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Commerce extérieur - Justice, liberté, sécurité et immigration
TTIP – Cecilia Malmström formalise ses propositions de réforme pour le mécanisme d’arbitrage entre investisseurs et Etat prévu dans l’accord de libre-échange UE-USA et suggère la création d’une cour permanente d’investissement
06-05-2015


ttip (source: Commission européenne)Renforcer le droit des Etats à légiférer dans l’intérêt public et se diriger vers la mise en place d’une cour permanente d’investissement pour remplacer le système d’arbitrage ad hoc : voici deux des principaux points que la commissaire européenne en charge du Commerce, Cecilia Malmström, propose pour faire évoluer le mécanisme controversé de règlement des différends entre investisseurs et État (RDIE ou ISDS en anglais) prévu dans le Partenariat de commerce et d’investissement négocié entre l'UE et les États-Unis (PTCI ou TTIP en anglais).

Dans un document de réflexion élaboré par ses services et transmis le 5 mai 2015 au Conseil de l’UE et au Parlement européen tout comme au grand public, Cecilia Malmström a ainsi formalisé un certain nombre de ses idées en vue de faire évoluer le mécanisme d’arbitrage. La commissaire les a présentées officiellement devant les députés de la commission du commerce international (INTA) du Parlement européen le 6 mai et, le lendemain, devant les Etats membres lors du Conseil Affaires étrangères réuni dans sa formation "Commerce".

Le contexte

Pour mémoire, les mécanismes ISDS visent à protéger les investisseurs étrangers d'un traitement inéquitable de la part d'un pays hôte en permettant le recours à des tribunaux d’arbitrages ad hoc pour régler les litiges potentiels. Le système fait polémique car nombre de syndicats et d’ONG redoutent qu’il permette à une multinationale qui s'estimerait lésée par une politique publique de poursuivre un Etat – comme le fait Vatenfall avec l’Allemagne, en vertu d’un autre traité, dans le contexte du retrait de la production nucléaire par ce pays –, ce qui pourrait avoir un effet dissuasif sur les Etats souhaitant réglementer en matière sociale, environnementale et sanitaire.

Confrontés à une inquiétude grandissante sur ce sujet, plusieurs Etats membres ont exprimé leur scepticisme quant à l’utilité d’un tel système. Ainsi, l’Allemagne a-t-elle estimé que les USA offraient une protection juridique suffisante aux investisseurs européens devant leurs tribunaux nationaux et vice-versa, suivie dans cette analyse par le Luxembourg. La Commission européenne rappelle pourtant régulièrement que ce sont bien les pays de l’UE qui lui ont demandé d’inclure l’ISDS dans le TTIP, tout en soulignant que l’UE a modernisé les règles relatives à ce mécanisme. Quatorze Etats membres lui ont d’ailleurs réitéré leur soutien.

C’est dans ce contexte que la Commission avait décidé de geler, dès mars 2014, le chapitre sur la protection des investissements dans les négociations, le temps de mener une large consultation publique sur le sujet. Ses résultats, publiés en janvier 2015, ont confirmé "l’existence d’un énorme scepticisme par rapport à l’instrument ISDS", avait alors reconnu la Commission. Sur cette base, le 18 mars 2015, la commissaire Malmström avait soumis à la commission INTA du Parlement ses idées préliminaires sur une réforme du système pour tenir compte des préoccupations soulevées, qu’elle a désormais formalisées dans un document de réflexion. Parallèlement, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, a annoncé que le Luxembourg et cinq autres Etats membres s'apprêtaient à proposer leur propre réforme du mécanisme d’arbitrage au Conseil Affaire étrangères réuni dans sa formation "Commerce extérieur" le 7 mai 2015.

Un système "pas adapté au 21e siècle" 

Dans une brève contribution publiée sur son blog officiel sur le site de la Commission le 5 mai 2015 annonçant la diffusion du document de réflexion, Cecilia Malmström a expliqué notamment que les clauses ISDS traditionnelles "ne sont plus adaptées au 21e siècle" et que le chapitre sur la protection des investissements dans le cadre de l'accord de libre-échange avec le Canada (CETA) tel que modernisé constitue "la base de la nouvelle approche de la Commission". Le dispositif ISDS de l’accord CETA (de même que celui de l’accord UE-Singapour) contient en effet "des dispositions modernes qui rééquilibrent les droits des États et des investisseurs en faveur des États, et le droit de ces derniers à légiférer dans l'intérêt du public", écrivait la commissaire qui avait déjà largement insisté sur ce point lors de sa dernière rencontre avec la commission INTA. Ainsi, "notre nouvelle approche garantit qu'un État ne pourra jamais être forcé de changer ses lois, mais seulement de payer une juste compensation dans les cas où il est reconnu que les investisseurs ont été traités injustement (discrimination ou expropriation, par exemple)", a poursuivi Cecilia Malmström sur son blog.

Dans son document de réflexion, dont la commissaire au Commerce indique qu’il "s’agit d’une base de discussion […] sans préjudice de la position finale de la Commission" en la matière, la Cecilia Malmström se veut plus précise. Elle y suggère ainsi "des idées concrètes" pour chacun des quatre axes prioritaires définis par la consultation publique menée au printemps 2014, à savoir: la protection du droit des États à réglementer, la supervision et le fonctionnement des tribunaux arbitraux pour éviter les conflits d'intérêts, la question du mécanisme d'appel et la question de la relation entre l'arbitrage ISDS et les systèmes judiciaires nationaux.

Protection du droit des États à réglementer

Rappelant que la protection du droit des États à réglementer était l’une des préoccupations principales soulevées lors de la consultation avec comme corollaire la crainte exprimée d’une plus grande importance accordée aux intérêts économiques que publics, la commissaire juge que ces inquiétudes s’expliquent principalement par l’absence de référence explicite au droit de réguler dans la plupart des accords commerciaux.

Cecilia Malmström propose dès lors de lever toute ambiguïté quant au droit des gouvernements de réglementer. Si elle souligne que dans le cadre de l’accord CETA, ce droit est clairement inscrit "dans le préambule de l’accord", elle estime que "davantage de clarté […] pourrait être utile". Elle propose dès lors d’inclure dans la future proposition européenne une "disposition légale opérationnelle", c’est-à-dire "un article […] dans le corps du texte" de l’accord réaffirmant ce droit.

Supervision et fonctionnement des tribunaux arbitraux

Pour ce qui est de la supervision et du fonctionnement des tribunaux d’arbitrage, une des problématiques soulevées est l’impartialité des arbitres, désignés par les deux parties en conflit au cas par cas. "Le système actuel n’empêche pas les mêmes individus d’agir en tant qu’avocat (par exemple pour préparer une plainte d’un investisseur) dans d’autres affaires ISDS", note la commissaire qui estime que cette situation "donne lieu à des conflits d’intérêts" qu’ils soient  "réels ou perçus". En outre, "la nature ad hoc de leur désignation est perçue par le public comme interférant avec leur capacité d’agir indépendamment et de manière équilibrée".

Dès lors, Cecilia Malmström considère que la proposition de l’UE devrait inclure une obligation pour les parties contractantes à l’accord (ici l’UE et les USA) de désigner à l'avance une liste fermée des personnes autorisées à siéger dans un tribunal d'arbitrage. Les investisseurs n’auraient donc pas leur mot à dire sur le choix des arbitres "ce qui permettrait de briser le lien entre les parties en conflit et les arbitres", explique la commissaire.

Cette obligation pourrait par ailleurs s’accompagner par l’exigence d’un certain niveau de qualification pour les arbitres, "en particulier qu’ils soient éligibles à la fonction de juge dans leur ordre judicaire national ou disposent d’une qualification similaire". Ils devraient par ailleurs disposer d’une expertise en matière d’application du droit international tel que prévu par l’accord "qui cadrerait précisément l’exercice de leurs fonctions et  réduirait drastiquement les risques d’interprétation imprévisibles de la protection des investissements", écrit la commissaire. Il s’agirait enfin d’octroyer un droit d’intervenir à des parties tierces ayant un intérêt direct et réel dans le résultat du conflit.

Mécanisme d’appel

Alors que l’absence d’un mécanisme d’appel était "l’une des critiques les plus récurrentes" soulevées lors de la consultation, Cecilia Malmström rappelle qu’il est explicitement fait référence dans l’accord CETA à "la possibilité de mettre un [tel] mécanisme" à l’avenir.

Il s’agirait néanmoins d’aller plus loin dans le TTIP en incluant dans la proposition de l’UE "un mécanisme d’appel bilatéral", dont le rôle, la mise en place et le fonctionnement pratique seraient clairement définis. Le mécanisme serait composé de membres permanents (deux issus de chaque partie contractante et trois non-nationaux par exemple) et dédié à la révision des sentences en ce qui concerne les erreurs de droit et des erreurs manifestes dans l'appréciation des faits. Il permettrait d’assurer la cohérence dans l'interprétation du TTIP et d’accroître la légitimité des procédures, assure la commissaire

Relation entre l'arbitrage ISDS et les systèmes judiciaires nationaux

Face aux craintes de "court-circuitage" des juridictions nationales émises contre les investisseurs qui recourraient à l’ISDS, notamment l’impression d’une seconde chance offerte aux investisseurs pour faire annuler les décisions des tribunaux nationaux, la commissaire suggère plusieurs limitations. Rappelant que les tribunaux nationaux ne peuvent se prononcer sur les conflits d’investissement qu’en se basant sur les lois nationales, tandis que les tribunaux d’arbitrage vérifient seulement la compatibilité des actions des Etats avec les règles internationales en la matière, la commissaire convient qu’il "fait sens d'essayer de mieux gérer la relation entre les obligations nationales (judiciaires) et internationales (arbitrage)".

Alors que dans l’accord CETA, les investisseurs sont contraints d’abandonner toute poursuite engagée devant les cours nationales avant de pouvoir recourir à l’ISDS, Cecilia Malmström propose d’aller plus loin. Dès lors, "la proposition de l'UE devrait veiller à ce que les demandes parallèles soient interdites, notamment pour que les investisseurs ne puissent pas obtenir une double indemnisation", écrit la commissaire. Elle suggère à ce sujet deux options : la première consisterait à exiger des investisseurs de faire un choix définitif entre l’ISDS et les tribunaux nationaux au début de toute procédure judiciaire ; la seconde serait de demander aux investisseurs de renoncer à leur droit d'aller devant les tribunaux nationaux une fois qu'ils présentent une demande à l'ISDS.

Parallèlement, il s’agirait d'assurer la sécurité à l'égard de la compatibilité de l’ISDS avec le principe de l'autonomie de l'ordre juridique de l'UE. Dès lors, la proposition de l'UE devrait clarifier la pertinence du droit interne de chaque partie aux fins de l'ISDS, en réaffirmant plusieurs éléments : l'application de la législation nationale ne relève pas de la compétence des tribunaux ISDS ; le droit interne ne peut être pris en compte par un tribunal ISDS qu’en tant qu’élément factuel ; et les interprétations du droit interne faites par les tribunaux de l'ISDS ne lient pas les tribunaux nationaux.

Vers un système multilatéral

Selon la commissaire Malmström, ses propositions sont conçues "comme des tremplins vers l'établissement d'un système multilatéral" alors que la création d'une liste fixe des arbitres, de même que d’un mécanisme d’appel composé de juges permanents rapprocherait déjà les procédures ISDS d'un véritable tribunal permanent. "L'Union européenne doit œuvrer à la création d'un tribunal permanent", plaide ainsi la commissaire selon laquelle l’objectif serait soit de faire de ce tribunal "un organisme international autonome" qui pourrait débuter sur une base bilatérale, soit de "l'intégrer dans une organisation multilatérale existante". Et Cecilia Malmström de conclure que "les travaux ont déjà commencé" sur la manière de mettre en marche ce processus.

Les réactions

La commissaire européenne en charge du Commerce, Cecilia Malmström, lors de  la discussion sur l'ISDS devant la commission INTA du Parlement européen, le 6 mai 2015 (source: Parlement européen)Dans un communiqué, le groupe PPE a salué "un pas dans la bonne direction" permettant de rendre le mécanisme "plus transparent et plus impartial". Le porte-parole du groupe dans la commission INTA,  l’eurodéputé allemand Daniel Caspary y souligne notamment l'importance d'un mécanisme de protection des investissements fort: "Il devrait être dans l'intérêt de tous de faciliter les investissements transfrontaliers et de protéger nos investisseurs. Pour cela nous avons besoin d’un [ISDS] modernisé et transparent, qui permette un processus rapide, maintienne les coûts sous contrôle et soit avant tout légalement construit de manière à ne pas entraver la volonté politique", a-t-il noté.

Pour sa part, l’eurodéputée luxembourgeois Viviane Reding (PPE), également membre de la commission INTA, s’est félicitée du fait que la Commission européenne "reprennent [s]es propositions de réforme", alors que la députée avait notamment jugé que l’ISDS était "un fruit empoisonné" et plaidé pour une cour internationale et des juges professionnels, dans un communiqué transmis à la presse. Mais Viviane Reding de juger qu’une "mini-réforme ne suffit pas!". "La Commission et les États membres doivent désormais montrer qu'ils sont sérieux au sujet de l'établissement d'une Cour internationale de règlement des différends relatifs aux investissements. Il appartient à la Commission de mettre une proposition détaillée sur la table", a-t-elle dit.

Du côté du groupe S&D, l’eurodéputé allemand Bernd Lange, président de la commission INTA du Parlement européen et rapporteur principal sur le TTIP pour le Parlement, a estimé dans un communiqué que le document de réflexion était "un pas dans la bonne direction", mais qu’il n’allait "pas assez loin pour restaurer la confiance du public sur la question". Saluant l'évolution vers une Cour d'investissement permanente avec les juges à temps plein et un mécanisme d'appel clair, le député juge que sur ce sujet comme sur d'autres questions le texte est "trop vague". "Nous avons besoin de l’assurance qu’un tribunal permanent est un engagement clair et pas seulement une partie d'un plan pour l'avenir", a-t-il ainsi souligné.

Pour le groupe de la GUE/NGL, l’eurodéputé allemand Helmut Scholz a de son côté estimé qu’une cour bilatérale permanente "ne résolvait pas le problème". Au contraire, il s’agit "de garantir la possibilité de porter ces cas […] devant les tribunaux étatiques existants conformément à la règle de droit", plaide le député dans un communiqué. Et d’insister sur la nécessité de permettre également aux structures politiques et institutionnelles ainsi qu’aux citoyens de mener une action en justice contre les investisseurs ou des entreprises".

"Chacun sait qu'une Cour permanente publique ne verra le jour qu'en l'absence d'ISDS dans le TTIP, en continuant à se reposer à court terme sur les juridictions nationales", a pour sa part estimé l’eurodéputé français Yannick Jadot (Verts/ALE), selon des propos rapportés par l’AFP. Il a par ailleurs une nouvelle fois dénoncé un mécanisme d'arbitrage "qui menace notre capacité démocratique à définir nos règles".