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Parlement européen - Traités et Affaires institutionnelles
La Commission européenne a présenté son programme de travail devant un Parlement européen où les réactions ont été mitigées
16-12-2014


pe-com-juncker-timmermans-141216La Commission européenne a adopté le 16 décembre 2014 son programme de travail pour 2015, dans laquelle elle expose les mesures qu'elle a l'intention de prendre au cours des 12 prochains mois pour induire des changements en matière d'emploi, de croissance et d'investissement et offrir des avantages tangibles aux citoyens. Elle l’a présenté dans la foulée devant le Parlement européen.

Comme l’a expliqué Jean-Claude Juncker devant la plénière du Parlement, ce programme de travail pour 2015 prévoit:

  • 23 nouvelles initiatives, conformément aux orientations politiques présentées au Parlement européen, et pas 130 initiatives par an, comme c’était le cas avec les Commissions précédentes ;
  • une proposition de retrait ou de modification de 80 propositions existantes, et ce pour des raisons politiques ou techniques.

Le programme de travail présente des actions ciblées que la Commission mettra en œuvre en 2015. La Commission continuera, en outre, dans de nombreux domaines, à tout mettre en œuvre pour faire en sorte que les politiques et les règles actuelles soient adaptées aux besoins, donnent des résultats concrets sur le terrain et soient correctement appliquées.

23 nouvelles initiatives pour faire la différence

Le programme expose les 23 initiatives que la Commission s'engage politiquement à mettre en œuvre en 2015. Cette liste des tâches à accomplir en douze mois met l'accent sur les "grands enjeux" que sont notamment l'emploi, la croissance et l'investissement, conformément aux dix priorités exposées par le président Juncker dans ses orientations politiques.

La Commission s'est notamment engagée à mettre en œuvre en 2015:

  • Un plan d’investissement pour l’Europe: c’est le prolongement législatif du plan annoncé le mois dernier, qui débloque un investissement public et privé dans l'économie réelle d'au moins 315 milliards d'euros sur les trois prochaines années.
  • Un ensemble de mesures sur le marché unique numérique: il s’agit de créer les conditions propices à une économie et une société numériques dynamiques en complétant l'environnement réglementaire des télécommunications, en modernisant les règles relatives au droit d'auteur, en simplifiant les règles pour les consommateurs effectuant des achats en ligne et numériques, en améliorant la cybersécurité et en accordant une place centrale à la numérisation.
  • Les premières mesures en vue de la création d'une Union européenne de l’énergie: elles sont destinées à assurer la sécurité de l'approvisionnement énergétique, poursuivre l'intégration des marchés nationaux de l'énergie, réduire la demande énergétique européenne et "décarboniser" le bouquet énergétique.
  • Une approche de la fiscalité plus équitable: il s’agit d’adopter un plan d'action sur les efforts de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, notamment des mesures au niveau de l'UE pour passer à un système d'imposition des bénéfices dans le pays où ils sont générés; procéder à un échange automatique d'informations sur les décisions anticipatives en matière fiscale et stabiliser l'assiette de l’impôt sur les sociétés. Lorsque Jean-Claude Juncker a annoncé ces mesures à la plénière du Parlement européen, il a été fortement applaudi.
  • Un programme européen pour les migrations: en vue d’élaborer une nouvelle approche sur les migrations légales pour faire de l'UE une destination attrayante pour les talents et les compétences et améliorer la gestion des migrations vers l'UE en intensifiant la coopération avec les pays tiers, en renforçant la solidarité entre nos États membres et en amplifiant la lutte contre la traite d'êtres humains.
  • Une union économique et monétaire plus approfondie: afin de poursuivre les efforts visant à promouvoir la stabilité économique et à attirer des investisseurs en Europe.

Appliquer le principe de la "discontinuité politique"

En préparant le programme de travail, la Commission a examiné environ 450 propositions en attente de décision du Parlement européen et du Conseil et propose d'en retirer ou modifier 80.

La suppression de certaines d'entre elles est demandée, car elles ne sont pas compatibles avec les priorités de la nouvelle Commission.

Dans de nombreux cas, cependant, la Commission reste fermement déterminée à atteindre les objectifs fixés. Les propositions ne sont toutefois d'aucune utilité si elles sommeillent à la table des négociations ou si elles en ressortent tellement dénaturées qu'elles ne peuvent plus atteindre leur objectif de départ. À chaque fois que le cas se présentera, la Commission dit vouloir proposer des moyens nouveaux et meilleurs pour faire en sorte que cet objectif soit atteint. Néanmoins, la Commission attendra l'avis du Parlement européen et du Conseil sur ces propositions avant d'officialiser ces retraits.

pe-com-timmermans-141216Certaines propositions de retrait, comme celles sur la taxation de l'énergie et sur la gestion des déchets recyclés dans le cadre du paquet sur l’économie circulaire ont suscité des remous dans les rangs des Verts, comme déjà avant dans plusieurs Etats membres, dont le Luxembourg, qui avaient écrit en conséquence à Jean-Claude Juncker pour en réclamer le maintien. Le vice-président de la Commission, Frans Timmermans, a répondu en annonçant la présentation de "propositions plus ambitieuses dès 2015". Il a expliqué que le Conseil avait "tellement dilué" le texte sur la taxation de l’énergie que son retrait ne fait que sanctionner le fait qu’il "ne correspond plus aux objectifs environnementaux de taxer les carburants en fonction leur contenu énergétique et de leurs émissions de CO2 réels".

Quant à l’économie circulaire, il s’agira de revenir avec une proposition qui aille au-delà du projet existant en incluant la dimension recyclage dans la conception de nouveaux produits et de créer un marché des matières premières secondaires. En attendant la fin de 2015, la Commission favorisera aussi des investissements dans ce secteur à travers le nouveau Fonds européen de l’investissement stratégique. Quant au retrait du projet de directive sur les congés de maternité, qui bénéficiera néanmoins d’un dernier délais de six mois pour essayer de permettre aux institutions de trouver un compromis, Frans Timmermans a mis en avant à la fois les impasses au Conseil et le fait que sous la pression législative de la Commission, de nombreux Etats membres ont amélioré leurs lois dans le sens d’une meilleure protection des femmes qui viennent de donner jour à un enfant.        

Réduire les formalités administratives et supprimer les charges réglementaires

La Commission veut également mieux légiférer, et aura recours à cette fin  au programme pour une réglementation affûtée dit REFIT, "qui vise à réduire les formalités administratives et à supprimer les charges réglementaires, de manière à instaurer un environnement propice à l’investissement".

Le collège des commissaires a recensé toute une série de propositions et d'actes législatifs existants, qui seront réexaminés et modifiés, afin d'en améliorer le fonctionnement, au profit des citoyens et des entreprises de l'Union. Des efforts seront notamment consentis en matière de simplification, par exemple pour ce qui est de la politique agricole commune.

Une approche politique nouvelle du droit d’initiative de la Commission

Tant Jean-Claude Juncker que Frans Timmermans ont insisté sur le fait que c’est la première fois de son histoire que la Commission a œuvré en concertation avec le Parlement européen et les États membres pour recueillir un soutien en faveur de son programme de travail avant de le présenter.

Il en découle une approche politique nouvelle du droit d’initiative : Pour la Commission, les propositions législatives qu’elle produit ne sont utiles que si elles sont adoptées, acceptées et appliquées correctement sur le terrain, et pour que ce soit le cas, l'appui des co-législateurs, Parlement et Etats membres à travers le Conseil, est impératif. Cette approche vaut également pour les retraits des propositions, puisque la Commission attendra l'avis du Parlement européen et du Conseil sur ses propositions de retrait avant de les officialiser.

Le débat

L’eurodéputé hongrois József Szájer a apporté au nom du groupe du Parti populaire européen (PPE, Démocrates-Chrétiens) son soutien au programme de travail de la Commission. Il a approuvé une démarche qui se concentre sur moins de dossiers et qui veut réduire la charge bureaucratique qui grève l’éclosion des marchés du travail, de l’Union de l’énergie et du marché numérique.

Au nom des sociaux-démocrates du S&D, Enrique Guerrero Salom a exprimé la déception de son groupe sur le fait que peu de cas est fait du chômage des jeunes. D’autres eurodéputés S&D ont exprimé leurs inquiétudes au sujet des plans de la Commission qui visent à changer ou supprimer des lois de l’UE. Leur président, Gianni Pittella, a déclaré : "En cas de changement de procédure, il faut que les objectifs généraux soient respectés, particulièrement en ce qui concerne la directive relative aux congés de maternité et la mise en place d’un système de production à zéro déchet dans le cadre d’une économie dite circulaire. Nous attendons aussi de la Commission qu’elle tienne ses promesses, en 2015, à propos de la qualité de l’air."

Gianni Pittella a, en revanche, salué les propositions sur la fiscalité : "Les S&D ont réalisé leur premier objectif : obtenir, exactement comme nous l’avions demandé, un engagement de la part de Juncker de mettre en œuvre, dans les six mois, des mesures pour lutter contre l'évasion et la fraude fiscales, et de définir des règles européennes qui permettent d’évoluer vers un système où les impôts sont payés dans le pays où les bénéfices sont générés. À présent, nous voulons voir réalisée cette promesse, qui constitue une excellente nouvelle, très concrète. Dans cet esprit, nous saluons la confirmation de l’échange automatique d’informations entre autorités fiscales, en matière de rulings fiscaux transfrontières. Par ailleurs, nous pousserons activement la Commission à définir des critères européens communs pour lutter contre les paradis fiscaux."

La porte-parole des conservateurs de l’ECR, Vicky Ford, est intervenue sous la devise : "L’économie d’abord !" Tout projet de la Commission doit être scruté selon le critère : rendra-t-il les affaires plus faciles ou plus difficiles. C’est là que l’UE a selon elle le plus souvent pêché et jugulé la croissance des PME et de l’innovation vers qui les investissements doivent aller. Elle a lancé un appel vibrant à la conclusion du TTIP avec les USA dont la non-signature laisserait l’Europe en rade. La crise des dettes publiques est loin d’être finie, a-t-elle estimé. La stabilité budgétaire et les réformes structurelles demeurent de mise. Cela vaut selon elle également pour le budget de l’UE qui devrait éviter tout gâchis. Un point particulier a été soulevé par la députée conservatrice : l’immigration, qui "inquiète les peuples d’Europe" du fait que les pouvoirs publics semblent dépassés, et qui appelle à ce que l’UE s’occupe des causes des migrations dans les pays tiers et "mette fin aux abus des systèmes de migration au sein de l’UE et en provenance de l’extérieur".      

Sophie In't Veld est intervenue au nom des libéraux de l’ALDE en critiquant ce qu’elle appelle "l’agenda de la dérégulation de la Commission". Selon elle, plutôt que "d’y aller carrément avec la hache", il faut "élaguer de manière intelligente". Si elle approuve que la Commission se concentre sur les grands thèmes, elle regrette que la directive sur la lutte contre la discrimination et des propositions sur l’accès aux documents soient passées à la trappe de REFIT. Elle a aussi critiqué le retrait des propositions sur les déchets et l’air pur. Autre grand regret : que le programme de travail ne propose pas d’instrument pour gérer les problèmes de démocratie et d’Etat de droit au sein de l’UE. La députée libérale récuse la logique que des dossiers soient retirés "juste parce que les Etats membres n’ont pas su prendre leurs responsabilités et que le Conseil est paralysé." Et de conclure : "Si cette approche était la règle, de nombreuses législations qui ont amélioré la vie des citoyens de l’UE n’existeraient pas aujourd’hui". Elle a cité pour exemple les règles contraignantes qui gèrent la zone euro, le brevet européen, la directive sur les sacs en plastique ou le régime d’asile commun de l’UE

Philippe Lamberts a, au nom des Verts européens, estimé que la politique de la Commission ne va pas dans la bonne direction. Selon lui, la gouvernance économique doit être revue, car le Semestre européen est d’abord utilisé pour mettre les travailleurs, et surtout les plus précaires, en concurrence. Par ailleurs, les documents qui sont à la base du processus et qui débouchent sur des recommandations aux Etats membres et des mesures dans les pays ne sont soumis à aucun contrôle démocratique, mais sont issus d’un accord entre Commission et Etats membres après des rencontres d’experts. A la fin, personne n’assume la responsabilité politique du résultat. Un autre danger est que l’idée de "mieux légiférer" peut déboucher sur de la dérégulation, et REFIT a jusque-là servi à affaiblir des mesures sociales dans l’UE. Finalement, la "transition écologique" est perçue comme un fardeau, alors qu’elle constitue une opportunité et permet d’établir l’UE comme leader de la troisième révolution industrielle qui est en cours. Pour Philippe Lamberts, la politique de l’UE a depuis le début de la crise seulement profité à 1 ou 2 % des citoyens, donc à une minorité, et cela doit cesser.

L’eurodéputé vert luxembourgeois Claude Turmes a, quant à lui, réitéré son opposition au retrait des paquets "air pur" et "économie circulaire", des propositions de l’ancienne Commission à fort potentiel selon le député, et que Conseil et Parlement pourraient amender et améliorer sans qu’ils ne soient retirés pour autant.

Dans sa réponse aux députés, le vice-président de la Commission, Frans Timmermans, a réitéré l’engagement de la Commission que les grands projets législatifs retirés mais dont les objectifs sont en accord avec le potentiel du plan Juncker seront remis sur le métier sous une autre forme et de manière plus ambitieuse. Il a par ailleurs mis en avant "l’extrême importance pe-com-juncker-141216des questions sociales" pour la Commission. Elle s’attaquera à la question de la mobilité des travailleurs dans l’UE, aux abus existants et favorisera l’accès à l’emploi des travailleurs dans d’autres pays que le leur. La révision de la directive "Détachement" doit donc aller de l’avant, notamment pour éviter le dumping social, par exemple dans le domaine des transports, où, selon Frans Timmermans, "la souffrance est grande". Quant à l’autolimitation de la Commission, il n’a pas nié qu’il y a beaucoup de dossiers importants qu’elle pourrait traiter, mais "l’UE ne peut pas jouer sur tout et les Etats membres doivent également agir".

Jean-Claude Juncker s’est déclaré frustré de la méthode dont le plan de travail de la Commission a été discuté au Parlement et appelé à changer les choses. Aux députés qui ont critiqué les retraits de projets, il a expliqué que la Commission avait retiré tous les projets législatifs rejetés par le Parlement, comme ACTA ou les services au sol, et qu’il aurait voulu voir les réactions si la Commission n’avait pas agi ainsi. Il a exhorté le Parlement à aller aussi loin que la Commission en matière de transparence, puisque les commissaires, membres de leurs cabinets et les directeurs généraux devront désormais rendre publics tous leurs contacts avec les groupes de pression.