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Commerce extérieur
La France, l’Allemagne et la plupart des groupes politiques au Parlement européen affirment leur opposition à la protection des investisseurs dans le TTIP, au lendemain de la publication des résultats d’une consultation publique
13-01-2015


Les réactions aux résultats de la consultation publique sur le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats (RDIE ou ISDS) dans le cadre des négociations d’un traité de libre-échange avec les Etats-Unis (TTIP) confirment le scepticisme d'une large majorité des parties prenantes, au lendemain de la publication par la Commission des résultats de cette consultation. Les résultats avaient montré "l’existence d’un énorme scepticisme par rapport à l’instrument RDIE".

Réactions au Parlement européen

Le nouvel accord entre UE et Etats-Unis sur le transfert de données financières dans le cadre du programme américain de lutte contre le terrorisme et son financement a reçu l'approbation du Parlement européen le 8 juillet 2010 © CommonsAu Parlement européen, la méfiance et l'opposition à l'égard du mécanisme RDIE et du TTIP sont vives. "Les résultats de la consultation publique confirment nos exigences : il faut réformer en profondeur tout le système du RDIE, et pas seulement certains aspects. En effet, le système actuel, qui a fait l’objet de la consultation, est boiteux, et c’est exactement pour cette raison que nous avons à maintes reprises demandé à la Commission d’exclure ce type de dispositions de ses accords", a déclaré le 13 janvier 2015 le président de la commission du commerce international du Parlement européen, Bernd Lange (S&D), précisant que "toute conclusion" tirée de cette consultation doit également s’appliquer à l’accord commercial CETA avec le Canada.

Seul le groupe PPE s’est exprimé en faveur de la protection des investisseurs. "Nous sommes en faveur d'un mécanisme ISDS efficace qui permettra de protéger les investisseurs européens en mettant en œuvre une approche bien équilibrée qui assure une meilleure transparence et des définitions plus claires libellées sur la base de l'accord de libre-échange avec le Canada (CETA)", ont commenté les députés allemands Godelieve Quisthoudt-Rowohl et Daniel Caspary dans un communiqué, pressant la Commission d'agir vite pour trouver une approche assurant le juste équilibre entre la protection des investisseurs et celle du droit des États à réglementer. "On ne peut pas rejeter une clause sans vérifier toutes les conséquences d'une telle décision. Par exemple, il n'y a pas d'indications claires sur la façon d'assurer la non-discrimination des investisseurs de l'UE sur le marché américain. Nous avons étudié cette question avec la Commission et nous n’avons aucune indication que cela puisse être réalisé sans le RDIE", ont-ils expliqué.

Le groupe S&D a salué la reconnaissance par la Commission de "l'existence de graves problèmes" avec le mécanisme ISDS. "Notre groupe est disposé à examiner de vraies améliorations au mécanisme ISDS, mais jusqu'à présent les dangers potentiels l'emportent sur les avantages. Si la Commission n'engage pas une réforme en profondeur du mécanisme, il sera préférable d'exclure complètement cette disposition d'un accord TTIP", a insisté David Martin.

Marietje Schaake (ALDE) a plaidé pour une "feuille de route" sur ce dossier qui relève non seulement du TTIP, mais qui soulève aussi la question du maintien d'un "mécanisme archaïque" dans près de 1 300 d'accords d'investissement bilatéraux existants. Marietja Schaake reproche aussi aux propositions formulées par la Commission pour améliorer le mécanisme ISDS actuel qu’elles ne permettent pas de faire appel des décisions des tribunaux arbitraux.

L'eurodéputé Yannick Jadot (Verts) a fustigé la manière dont la Commission avait présenté les résultats de cette consultation, la jugeant "méprisante vis-à-vis des organisations de la société civile" et la soupçonnant de "tenter de contourner la très grande majorité d'avis opposés" aux mécanismes d'arbitrage. Il estime que le Parlement européen doit "adresser un carton rouge à la Commission et refuser l'opacité des négociations, le déni de l'avis des citoyens, l'abandon de souveraineté démocratique au profit de quelques multinationales et la dilution du projet européen dans un grand marché".

Pour le groupe de la gauche radicale GUE/NGL, une "large majorité" de citoyens s’est exprimée contre le RDIE. "Ce serait une grave erreur pour la Commission d'ignorer les opinions des citoyens", a prévenu l'eurodéputé Helmut Scholz. "Le rapport indique clairement que le mécanisme de l'ISDS est perçu comme une menace pour la démocratie et les finances publiques. La Commission devrait maintenant agir et refléter cet appel significatif des citoyens et immédiatement exclure l'ISDS." Helmut Scholz a également plaidé pour supprimer le RDIE de l’accord CETA avec le Canada.

Un "front franco-allemand" contre le RDIE ?

Selon un article d’Euractiv du 14 janvier, un "front franco-allemand" est en train de se construire contre la protection des investisseurs. La France "n'acceptera jamais que des juridictions privées saisies par des entreprises multinationales puissent remettre en cause les choix démocratiques de peuples souverains", a déclaré le secrétaire d'État français au Commerce, Matthias Fekl. Selon Euractiv, il a souligné que la France travaille avec ses partenaires européens, notamment l’Allemagne.  "Les positions allemandes et les nôtres sont très proches et je me rendrai à Berlin très prochainement pour en discuter" a-t-il poursuivi.

Pour le gouvernement français, il existe un véritable risque de devoir faire face à des "demandes exorbitantes" de la part des grandes multinationales. Un risque qui pourrait menacer"les finances publiques et faire peser un risque économique sur les citoyens", explique le secrétaire d’État.

Le scepticisme est également de mise en Allemagne. "Tant que le mécanisme de règlement des différends fait partie du TTIP, je reste très sceptique […] Je pense qu’il n’est tout simplement pas nécessaire» a ainsi affirmé Barbara Hendricks, ministre allemande de l’Environnement, dans une interview du 13 janvier avec la radio allemande DLF. Déjà en juillet 2014, les médias rapportaient que l’Allemagne s’opposerait à la signature du traité commercial CETA avec le Canada à cause du RDIE. 

Le ministre allemand de l’Economie, Sigmar Gabriel, a salué la consultation publique comme un pas vers plus de transparence et de participation des citoyens. Ce serait maintenant à la Commission européenne de présenter une nouvelle proposition sur la base des résultats de la consultation.

Le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères Jean Asselborn s’est pour sa part félicité à Strasbourg de la publication par la Commission, le 7 janvier 2015, d’une série de textes présentant les propositions de textes juridiques de l’UE pour les négociations sur le TTIP. Il a également salué la volonté de Bernd Lange d’organiser prochainement au Parlement européen un grand débat sur la base des résultats de la consultation publique. Pour rappel, le Luxembourg avait déjà fait part de son opposition au RDIE en juin 2014. En octobre 2014, quatorze Etats membres de l’UE ont plaidé pour le RDIE tandis que le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, s’est exprimé contre.

La réaction des organisations et ONG

L’alliance Stop TTIP estime que le mécanisme RDIE ne devrait pas être inclus dans l’accord TTIP, rapporte un communiqué. "Les résultats de la consultation sont clairs. Le RDIE est dangereux pour la démocratie, pour notre environnement, pour la protection des consommateurs et d’autres normes importantes", a déclaré le porte-parole Karl Bär. Il a appelé la Commission à ne prendre au sérieux les résultats de "sa propre consultation" et d’arrêter immédiatement les négociations sur le TTIP. Il ajoute que l’accord CETA avec la Canada ne devrait pas être signé non plus, puisqu’il contient également une clause RDIE.

Pour l’alliance TTIP unfairhandelbar, composée d’une trentaine d’ONG, la seule conséquence de la consultation est de "renoncer" au mécanisme RDIE. 

Pour l’ONG environnementale Friends of the Earth (FOE), la Commission européenne fait preuve d’un "mépris total" des voix de citoyens mobilisés en masse. Les citoyens "se sont exprimés clairement contre des privilèges excessives pour les entreprises, le RDIE ne devrait pas faire partie du TTIP", conclut-elle. 

L’organisation patronale européenne Businesseurope estime que la consultation publique permet de faire l’exercice de moderniser le mécanisme RDIE, tout en soulignant la nécessité de dispositions fortes pour la protection des investisseurs.

Pour la Confédération européenne des syndicats (CES), la consultation montre l’opposition des citoyens et pas du "scepticisme". "Alors pourquoi discuter d’améliorations ?", s’interroge-t-elle sur son compte Twitter. 

Le président de la fédération de l’industrie allemande (BDI), Ulrich Grillo, a appelé à moderniser en profondeur le mécanisme de la protection des investisseurs, tout en mettant en garde contre une exclusion du RDIE. "Des clauses pour la protection des investisseurs sont indispensables pour l’industrie allemande active au niveau mondial", a-t-il estimé.

La section allemande de la chambre de commerce internationale (ICC) a mis en garde contre la création d’une juridiction d’appel, soulignant que les parties peuvent déjà faire appel s’il y a des doutes sur la procédure. Une juridiction supplémentaire risque de créer des coûts importants et des procédures plus longs ce qui aurait un effet dissuasif sur les PME, juge l’ICC allemande.