La Commission européenne a adopté le 19 mai 2015 son "programme pour une meilleure réglementation" qui touche notamment le "programme pour une réglementation affûtée et performante" dit REFIT et prévoit également un nouvel accord interinstitutionnel relatif à l'amélioration de la réglementation qui viendrait compléter les accords existants entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission concernant leurs méthodes de travail communes. Les propositions et les documents de la Commission sont directement accessibles sur une page spéciale de son site Internet.
Le paquet de réformes proposé par la Commission porte sur l'ensemble du cycle d'élaboration des politiques. Il est censé renforcer l'accessibilité et la transparence du processus décisionnel de l'UE, améliorer la qualité de la nouvelle législation "grâce à de meilleures analyses d'impact des projets d'actes législatifs et des modifications proposées" et promouvoir "un réexamen permanent et cohérent de la législation existante de l'UE, de sorte que les politiques de l'Union atteignent leurs objectifs de la manière la plus efficace et la plus efficiente possible".
Frans Timmermans, premier vice-président de la Commission, a déclaré lors d'un point de presse à Strasbourg que "70 % des Européens perçoivent la législation européenne comme trop lourde, trop compliquée". La Commission "est déterminée à changer à la fois ce que fait l'Union européenne, et la manière dont elle le fait. Une meilleure régulation est donc une de nos priorités", a-t-il ajouté. Il faut "revoir la logique" qui consiste à dire que "s'il y a un problème, c'est par définition l'Europe qui doit apporter une solution, et que la seule solution possible, c'est de légiférer".
La Commission est selon lui "à l'écoute des préoccupations des citoyens et des entreprises - en particulier des PME - qui s'inquiètent de ce que Bruxelles et ses institutions établissent des règles qu'ils ne sont pas toujours en mesure de comprendre ou d'appliquer." Pour lui, il s'agit de "restaurer leur confiance dans la capacité de l'UE à élaborer une législation de qualité."
Se défendant contre le reproche que la Commission veut dérèglementer, une critique qui fuse régulièrement depuis le lancement du programme REFIT en 2012, Frans Timmermans a déclaré qu'il "ne s'agit pas d'augmenter ou de réduire la quantité de règles de l'UE, ni de revoir à la baisse nos normes sociales et environnementales, de compromettre notre santé ou de mettre en péril nos droits fondamentaux. Il s'agit de veiller à réaliser de la manière la plus efficiente possible les objectifs ambitieux que nous nous sommes fixés."
Il prône "une analyse rigoureuse des incidences de la législation en cours d'élaboration, et notamment de toute modification substantielle apportée au cours du processus législatif, de sorte que les décisions politiques soient prises en connaissance de cause et sur la base d'éléments concrets".
Et d'expliquer : "Si la tendance naturelle des responsables politiques est de se concentrer sur de nouvelles initiatives, il nous faut cependant accorder au moins autant d'attention au réexamen de la législation existante afin de déterminer ce qui peut être amélioré ou simplifié. Nous devons être honnêtes sur les mesures qui sont efficaces et sur celles qui ne fonctionnent pas. Les décisions prises par les institutions de l'UE nous concernent tous ; nous présentons donc des mesures qui ouvriront le processus décisionnel de l'UE en renforçant la transparence et le contrôle et en donnant aux personnes intéressées davantage l'occasion de s'exprimer."
S'il devait être accepté, le train de mesures pour l'amélioration de la réglementation serait directement mis en œuvre par la Commission dans le cadre de son travail d'élaboration et d'évaluation de la législation ainsi que de sa coopération avec le Parlement européen et le Conseil.
Pour y arriver, la Commission doit entamer des négociations avec le Parlement et le Conseil au sujet d'un nouvel accord interinstitutionnel relatif à l'amélioration de la réglementation.
Dans sa communication, la Commission dit vouloir "ouvrir son processus d'élaboration des politiques afin de favoriser l'examen de ses initiatives par le public et permettre à celui-ci d'y apporter sa contribution".
Elle veut créer à cet effet un portail internet permettant de suivre les initiatives et de participer aux nouvelles consultations publiques lorsqu'elle procédera à l'évaluation des politiques existantes ou analysera de nouvelles propositions.
Selon elle, "les parties intéressées bénéficieront de nouvelles possibilités de faire des commentaires tout au long du cycle décisionnel, allant de la feuille de route initiale à la proposition finale de la Commission." Après l'adoption d'une proposition par la Commission, tout citoyen ou toute partie intéressée devrait, propose-telle, "disposer de huit semaines pour transmettre des commentaires ou des suggestions qui alimenteront le débat législatif au Parlement et au Conseil."
Elle veut également appliquer "cette approche transparente (…) à la législation dérivée, c'est-à-dire aux actes délégués et aux actes d'exécution".
Finalement, elle veut rendre publics quatre semaines avant leur adoption les projets de mesures modifiant ou complétant la législation existante, ou établissant des dispositions techniques spécifiques, une première qu'elle met en exergue. "Les parties intéressées pourront ainsi faire des commentaires avant l'adoption de ces mesures par la Commission ou par des experts des États membres", dit-elle.
Le "programme pour une réglementation affûtée et performante" appelé REFIT, qui "analyse le corpus législatif actuel de l'UE en vue d'en accroître l'efficacité et l'efficience sans pour autant compromettre les objectifs fixés en matière de politiques à suivre", sera renforcé.
Il sera selon la Commission plus ciblé, examinera les principales sources d'inefficacité et de charges inutiles et s'attachera à quantifier autant que possible les coûts et les bénéfices des actions. La Commission a déclaré travailler "déjà activement à la réduction des charges dans des domaines tels que la TVA, les marchés publics, les statistiques commerciales et la chimie". Par ailleurs, des évaluations complètes d'autres secteurs sont en cours. REFIT constituera désormais un élément essentiel du programme de travail annuel de la Commission et du dialogue politique que celle-ci mène avec les autres institutions.
La Commission veut créer "une plateforme permanente et inclusive visant à susciter un dialogue avec les parties intéressées et les États membres afin d'améliorer la législation de l'UE dans le contexte de REFIT". Elle propose que cette plateforme réunisse des experts de haut niveau issus d'entreprises, de la société civile, des partenaires sociaux, du Comité économique et social européen, du Comité des régions et des États membres. Elle est supposée recueillir des propositions de terrain pour réduire la charge réglementaire et administrative et présentera des idées concrètes. La Commission réagirait ensuite à toutes les propositions et expliquerait systématiquement la suite qu'elle entend leur réserver. Dans sa proposition, la Commission "renouvelle son engagement à prendre connaissance à tout moment de l'avis de toute partie intéressée, au moyen d'un outil en ligne intitulé 'Aidez-nous à réduire les formalités - Donnez votre avis!'".
La Commission a également déclaré vouloir renforcer "son approche en matière d'analyses d'impact et d'évaluations afin d'améliorer les éléments factuels qui sous-tendent toutes les initiatives législatives, sans préjudice des décisions politiques". En particulier, le comité d'analyse d'impact, en exercice depuis 2006, sera transformé en comité indépendant d'examen de la réglementation. Ses membres se verront accorder un statut plus indépendant et la moitié d'entre eux seront recrutés en dehors de la Commission. Le rôle du comité sera élargi au contrôle de la qualité des analyses d'impact des nouvelles propositions ainsi qu'à la réalisation de bilans de qualité et d'évaluations de la législation existante.
La Commission propose en outre que des analyses d'impact soient effectuées tout au long du processus législatif et non pas uniquement lorsqu'elle élabore sa proposition. Elle invite le Parlement et le Conseil à effectuer eux aussi des analyses d'impact pour toutes les modifications substantielles qu'ils proposent au cours du processus législatif. Un groupe d'experts technique ad hoc et indépendant peut être mis sur pied à la demande du Parlement, du Conseil ou de la Commission afin d'analyser si une proposition modifiée peut être mise en pratique, si elle crée des droits et des obligations compréhensibles pour les parties intéressées et si elle évite des coûts disproportionnés. Cette analyse devrait être menée à bien et rendue publique dans un délai raisonnable pour permettre d'éclairer le processus de prise de décisions politiques.
"L'amélioration de la réglementation ne peut porter ses fruits que si elle constitue un engagement conjoint de la Commission, du Conseil et du Parlement européen", estime la Commission. C'est pourquoi elle soumet au Parlement et au Conseil une proposition de nouvel accord interinstitutionnel pour lequel "elle vise un accord avant la fin de 2015".
Ce projet de nouvel accord interinstitutionnel propose
Dans un Mémo qui répond à de très nombreuses questions, la Commission invoque entre autres les élections européennes de 2014 qui "ont montré que de nombreux citoyens s'inquiètent de ce qu'ils ressentent comme un niveau indésirable d'intervention de l'UE dans leur vie quotidienne." Et elle ajoute : " Si ce sentiment est en partie imputable à une méconnaissance de l'action réelle de l'UE et aux mythes qui y sont associés, nous devons aussi faire notre autocritique et nous demander si l'UE n'a agi que lorsqu'elle pouvait apporter une valeur ajoutée aux initiatives nationales. C'est la raison pour laquelle le président Juncker s'est engagé à mettre en œuvre un programme visant à améliorer la réglementation et a nommé au sein de la nouvelle Commission un premier vice-président chargé de l'amélioration de la réglementation."
Les orientations politiques du président Juncker, sur la base desquelles le Parlement a élu la Commission, traduisent par conséquent "une volonté de s'engager en faveur de l'amélioration de la réglementation." Dans son programme de travail 2015, la Commission s'est engagée à présenter une proposition de nouvel accord interinstitutionnel en vue de mettre à jour et de renforcer la convention d'entente conclue avec le Parlement européen et le Conseil au sujet de l'amélioration de la réglementation.
La Commission va maintenant entamer les négociations avec le Parlement et le Conseil sur sa proposition d'accord interinstitutionnel, dans le but de conclure les négociations d'ici la fin de 2015.
La procédure de recrutement des membres externes du comité d'examen de la réglementation et de la plateforme REFIT sera lancée d'ici la fin du mois de juin. La mise à jour des plateformes en ligne existantes et la création de nouveaux sites internet seront achevées d'ici la fin de l'année.
Le groupe PPE a salué le "programme pour une meilleure réglementation" de la Commission et met en avant le rôle des Etats membres pour réduire les formalités administratives, rôle qu'ils négligent selon l'eurodéputé allemand Markus Pieper, porte-parole du groupe pour les questions touchant aux PME, en ne recourant pas à leur droit de se plaindre de législations contraires au principe de subsidiarité. Markus Pieper a notamment loué l'instauration d'un comité indépendant pour examiner la législation, mais estime que ce ne s'est qu'un début, car le PPE veut une plate-forme à 100 % indépendante pour évaluer les nouvelles propositions législatives, à l'instar de modèles allemands et britanniques notamment. Il estime aussi que le trilogue sera plus formel, plus transparent et plus démocratique, ce qui profitera à la crédibilité du processus législatif. Dans un communiqué paru le 18 mai, le même Markus Pieper avait estimé que le congé de maternité, le cadre règlementaire sur les produits chimiques REACH - qui selon lui exigent trop de formalités aux PME - ou la législation sur les tachygraphes dans les camions étaient des exemples de solutions qui n'ont pas suivi "la règle d'être le plus près possible du citoyen".
Le groupe S&D, famille politique du commissaire Timmermans, a lui aussi salué, mais de manière plus mitigée, la proposition de la Commission. "Une meilleure réglementation ne devrait pas devenir un prétexte pour déréguler encore plus", a-t-il mis en garde. Le vice-président du groupe S&D, l'Espagnol Enrique Guerrero Salom, a promis de négocier avec les autres groupes du Parlement européen et les autres institutions européennes "en gardant à l'esprit que 'mieux légiférer' signifie parfois 'moins légiférer' et souvent 'légiférer davantage'". Pour le Britannique Richard Corbett, le groupe S&D sera attentif à éviter que les mesures proposées ne permettent in fine d'"exempter les entreprises de leurs obligations vis-à-vis des travailleurs, des consommateurs et de l'environnement". En clair, le comité indépendant "ne devrait pas seulement scruter les frais qu'une nouvelle législation entraînerait pour les entreprises, mais aussi les coûts que le fait de ne pas légiférer pourrait entraîner pour les services de santé, les consommateurs, les droits des travailleurs et l'environnement".
Guy Verhofstadt, président du groupe libéral ADLE, a quant à lui défendu le programme de la Commission : "Mieux légiférer signifie souvent 'faire des choses au niveau européen'. Il vaut mieux disposer d'une règle européenne claire que de laisser coexister 28 systèmes différents créant des obstacles bureaucratiques pour nos entreprises, nos citoyens et nos chercheurs". Donc, "mieux vaut 1 que 28", a-t-il conclu. Comme l'a fait Markus Pieper du PPE, le Tchèque Pavel Telicka, vice-président de l'ADLE et ancien membre du groupe Stoiber, groupe de haut niveau sur la réduction des charges administratives, a insisté sur le fait que "pour mettre un terme définitif à la "surréglementation" superflue, il revient aux États membres de l'Union européenne d'indiquer quelle partie d'une nouvelle loi relève de la législation européenne et celle qui a été ajoutée par le gouvernement national." Là aussi, une référence claire au modèle britannique : "L'ADLE invite par ailleurs la Commission à évaluer l'exemple britannique qui consiste à mettre en œuvre le principe 'one-in, one-out' d'une réglementation et à déterminer s'il pourrait s'appliquer au niveau européen."
Gabi Zimmer, qui préside le groupe de gauche GUE/NGL, dénonce la volonté de la Commission de s'arroger le droit que ses fonctionnaires et des comptables prennent des décisions politiques et décident par eux-mêmes si une législation démocratiquement votée est oui ou non efficace dans le cadre du marché unique, et "non les représentants démocratiquement élus de l'UE". Et de critiquer la possibilité que par exemple la directive sur le congé de maternité puisse être retirée du rôle législatif. L'expérience montre selon elle que les experts indépendants sont "plus experts en matière de coûts pour les entreprises qu'en matière de bénéfices pour la société toute entière". La politique de la Commission en faveur des PME risque de miner la santé et la sécurité au travail des salariés de ce secteur, craint-elle.
Quant aux Verts européens, ils estiment que le "programme pour une meilleure réglementation" de la Commission est "une manière de faire passer un agenda néolibéral sous prétexte de réduction de la bureaucratie". Le co-président du groupe des Verts/ALE, le Belge Philippe Lamberts, craint "un contrôle majeur du processus législatif, une diminution de la réglementation" et une augmentation de la bureaucratie en raison de "la multiplication des évaluations d'impact à tous les niveaux du processus législatif". Ces évaluations seraient bienvenues si elles prenaient davantage en compte les considérations sociales et environnementales, a- t-il estimé, critiquant la Commission pour son approche "strictement quantitative d'évaluation des coûts". Pour l'eurodéputé luxembourgeois Claude Turmes, "le paquet de mesures de la Commission Juncker est totalement inacceptable, car il renforce l'influence des lobbies de l'industrie et des secteurs économiques et restreignent les droits des parlementaires nationaux et européens" en donnant plus de pouvoirs aux premiers d'intervenir dans le processus législatif. Pour Claude Turmes, "l'actuel président de la Commission Jean-Claude Juncker se révèle ainsi encore plus néolibéral que son prédécesseur José Manuel Barroso". Les changements prônés par la Commission alièneront selon lui encore plus les citoyens aux processus de décision de l'UE.