échec" de la Commission d’avancer dans le dossier "en temps voulu".

Il a encore dénoncé un "impact énorme" sur la santé des citoyens et les systèmes de santé ainsi que la productivité, évoquant des coûts allant jusqu’à 250 milliards d’euros. Nicola Caputo a également demandé si la Commission avait l’intention d’informer le public sur les moyens d’éviter l’exposition aux perturbateurs endocriniens. Il a par ailleurs appelé à créer un centre de recherche dédié à ce sujet pour "coordonner les informations" et à développer des lignes directrices au niveau européen pour faire face à une "pollution silencieuse" qui serait "trop peu prise en compte par l’opinion publique", vu que les citoyens ne disposent pas assez d’informations pour protéger leur santé.

"La santé est la priorité numéro un" pour le commissaire Vytenis Andriukaitis

Le commissaire européen à la Santé, Vitenis Andriukaitis (Source : PE)Le commissaire Vytenis Andriukaitis a contesté que la Commission mette en danger la santé publique en prenant du retard sur le dossier. Il a répété la réponse que la Commission avait donnée en décembre 2014 à une question écrite alors formulée par le même eurodéputé. Le commissaire Karmenu Vella y indiquait que l’utilisation des perturbateurs endocriniens est "strictement limitée" par les règlements relatifs aux produits phytopharmaceutiques et aux produits biocides et que des critères intérimaires pour l’identification de ces substances sont en vigueur. Selon cette réponse, un poste "d’expert des perturbateurs endocriniens" a été créé en 2014 et cette personne fera un "effort déterminé" pour examiner des perturbateurs endocriniens afin d’identifier "toutes les substances extrêmement préoccupantes" à l’horizon 2020.

Vytenis Andriukaitis, lui-même médecin et chirurgien, a également contesté que la Commission soit soumise à une pression de l’industrie, insistant sur le fait que "la santé est la priorité numéro un" et qu’il n’y aura "pas de compromis sur la santé". Il a déclaré préférer "clarifier" l’approche de la Commission au lieu de "commenter des articles de presse" et un "soi-disant document" de la Commission sur lequel il "ne peut pas répondre".

Le commissaire a insisté sur le fait qu’il doit respecter la feuille de route qui prévoit selon lui une évaluation d’impact dans une situation "complexe et délicate", en évoquant des"vues divergentes" des chercheurs et des régulateurs. Il a dit soutenir le principe de précaution et souligné que l’UE est "pionnier" mondial en matière de "transposition de préoccupations dans la législation", en se référant aux critères intérimaires. Il a indiqué que la première phase de l’évaluation d’impact a débuté en novembre 2013 avec le lancement d’études externes et que la deuxième phase vient d’être lancée. Il a évoqué le Centre de recherche commun de l’Institut pour la santé et la protection des consommateurs (IHCP) qui "développera une méthodologie" pour définir les critères permettant l’identification des perturbateurs endocriniens.

La réaction des groupes politiques

Pour Jens Gieseke (PPE), qui s’est montré assez critique envers la Commission, a pourtant estimé que cette dernière est "sur la bonne voie, malgré un retard important". Il a appelé le Parlement européen à soutenir la Commission dans son évaluation d’impact pour arriver à une "bonne législation", en mettant en garde contre des "débats idéologiques" et des "accusations sans nuances" quant à un problème "complexe" qui manque de "solutions simples". Le fait qu’il existe différentes vues dans les services de la Commission et auprès des scientifiques montre, selon lui, à quel point le sujet est controversé. Il a dénoncé un "retard inacceptable" de la Commission, en l’appelant à améliorer sa manière de respecter les délais.

Gilles Pargneaux (S&D) a dénoncé un "serpent de mer" ainsi qu’un des "plus grands scandales sanitaires", mais aussi économiques. Il a évoqué des coûts de 157 milliards d’euros ou 1,23 % du PIB de l’UE causés entre autres par des maladies comme l’obésité, le cancer ou encore le diabète liés aux perturbateurs endocriniens, en référence à une étude présentée le 5 mars 2015 au congrès annuel de l’Endocrine Society, selon un article du Monde. Gilles Pargneaux a critiqué le fait que, déjà en 2009, le prédécesseur de Vytenis Andriukaitis aurait promis plus de transparence et un débat public – "et puis plus rien".

Julie Girling (ECR) a déclaré ne pas avoir signé la question orale puisqu’il n’existe, selon elle, "pas de solution scientifique simple". Elle a appelé à ne pas simplifier le sujet et a indiqué "ne pas être opposée par principe à une évaluation d’impact". La Britannique a rappelé que la discussion scientifique est "toujours en cours" et que l’OMS n’a pas établi de lien clair entre certaines maladies et l’exposition aux perturbateurs endocriniens. Elle a qualifié l’approche de la Commission de "censée" et appelé les eurodéputés à ne pas fermer les yeux sur les effets économiques qu’aurait l’interdiction de certaines substances chimiques. 

Lynn Boylan (GUE/NGL), une des signataires de la question orale, a dénoncé une "campagne" de l’industrie chimique soucieuse de perdre ses profits. Au lieu de défendre l’environnement et la santé des citoyens, la Commission aurait cédé aux intérêts de l’industrie, a-t-elle dénoncé. Elle a estimé qu’il n’y a "aucune excuse" pour le retard de la Commission et a insisté sur des "preuves scientifiques irréfutables" qui justifieraient une interdiction immédiate de certaines substances.

Bart Staes (Verts), un autre signataire de la question orale, a évoqué des "coûts énormes" pour la santé. Selon lui, les scientifiques "sont clairs et nets" en ce qui concerne le danger des perturbateurs endocriniens, en référence à l’étude citée par le Monde. Bart Staes a dénoncé du "lobbying jusqu’aux plus hauts niveaux de la Commission". Il a reproché à la Commission de ne pas tenir ses engagements et de tolérer que les scientifiques soient "influencés" par l’industrie. "La santé doit passer devant les intérêts des industriels", a-t-il fustigé.

Piernicola Pedicini (EFDD) a estimé que la DG Sanco et de l’EFSA devraient être mises en cause car ces institutions n’auraient pas agi en faveur de la protection de la santé des citoyens. "Nous avons décidé d’appuyer la Suède dans sa plainte contre la Commission", a-t-il encore dit.