Le 2 avril 2015, la Chambre des salariés (CSL) a présenté son Panorama social 2015, une publication annuelle qui offre une vision panoramique de la situation socioéconomique du Luxembourg.
Le rapport que Sylvain Hoffmann, directeur adjoint de la CSL, a présenté porte sur les inégalités et la pauvreté, sur le chômage et l’emploi et sur les conditions et la qualité de l’emploi, avec un focus sur le logement et le volet social de la procédure de déséquilibre macroéconomique. Le Panorama social en est à sa cinquième édition.
"Chaque année, on fait le même constat, le taux de risque de pauvreté et les inégalités augmentent, le chômage est à la hausse, et il n’y a pas d’amélioration en matière de qualité de l’emploi". Le verdict de la Chambre des salariés est dur, et son président, Jean-Claude Reding, y note des évolutions qui devraient être prises en compte au niveau politique, car il faut faire cesser ces tendances. Son message est donc très proche de celui formulé par les syndicats quelques jours auparavant dans le cadre du dialogue sur le semestre européen : ce sont les questions du chômage, de la pauvreté et des inégalités qui devraient être les priorités du Luxembourg dans son prochain Programme national de réforme (PNR).
La première leçon que Jean-Claude Reding tire de ce rapport, c’est l’importance que revêtent les transferts sociaux.
En effet, dans le tableau esquissé par la CSL, si le Luxembourg reste l’un des pays les plus riches, le taux de risque de pauvreté y a connu une des hausses les plus franches des pays de la zone euro ces dernières années. Tant et si bien que le Luxembourg a désormais rejoint la moyenne européenne. Les ménages avec enfants sont les plus exposés à un risque de pauvreté. Et les populations les plus touchées sont sans conteste les familles monoparentales, dont le taux de risque de pauvreté est l’un des plus forts d’Europe, et les chômeurs, dont plus de la moitié se retrouve en-dessous du seuil du risque de pauvreté.
Or, selon l’analyse de la CSL, les transferts sociaux ont joué un grand rôle en réduisant le taux de risque de pauvreté de plus de 45 % en 2013, un chiffre qui est bien au-dessus de la moyenne européenne. Cela témoigne de la bonne performance des transferts sociaux, mais la CSL note aussi que les transferts sociaux ont joué un rôle encore plus grand depuis la crise, sans pour autant qu’ils suffisent à diminuer la tendance à la hausse du risque de pauvreté.
Le Luxembourg se démarque par ailleurs du fait que son taux de risque de pauvreté chez les travailleurs est parmi les plus élevés de l’UE. Ce qui pousse Jean-Claude Reding à plaider, comme les syndicats, pour une réforme structurelle du SSM qui serait selon lui justifiée. Avec le salaire minimum luxembourgeois (SSM), un travailleur se trouve en effet juste au-dessus du seuil du risque de pauvreté. Et si l’on tient compte de son salaire net, il se retrouve en-dessous. Selon les estimations de la CSL, il faudrait une hausse du SSM de 11 % pour corriger ce problème, ce qui correspond peu ou prou à la hausse revendiquée par les syndicats.
Autre problème récurrent mis en exergue par le président de la CSL, la question du logement, qui a tendance à peser sur les inégalités. Sylvain Hoffmann s’est en effet attaché à montrer l’écart entre le taux de risque de pauvreté des propriétaires et des locataires, qui était de plus de 24 % en 2013, soit l’un des écarts les plus forts de l’UE. Une tendance renforcée par le fait que ce sont aussi les locataires qui sont le plus exposés à des problèmes de vétusté de leur logement.
Jean-Claude Reding trouve par ailleurs dans la lecture du panorama social un argument de plus pour demander une réforme fiscale qui puisse soulager les ménages à revenus faibles et moyens.
En effet, dans le tableau des inégalités dressé par la CSL, le Luxembourg se caractérise par la très faible part qu’occupe la part salariale dans le PIB par comparaison avec ses voisins européens. Et si son évolution a connu une hausse au plus fort de la crise, cette part a ensuite nettement chuté. Et la faible tendance à la hausse observée en 2013 s’explique selon Sylvain Hoffmann par les nombreuses primes de départ octroyées cette année-là.
Plus largement, les ratios des personnes les plus riches et ceux des plus pauvres continuent leur progression, tandis que le coefficient de Gini est lui aussi à la hausse, traduisant une répartition globale des revenus de plus en plus inégalitaire.
Or, le système d’imposition renforce encore ces inégalités en pesant plus fortement sur les niveaux de revenus intermédiaires que sur les hauts revenus, argue la CSL. Les auteurs du Panorama social ne perdent pas non plus de vue que les revenus du travail sont aussi plus fortement imposés que ceux provenant du capital. Sans compter que le barème d’imposition n’est plus adapté à l’inflation, ce qui impacte particulièrement les ménages ayant les revenus les plus faibles. Ce sont d’ailleurs les mêmes qui connaissent une évolution plus lente de leur salaire, fait ressortir la CSL.
En ce qui concerne le chômage, le rapport de la CSL pointe une hausse continue du taux de chômage.
Partout dans l’UE et au Luxembourg, l’accent est mis sur le chômage des jeunes. Or, s’il paraît élevé au Luxembourg, avec un taux de 24 % pour 2014, selon des données provisoires qui restent à confirmer, il ne faut pas perdre de vue qu’il est calculé proportionnellement à la part de la population active des jeunes de moins de 25 ans, qui est assez réduite. Le taux de jeunes NEET (pour "not in employment, education or training"), que la CSL juge plus disant, est lui parmi les plus bas de l’UE, autour de 5 %.
Pour Jean-Claude Reding, le passage de la formation à la vie active se passe plutôt bien par rapport à la moyenne européenne. Le problème des jeunes en matière d’emploi, c’est plus celui de la précarisation de leurs conditions de travail, note Jean-Claude Reding qui estime que la situation s’est dégradée du point de vue des perspectives. Ce sont en effet les jeunes qui sont concernés au premier chef par la hausse impressionnante (+126 % en 10 ans) de la part des salariés en emploi temporaire, qui reste toutefois en dessous de la moyenne européenne.
Ce qui est le plus "effrayant" aux yeux de Jean-Claude Reding, c’est toutefois la hausse du chômage des séniors, et parallèlement, la hausse du chômage de longue durée, voire de très longue durée. Cette nouvelle catégorie, qui compte les demandeurs d’emploi inscrits au chômage depuis au moins deux ans, ne cesse d’enfler, pour atteindre en 2014 26,8 % des inscrits à l’ADEM (contre 16,7 % en 2009). 40 % des chômeurs sont inscrits à l’ADEM depuis plus d’un an, ce qui implique une précarisation accrue des chômeurs : plus de la moitié des chômeurs se retrouvent ainsi sans indemnité de chômage. Un chiffre qui laisse la CSL perplexe devant les affirmations de la Commission et du patronat appelant à lutter contre les pièges à l’inactivité que représentent certaines prestations sociales. Or, les personnes de plus de 50 ans représentent 65,7 % des chômeurs de longue durée en 2014, contre 56,5 % en 2006. Il faut améliorer le reclassement, renforcer les droits des seniors et mettre en place une meilleure politique de maintien dans l’emploi, plaide Jean-Claude Reding.