La commission du commerce international (INTA) du Parlement européen a adopté le 28 mai 2015 un rapport très contesté par la gauche radicale et les Verts par lequel elle exprime sa position sur l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis (TTIP). Le rapport a été voté avec les 28 voix "pour" des députés socialistes, conservateurs et libéraux et 13 voix contre, indique un communiqué du Parlement européen. La gauche radicale et les Verts dénoncent que le texte s’exprime, selon eux, en faveur d’une réforme du mécanisme de règlement entre investisseurs et Etats (RDIE ou ISDS), très critiqué par la société civile comme l’a montré une consultation publique et par certains Etats, dont le Luxembourg, au lieu de demander son exclusion de l’accord, malgré le fait que cinq commissions parlementaires ont voté pour cette exclusion.
Pour rappel, les quatorze commissions parlementaires étaient chargées de rédiger leurs opinions sur le TTIP, qui peuvent être retrouvés dans un autre communiqué du Parlement européen. La commission INTA, en tant que commission "sur le fond", est quant à elle responsable de rédiger les recommandations du Parlement européen. Près de 900 amendements ont été apportés au rapport de Bernd Lange (S&D), président de la commission INTA. Le vote sur le texte en plénière est prévu le 10 juin 2015.
"Nous avons fait comprendre qu’il ne doit pas y avoir de mécanisme ISDS dans le traité", a affirmé Bernd Lange (S&D), rapporteur et président de la commission INTA, à l’issue du vote, s’exprimant en faveur d’une Cour internationale d’arbitrage. "L’ISDS tel qu’on le connaît est mort. Nous ne voulons plus accepter de tribunaux privés", a-t-il ajouté. "Nous avons fait comprendre qu’il faut exclure les services d’intérêt général de l’accord, tel que l’eau ou la santé, et qu’il ne faut pas libéraliser tous les services, mais bien préciser dans quels domaines on peut ouvrir le marché", a-t-il précisé.
Les députés appellent à mettre fin au traitement inégal des investisseurs européens aux États-Unis, en établissant un nouveau système équitable pour les investisseurs afin de "chercher et obtenir réparation".
Ce nouveau système devrait être basé sur le récent "document de réflexion" concernant le système réformé de protection des investisseurs, présenté le 6 mai 2015 par la commissaire européenne au commerce, Cecilia Malmström, devant la commission INTA. Il devrait aussi se baser sur les négociations en cours entre les ministres européens du commerce.
Le système devrait inclure une "solution permanente" avec des juges indépendants et désignés publiquement, des auditions publiques et un "mécanisme de recours", tout en respectant la juridiction des tribunaux de l'UE et de ses États membres. A moyen terme, un tribunal d’investissement public pourrait être utilisé pour régler les litiges des investisseurs, ajoutent les députés. Ils précisent aussi que le droit de réglementer dans l’intérêt public doit être protégé et les plaintes non fondées empêchées.
Les conservateurs du groupe PPE ont salué dans un communiqué le vote comme un "signal positif pour l’emploi et la croissance". Le groupe promet un "soutien fort" aux négociations en cours et dit avoir voté pour une "protection efficace des investissements à l’échelle mondiale". Selon le groupe, l’accord voté indique bien les "intérêts mutuels offensifs et défensifs" qui doivent être mis en balance, sans avoir dressé des lignes rouges "supplémentaires".
Le groupe des socialistes S&D s’est pour sa part félicité d’avoir poussé la commission à voter en faveur d’une forte protection des normes relatives au travail, à l’environnement et aux tribunaux publics à la place du mécanisme ISDS. "Nous envoyons aujourd’hui explicitement le message que le TTIP n’a pas besoin de l'ISDS, que la ratification des normes de l’Organisation internationale du travail (OIT) est importante, et que l’exclusion totale des services publics passe avant tout", a déclaré le député britannique David Martin, qui ajoute que "nous indiquons clairement à la Commission que la définition de normes strictes et contraignantes, et la fin des tribunaux secrets pour investisseurs, constituent des éléments essentiels de tout accord commercial UE-USA".
L’eurodéputée britannique Emma McClarkin (ECR) a estimé que le Parlement européen envoie un "message fort", en se félicitant du fait que le rapport "ne définit pas de lignes rouges sur l’ISDS à ce stade précoce". Elle a dit avoir soutenu le rejet d’un amendement sur l’exclusion de l’ISDS du TTIP proposé par la gauche, car elle estime que "les investisseurs européens doivent être capables d’assurer un traitement non discriminatoire dans les Etats-Unis". La députée estime que l’ISDS doit être réformée et qu’il faut donner une chance à cette réforme.
Pour Marietje Schaake, rapporteur fictif de l'ALDE, le vote représente une "étape importante" qui "permettra de renforcer la position de négociation de la Commission européenne", indique un communiqué. Elle appelle les Etats-Unis à présenter des positions afin de "de résoudre la situation inéquitable et protectionniste, empêchant les entreprises européennes de travailler aux États-Unis". Elle se félicite du fait que le rapport exclut certaines normes européennes telles que les services publics, l’éducation ou l’eau potable.
Pour la gauche du GUE/NGL, les compromis votés entre les conservateurs, les socialistes et les libéraux "ignorent" les préoccupations profondes du public. "La plupart des gens en dehors de cette salle de commission rejettent l’ISDS, mais les députés qui sont pour pensent qu’ils savent mieux", a critiqué l’Allemand Helmut Scholz dans un communiqué. Il a jugé "arrogant" le fait que la commission a rejeté et "ignoré" cinq amendements présentés par d’autres commissions contre l’ISDS, tout comme l’avis de "1,9 millions de personnes qui ont signé une pétition contre l’ISDS". La députée Anne-Marie Mineur s’est dite "indignée" que des groupes politiques "sont prêts à sacrifier le contrôle parlementaire" sur la future législation de l’UE et des Etats membres ainsi que la démocratie parlementaire pour les "avantages promis du libre-échange". La députée Eleonora Forenza a jugé que le TTIP ne va pas créer de l’emploi mais risque d’en détruire un million.
L’eurodéputé vert français Yannick Jadot, qui est également vice-président de la commission INTA, a déploré "le reniement du groupe socialiste" sur l’ISDS. Le groupe socialiste au Parlement "considérait jusqu'à maintenant (l'ISDS) inacceptable entre deux continents démocratiques munis de systèmes juridiques indépendants et performants", a-t-il souligné, ajoutant que cinq commissions (Emploi, Environnement, Affaires juridiques, Affaires constitutionnelles et Pétitions) ont voté le rejet de l’ISDS. "Il est regrettable que l'arrangement de grande coalition entre socialistes et conservateurs prime une nouvelle fois sur la défense de la démocratie, de l'intérêt général, des citoyens, des salariés et des consommateurs européens qui rejettent massivement ce mécanisme pensé par et pour les grandes firmes", a-t-il insisté, en dénonçant un "dispositif pervers" et une "une atteinte directe au fonctionnement démocratique". Il a encore reproché à la Commission de "reculer" sur la protection de la santé et de l’environnement aux "bénéfices des lobbys américains qui ne veulent pas de ces réglementations en Europe", en citant notamment l’exemple des perturbateurs endocriniens.
De manière générale, les députés affirment dans le rapport qu’un accord "bien conçu" avec les États-Unis pourrait accroître la contribution du secteur au PIB de l’UE de 15-20 % d’ici 2020. Les entreprises européennes, en particulier les PME et les microentreprises, bénéficieraient donc d’un marché de 850 millions de consommateurs, note le texte qui souligne la nécessité de parvenir à un accord "ambitieux" mais "équilibré", avec des bénéficies partagés entre États membres, pour arriver à un "environnement économique efficace et propice à la concurrence" et pour empêcher les barrières commerciales non tarifaires. Un niveau de protection élevé des consommateurs européens, de leurs données, de la santé et de la sécurité doit être garanti. De même, il faut empêcher le dumping social, fiscal et environnemental, précisent les députés. Un accord entre les deux plus grands blocs économiques mondiaux, qui "partagent et défendent" déjà des principes et valeurs similaires, a le potentiel d’établir des normes mondiales et d’éviter que des pays "ayant d'autres normes et d'autres valeurs" ne doivent assumer ce rôle, affirment encore les députés.
Les députés réaffirment également leur volonté d'exclure les services publics du champ d'application du TTIP (y compris, mais sans s'y limiter, l'eau, la santé, les services sociaux, les systèmes de sécurité sociale et l'éducation).
Les députés souhaitent que les États-Unis ratifient, appliquent et fassent respecter les huit conventions fondamentales de l'Organisation internationale du Travail, dont ils n’ont jusqu'ici ratifié que deux.
Les négociateurs doivent essayer d’éliminer les procédures excessives de contrôle des importations pour des motifs de santé alimentaire et phytosanitaire, affirment les députés. Parallèlement, les normes de l’UE devraient être garanties dans des domaines où celles des États-Unis sont "très différentes", par exemple concernant l’autorisation des produits chimiques, le clonage ou les perturbateurs endocriniens. Le "principe de précaution" de l’UE doit être respecté, ajoutent les parlementaires.
Un accord sur le TTIP devrait exempter explicitement de toute concession l’ensemble des dispositions européennes existantes et futures sur la protection des données à caractère personnel, affirment les députés. Les dispositions relatives à la circulation des données personnelles pourraient être négociées avec les États-Unis seulement si les mêmes règles de protection des données sont appliquées "des deux côtés de l'Atlantique", ajoutent-ils.
Les députés demandent une "liste exhaustive" des "produits agricoles et industriels sensibles" qui pourraient soit être exemptés de la libéralisation des échanges, soit être soumis à des périodes de transition plus longues. Ils appellent la Commission à encourager les États-Unis à lever l’interdiction sur les importations de bœuf de l’UE et à inclure un niveau de protection élevé pour le système d’indication géographique de l’UE.
Le TTIP devrait abolir "toute restriction ou contrainte existante sur les exportations de combustibles, notamment de gaz naturel liquéfié (GNL) et de pétrole brut" entre l’UE et les États-Unis. L’objectif est que l’accord renforce la sécurité énergétique de l’UE et réduise le prix de l’énergie, expliquent les députés.
Les députés appellent à supprimer les restrictions actuelles des États-Unis sur la propriété étrangère de services de transport maritime et aérien et de compagnies aériennes, qui "entravent considérablement l’accès pour les entreprises européennes“. Les députés appellent aussi à élargir l’accès de l’UE aux marchés américains des télécommunications. Selon les parlementaires, la grande disparité dans l'ouverture des marchés publics des deux parties devait être corrigée et le TTIP devrait atteindre une "ouverture importante" du secteur des marchés publics des États-Unis à tous les niveaux de gouvernement, de sorte que les entreprises de l'UE, et en particulier les PME, puissent obtenir des marchés publics américains dans les domaines des services de construction, du génie civil, des transports et de l'énergie.
Les députés demandent une transparence accrue des pourparlers du TTIP, en rendant plus de textes disponibles au public et en obtenant la permission des États-Unis pour diffuser davantage de documents. "Tout refus de communiquer une proposition de négociation" devrait être justifié, avertissent les députés qui demandent également d'être tous autorisés à accéder aux "textes consolidés" (les chapitres qui consolident les positions de l'UE et des États-Unis).