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Parlement européen - Commerce extérieur
Suite à des désaccords entre PPE et S&D, le vote et le débat prévu sur le rapport de la commission INTA au Parlement européen sur le TTIP ont été reportés
10-06-2015


Des députés européens de la droite avec des pancartes contre le TTIP (Source: PE)Le vote et le débat prévu sur le rapport de la commission du commerce international (INTA) au Parlement européen sur le traité de libre-échange avec les Etats-Unis (TTIP) ont été reportés, a indiqué le Parlement européen le 10 juin 2015 dans un communiqué. Un blocage qui serait imputable à un désaccord entre les groupes PPE et S&D du Parlement sur le très controversé mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etat, le fameux ISDS (RDIE en français), alors que la formulation des lignes rouges du Parlement dans ce rapport demanderait selon le groupe socialiste d’être clarifiée. A ce sujet, le groupe S&D a déposé un amendement qui demandait d'inscrire explicitement l'exclusion de tout recours à un arbitrage privé pour le règlement des litiges entre investisseurs et États, tandis que le PPE soutenait l’inclusion d’un tel mécanisme dans l’accord, mais réformé, comme le prévoit d’ailleurs le rapport de la commission INTA, rapporte l’édition du 10 juin du Bulletin quotidien de l’Agence Europe. Toutefois,  socialistes et conservateurs affirment soutenir le rapport tant que tel.

Concernant le vote, qui était initialement prévu le 10 juin, le président du Parlement européen Martin Schulz (S&D) a annoncé la veille sa décision de le repousser à une date non précisée en raison des 116 amendements qui ont été apportés à ce rapport très controversé et de le renvoyer en commission INTA. Martin Schulz a agi en vertu de l’article 175 du règlement du Parlement européen selon lequel le président peut demander un examen des amendements si plus de cinquante de ceux-ci ont été déposés. Un autre communiqué du Parlement européen, diffusé le 9 juin, précise que Martin Schulz a demandé à la commission INTA d’examiner les plus de 200 amendements et demandes de vote divisés déposés au rapport en séance plénière, afin de déterminer s'ils doivent être soumis à une mise aux voix en plénière. La prochaine réunion de la commission INTA est prévu les 15 et 16 juin à Bruxelles.

Une décision que le président de la commission INTA et rapporteur de la résolution, l’Allemand Bernd Lange (S&D), a indiqué respecter : "Nous respectons la décision du Président Schulz et nous allons continuer le travail sur la résolution du TTIP au sein de la commission du commerce. Nous allons utiliser le temps supplémentaire que nous avons acquis pour travailler en vue d'atteindre une majorité stable pour la résolution du TTIP. Le PE ne peut qu'aller de l'avant avec un message fort à l'adresse des négociateurs du TTIP si notre résolution est soutenue par une large majorité".

Pour mémoire, la commission INTA a voté le 28 mai 2015 sa position sur le TTIP, en plaidant notamment pour une réforme du mécanisme très contesté de règlement de différends entre investisseurs et Etats (RDIE ou ISDS), au grand dam des groupes politiques des Verts et de la gauche qui regrettaient que la commission parlementaire ne rejette pas l’ISDS en tant que tel. Dans le rapport, les députés ont plaidé pour un système devrait inclure une "solution permanente" avec des juges indépendants et désignés publiquement, des auditions publiques et un "mécanisme de recours", tout en respectant la juridiction des tribunaux de l'UE et de ses États membres.

Pour ce qui est de la décision de reporter également le débat, qui avait pourtant été maintenu à l’ordre du jour du 10 juin malgré le report du vote, elle est pour sa part la conséquence d’un vote très serré en séance plénière le jour même sur demande du PPE, de l’ECR et des libéraux : 183 députés ont voté pour, 181 contre et 37 se sont abstenus.

Désaccord sur les tribunaux d’arbitrage entre conservateurs et socialistes

Bernd Lange (S&D), rapporteur pour la commission INTA du rapport sur le TTIP, avec Gianni Pittella, président du groupe S&D au Parlement européen (Source : PE)Le groupe S&D insiste dans un communiqué sur sa volonté de s’engager afin de "construire une majorité dans la commission INTA pour un TTIP juste". Bernd Lange y déclare ainsi : "Nous sommes prêts à voter et à lutter pour une résolution qui est conforme aux principes démocratiques, avec une protection forte des droits des travailleurs, des services publics et des normes environnementales". Le député britannique David Martin ajoute : "Nous défendons avec fermeté notre opposition à l’ISDS". Sur son site, Bernd Lange précise que "certains groupes au Parlement européen ont refusé de s’opposer clairement à l’ISDS". Selon lui, une majorité, et non seulement le groupe socialiste, doit s’opposer à des tribunaux d’arbitrage, affirmer le message contre l’ISDS exprimé dans la résolution et soutenir l’idée d’une Cour internationale d’arbitrage.

Lors d’une conférence de presse qui s’est tenue le soir du 9 juin 2015, Gianni Pittella, le président du S&D, a évoqué une "grande confusion" au sujet du TTIP, tout en dénonçant les "préjugés" sur un accord qui est toujours en processus de négociation. "Nous n’accepterons qu’un accord qui respecte les normes que nous défendons", a-t-il dit, rappelant que la résolution du rapporteur Bernd Lange couvre "90 % des exigences" du groupe qui n’a déposé qu’un seul amendement concernant l’exclusion d’un mécanisme privé d’arbitrage. Quant à cet amendement, Gianni Pittella ajoute dans un autre communiqué diffusé par le S&D que "nous avons jugé nécessaire cette clarification dans le texte pour qu’il ne soit pas mal interprété". Il a précisé que "si le PPE avait soutenu l’amendement du S&D sur l’exclusion du mécanisme privé d’arbitrage, le vote aurait pu avoir lieu".

Bernd Lange a insisté sur le fait que le Parlement européen ne donnera son accord qu’à un "bon accord", rappelant le rejet du traité ACTA par l’institution en 2012. Il a souligné que "l’arbitrage privé est mort" et que "investisseurs étrangers et nationaux doivent avoir les mêmes droits", tout en insistant sur la primauté des tribunaux nationaux. Il a appelé à la création d’un système "nouveau", à savoir d’un tribunal public indépendant avec des juges désignés publiquement.  

Dans une conférence de presse qui s’est tenue le 10 juin 2015, Gianni Pittella a expliqué que Martin Schulz a reporté le vote en raison du risque de ne trouver aucune majorité pour le rapport en séance plénière et de "délégitimer" ainsi le Parlement européen. Bernd Lange a ajouté que près de 190 députés seraient prêts à voter contre le TTIP et le rapport, et qu’il faut maintenant construire une majorité avec ceux qui ne sont pas opposés par principe au TTIP afin d’envoyer un "message clair" à la Commission et aux Etats-Unis. "On n’a pas encore réussi à construire cette majorité", a-t-il conclu.

"Il y a un consensus parmi les partis que l’on ne veut plus de l’ancien ISDS. La dispute entre le PPE et les socialistes tournent autour de la question comment formuler cela", a pour sa part expliqué la députée socialiste luxembourgeoise Mady Delvaux à la radio RTL.

Sur Twitter, les groupes politiques s’accusent mutuellement de "l’échec" : Bernd Lange y accuse le PPE de "bloquer" la résolution en raison de "malentendus", en réponse au député conservateur Daniel Caspary qui dénonce un "échec" et accuse Bernd Lange "de ne pas avoir été capable ou désireux de soutenir le compromis qu’il a fait avec la majorité des socialistes". Daniel Caspary lui répond que "nous avons approuvé et voté un texte équilibré dans la commission INTA".

Manfred Weber, président du groupe PPE qui n’a pas publié de communiqué, affirme sur son compte que le PPE est "uni" derrière le compromis trouvé dans la commission INTA. Lors d’une conférence de presse de son groupe qui a eu lieu le 9 juin, il affirme que l’ISDS doit être "modifié" et peut être "amélioré" et que son groupe soutient les propositions de la commissaire européenne chargé du commerce, Cecilia Malmström, pour un mécanisme d’arbitrage réformé.

Le député Christofer Fjellner (PPE) accuse les socialistes d’avoir "semé le désordre" et de "rompre le compromis" et à Martin Schulz de "protéger" Bernd Lange et les socialistes d’une défaite en plénière, en "renvoyant leur protectionnisme à la commission INTA pour y mourir".

La députée et ancienne commissaire Viviane Reding (PPE) s’est pour sa part félicitée du report du vote, jugeant qu’un vote aurait fini "dans le chaos", avec des "majorités arbitraires" et des "décisions contradictoires" dans "une même résolution". "Le Parlement européen ne peut pas se permettre cela, notamment à un moment où il faut être crédible", a-t-elle indiqué à RTL.

La réaction des autres groupes politiques

Le groupe ECR qui dénonce un "chaos" se dit "très déçu" du report du vote. "Le Parlement européen était prêt à voter sa position sur le TTIP, mais le président Schulz a reporté le vote pour sauver les apparences des socialistes", a déclaré dans un communiqué Emma McClarkin, qui ajoute que les socialistes "ont approuvé un compromis raisonnable dans la commission INTA mais leurs leaders ont échoué à obtenir l’aval de tous leurs députés". Elle dénonce encore un "désordre socialiste" qui a "commencé quand ils sont revenus sur des accords faits en bonne foi".

Pour les libéraux de l’ALDE, qui dénonce un "comportement irresponsable", ce sont des "disputes internes" au sein du groupe S&D ont amené le président Schulz à "activer le frein d’urgence". Guy Verhofstadt déclare dans un communiquéque les socialistes mettent en danger les emplois qu’un traité de libre-échange pourrait créer et endommagent la réputation du Parlement européen. Le député luxembourgeois Charles Goerens a déclaré à RTL qu’il voterait seulement pour le TTIP si l’ISDS est institutionnalisé en une "vraie instance".

Pour la gauche radicale GUE/NGL, il s’agit d’une décision "politique" qui serait le fruit d’un échec de négociations entre le PPE et le S&D, mais aussi d’une "victoire" pour le mouvement Stop TTIP. Le groupe appelle à une "véritable consultation publique" sur le TTIP et réitère son appel de suspendre les négociations.

Le député vert français Yannick Jadot, qui est également vice-président de la commission INTA, a fait état d’un "vent de panique" au Parlement européen sur le TTIP, en estimant que "faute de majorité acquise en faveur des tribunaux privés arbitraux, le président Schulz abuse de son autorité pour reporter un vote qu’il craint et qui divise notamment les deux grands groupes, PPE et S&D". Il juge que les divisions au sein du Parlement européen sont "le résultat de la mobilisation des acteurs de la société civile (consommateurs, syndicats, ONG…) et des acteurs publics (villes, régions, parlements nationaux) ainsi que du travail du groupe des Verts" et que cette opposition a "percuté" la "logique de la grande coalition".

Le député luxembourgeois Claude Turmes (Verts/ALE) a déclaré dans un communiqué regretter le report du débat sur le TTIP, estimant qu’il "faut un débat public", notamment en raison des "discussions acharnées" sur l’ISDS. Il reproche aux leaders des partis principaux d’avoir une "trop grande peur" devant une division de leur groupe et devant la critique, notamment contre l’ISDS. Il juge encore que la "pression massive" de la société civile porte ses fruits et qu’une conclusion rapide des négociations est "plus que discutable". Claude Turmes a par ailleurs estimé sur les ondes de RTL que certains députés socialistes auraient fait rébellion et "trahi" le compromis entre le PPE et le S&D, et que Martin Schulz "n’a plus de mainmise sur son équipe".