Le Premier ministre Xavier Bettel a présenté le 19 janvier 2016 devant les eurodéputés réunis en session plénière à Strasbourg le bilan de la Présidence luxembourgeoise du Conseil de l’Union européenne (UE) qui s’est tenue du 1er juillet 2015 au 31 décembre 2015. Lors de la conférence de presse du Conseil européen des 17 et 18 décembre 2015, le Premier ministre avait déjà présenté un "bilan préliminaire" de la Présidence.
Xavier Bettel a commencé par rappeler que la Présidence luxembourgeoise s’était tenue "dans un contexte particulièrement difficile et, souvent même dramatique". Il a cité les "défis sans précédents" auxquels l’UE est confrontée : la crise financière et économique, l’instabilité grandissante à ses frontières, les tentations de repli sur le pré carré national et encore deux phénomènes particuliers "qui sont venus s’ajouter dans un contexte déjà fort difficile", à savoir la crise des migrations et la montée du terrorisme dans le monde. "Dans ces deux questions, la Présidence s’est forcée de réagir vite et de façon concrète", a rappelé le Premier ministre.
Au sujet de la crise migratoire, Xavier Bettel a appelé à "absolument mettre en œuvre les mesures déjà décidées", mesures qui portent sur la réinstallation et la relocalisation des réfugiés, la mise en place d’une nouvelle politique de retour et de réadmission, d’un mécanisme d’accueil à travers les "hotspots", la définition d’un nouveau cadre et le renforcement des frontières extérieures de l’UE.
Xavier Bettel a encore souligné "l’intégrité de l’espace Schengen" qui ne "fonctionnera que si les règles qui le régissent sont respectées". Dans ce contexte, il a rappelé que la Présidence avait souhaité, dès le mois de novembre 2015, que l’on aille en direction d’une "communautarisation de l’introduction des contrôles aux frontières intérieures dès lors que cela s’avère nécessaire, et que l’on ne laisse pas aux Etats membres l’initiative ou le dernier recours de réintroduction nationale et désordonnée de tels contrôles". "Pour l’heure la priorité est certainement de tout faire pour diminuer substantiellement les flux de réfugiés au risque sinon de perdre nos opinions publiques", a indiqué Xavier Bettel.
Le Premier ministre a appelé tous les Etats membres à opérationnaliser la relocalisation "sans délai". "C’est aussi une question de solidarité entre Etats membres", a-t-il dit, et cette solidarité "doit aussi se décliner avec les Etats partenaires des Balkans et de la Turquie, le Liban et la Jordanie". A ce titre, Xavier Bettel a cité la conférence sur la "Route de la Méditerranée orientale et des Balkans occidentaux" qui avait été organisée par la Présidence luxembourgeoise le 8 octobre 2015, et où le projet de plan d’action concernant la coopération entre l’UE et la Turquie soumis au Président Erdogan, lors de sa visite à Bruxelles, avait été évoqué.
Xavier Bettel est ensuite revenu sur la sécurité en Europe, appelant à "éviter les amalgames entre la question migratoire et le terrorisme", et se félicitant de ce que la directive PNR ait pu être adoptée par les colégislateurs le 4 décembre 2015, après avoir été bloquée pendant de longues années.
Xavier Bettel est ensuite revenu sur les 36 dossiers conclus en co-décision, en citant l’accord sur le budget 2016, l’accord sur la réforme de la Cour de Justice de l’UE, la directive relative au renforcement de la présomption d’innocence, la simplification de la circulation de certains documents publics, un accord sur la proposition de règlement sur les indices de référence ("benchmarks") ou encore l’accord sur le paquet "protections des données".
S’agissant du commerce, Xavier Bettel a mentionné "quelques progrès". La Présidence a notamment pu progresser sur le mécanisme de règlement des différends investisseurs-Etat (ISDS ou RDIE) du futur accord de libre-échange entre UE et USA (TTIP) et finaliser les modalités pour garantir l’accès des parlementaires aux textes consolidés, a-t-il rappelé.
Au sujet de la compétitivité, il a indiqué que la Présidence avait voulu "moderniser les méthodes de travail (en réalisant un "check-up" de la compétitivité lors de chaque Conseil, ndlr) et concentrer lestravaux sur la mise en place d’un cadre réglementaire stable et favorable à l’investissement dans le droit fil du Plan Juncker". Il a également salué le fait qu’elle ait pu "adopter dans un temps record une approche générale du Conseil s’agissant de la titrisation en tant que première pierre de l’Union des marchés des capitaux".
Xavier Bettel s’est en outre félicité que la Conseil ait pu, "dans un délai très court", marquer son accord politique sur la directive sur l’échange d’informations sur les rescrits fiscaux. "Cet accord est un signal fort au reste du monde en matière de transparence fiscale", a-t-il dit, rappelant que la Conseil avait aussi adopté des conclusions importantes concernant l’initiative BEPS de l’OCDE en matière de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.
Le Premier ministre a également souligné les avancées en matière d’approfondissement de la dimension sociale de l’UE et de mise en place d’une véritable gouvernance sociale. Mais "beaucoup reste à faire", a-t-il dit.
Au sujet du développement durable, il a mentionné le "premier accord universel et contraignant en matière de lutte contre le changement climatique", pour lequel la Présidence luxembourgeoise a hautement contribué en coordonnant la position de l’UE lors de la COP21 à Paris fin 2015. La Présidence luxembourgeoise a également œuvré en faveur de l’établissement d’une gouvernance "fiable, transparente et robuste" de l’Union de l’énergie et en faveur de la promotion d’une transition énergétique durable, a rappelé le Premier ministre.
En ce qui concerne le quatrième paquet ferroviaire, la Présidence a pu achever deux volets importants, à savoir celui qui touche à la libéralisation des services de transport de voyageurs par chemin de fer, et celui qui a pour objectif de renforcer la gouvernance de l’infrastructure ferroviaire lors du Conseil Transports, Télécommunications et Energie du 8 octobre 2015.
Xavier Bettel, également ministre des Télécommunications, s’est encore félicité de l’accord obtenu entre les colégislateurs le 8 décembre 2015 sur la proposition de directive SRI (ou NIS en anglais) qui renforcera la sécurité des réseaux informatiques dans l’Union.
Enfin, il a indiqué que le Parlement, le Conseil et la Commission "avaient pu mettre en place les conditions pour un fonctionnement plus harmonieux du triangle institutionnel à travers l’accord interinstitutionnel "Mieux légiférer" de décembre", et a appelé de ses vœux l’entrée en vigueur rapide de l’accord après que le Parlement se sera prononcé au printemps.
Dans son allocution, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, qui a été Premier ministre du Grand-Duché de 1995 à 2013, a voulu "une fois de plus et de façon très prononcée, chanter les louanges du gouvernement luxembourgeois, de son Premier ministre et de tous les ministres qui l’ont accompagné". "Sa présidence a fait du très bon travail et a montré que l’essentiel n’est pas dans la quantité mais dans la qualité", a-t-il dit.
Jean-Claude Juncker a souligné la "qualité remarquable qui fut celle de la Présidence luxembourgeoise", rappelant que ce fut "toujours le cas au long de l’histoire", et citant à ce titre la conclusion de l’Acte unique européen en 1985 sous Présidence luxembourgeoise, la coordination de la première partie de la conférence intergouvernementale sur l’Union économique et monétaire en 1991 ou encore la décision sur l’élargissement en 1997.
"Le gouvernement qui a exercé la Présidence s’est montré digne du riche passé qu’il a trouvé devant lui", a souligné Jean-Claude Juncker, alors que le semestre luxembourgeois s’est tenu dans des "conditions particulièrement difficiles".
Le président de la Commission a salué le fait que la Présidence ait "réussi sur la question de la migration, en faisant vivre un dialogue constructif entre 28 réalités nationales différentes voire très souvent diamétralement opposées".
Par ailleurs, elle a su "conclure des dossiers clés qui depuis trop longtemps étaient au point mort", a rappelé Jean-Claude Juncker, comme le PNR ou encore la protection des données, pour n’en citer que certains.
Le président a encore salué "l’élégance avec laquelle le gouvernement luxembourgeois a su piloter les travaux lors de la conférence climatique de Paris".
Il a loué les accords trouvés rapidement sur les propositions de la Commission dans le cadre de la crise des réfugiés, "sous l’autorité experte et très souvent éclairée du ministre Asselborn" mais a cependant regretté que ces accords n’aient pas encore été transposés dans la réalité.
Si l’UE dispose aujourd’hui de "nouveaux outils pour faire face avec plus d’efficacité et d’ordre à l’urgence de la pression migratoire", il faudra encore mettre en place d’autres outils novateurs notamment ceux qui concernent les frontières extérieures communes en nous dotant de garde-frontières et de garde-côtes, a indiqué le président de la Commission, appelant à "ne pas baisser les bras et à poursuivre le travail que la Présidence luxembourgeoise a utilement commencé".
"L’ensemble de ces mesures nous permettra de réduire les flux migratoires et lever les risques qui pèsent sur l’espace Schengen" a dit le président, qui a conclu en disant que la Présidence avait délivré "une performance patriotique exemplaire" et avait fait de ces six mois un "succès total".
Lors du débat, une grande majorité d’eurodéputés ont fait l’éloge de la Présidence luxembourgeoise.
Selon l’eurodéputée luxembourgeoise Viviane Reding (PPE), le succès du semestre luxembourgeois prouve que les plus petits pays sont capables de faire de bonnes présidences. Viviane Reding a estimé que le travail "solide" des fonctionnaires luxembourgeois a permis de faire avancer les dossiers importants tels que la réforme de la Cour de justice de l’UE, l’accord interinstitutionnel, le paquet ferroviaire, la protection des données, et le PNR. "Le gouvernement a su piloter les dossiers", a poursuivi Viviane Reding, en mettant en avant le travail du ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, de l'Immigration et de l'Asile, Jean Asselborn, qui "était sur tous les fronts", et dont l’engagement a été "remarqué et apprécié", tout comme celui du ministre en charge des relations avec le Parlement européen, Nicolas Schmit. L’eurodéputée a également félicité la Présidence luxembourgeoise pour son engagement dans le cadre de la COP21 à Paris.
Pour ce qui est des "crises sans précédent et sans fin", notamment la crise des réfugiés, le terrorisme, et la montée du populisme nationaliste, Viviane Reding estime que les Présidences "ne peuvent pas faire beaucoup". "Les Présidences passent, mais les crises demeurent", a-t-elle dit. Et de souligner la nécessité de produire "un changement de cap en 2016", dans la lignée des textes fondateurs de l’Union, qui parlent de "cohérence, de respect, de solidarité, et d’une Europe qui avance".
L’eurodéputé Kelam Tunne (PPE) s’est pour sa part félicité que de nouvelles sanctions contre la Russie aient été adoptées pendant la Présidence luxembourgeoise. "Il est important, pour la crédibilité de l’UE, que les sanctions soient maintenues jusqu’à ce que les accordes de Minsk soient complètement mis en place", a-t-il dit.
Au nom du groupe S&D, l’eurodéputée socialiste Maddy Delvaux a elle aussi vanté les mérites de la Présidence luxembourgeoise, dans un contexte où l’UE est confrontée à des défis énormes. Elle a notamment mis en avant "le travail spectaculaire qui a été fait sur les dossiers moins spectaculaires", et la collaboration "exemplaire" entre le Conseil et le Parlement européen.
"Les progrès en matière de migration, de lutte contre le terrorisme et contre la radicalisation, l’accord sur la réforme de la protection des données, la réforme de la Cour de Justice sont autant de résultats à mettre à votre crédit", a pour sa part déclaré Andrejus Mamikins, estimant que la Présidence lettonne n’avait pas été capable de fournir des résultats aussi bons que ceux de la Présidence luxembourgeoise.
L’eurodéputée socialiste Mercedes Bresso s’est félicitée du travail accompli par la Présidence luxembourgeoise pour approfondir la dimension sociale de l’UE. Pervenche Berès a pour sa part souligné la nécessité de renforcer la coopération entre les services de renseignements et de mieux lutter contre le financement du terrorisme.
Helga Stevens (ECR) a quant à elle salué les efforts de la Présidence luxembourgeoise dans le domaine de la sécurité, en évoquant notamment l’accord PNR. Elle a néanmoins estimé que les résultats sont "limités" en matière de migration. "Ceci est notamment dû au refus de certains pays européens de reconnaître leur responsabilité de contrôler les frontières extérieures", a-t-elle regretté. Et de souligner la nécessité d’éviter que les migrants qui obtiennent le statut de réfugiés dans les pays de transition n’obtiennent pas ce statut au sein de l’Europe. Si l’Europe doit protéger les plus vulnérables, elle doit néanmoins tenir compte du fait que tout le monde ne peut pas venir en Europe, a-t-elle indiqué. Enfin, Helga Stevens a regretté que l’approche de l’UE face aux réformes demandées par les Britanniques n’ait pas été évoquée par Jean-Claude Juncker et Xavier Bettel dans leur discours.
"Les crises qui étaient déjà existantes au mois de juillet sont devenues existentielles pour l’UE", a déclaré l’eurodéputé Charles Goerens (ALDE) en évoquant le contexte difficile de la Présidence luxembourgeoise. Il regrette que les Etats membres ne soient pas prêts de doter l’UE des compétences et moyens nécessaires pour les résoudre. A ses yeux, l’adoption du budget de l’UE "en un temps record", les efforts couronnés de succès dans le domaine de la justice et des affaires intérieures et dans le domaine de la lutte contre le changement climatique, et les efforts dans le domaine agricole et social, font partie des succès de la Présidence luxembourgeoise. Evoquant une "crise de solidarité", Charles Goerens a indiqué "avoir honte" que certains Etats membres remettent en question les acquis "importants" de l’UE, tels que Schengen.
L’eurodéputé Dimitrios Papadimoulis (GUE/NGL) a quant à lui critiqué le bilan de la Présidence luxembourgeoise, notamment en ce qui concerne la répartition des réfugiés. Il estime par ailleurs que le plan d’action commun avec la Turquie n’a pas produit les effets escomptés. Dimitrios Papadimoulis a souligné la nécessité de prendre des grandes initiatives dans l’UE pour relancer la croissance et pour trouver une réponse commune à la crise des réfugiés. Pour Nikolaos Chountis, la Présidence luxembourgeoise peut être identifiée comme étant celle sous laquelle "un véritable coup d’état" a eu lieu en Grèce.
Aux yeux de l’eurodéputé Reinhard Bütikofer (Verts/ALE), le bilan de la Présidence luxembourgeoise ne peut être qualifié de "succès" en ce qui concerne le rééquilibrage nécessaire entre la politique commerciale et la politique industrielle européennes, l’acte relatif aux petites entreprises (Small business act), et "l’écologisation" du semestre européen. Il a également regretté que la voix des citoyens ne soit pas écoutée dans le cadre des négociations sur le TTIP. Reinhard Bütikofer a néanmoins mis en avant plusieurs succès de la Présidence luxembourgeoise, à savoir l’accord sur la réforme de la protection des données, et la contribution de la Présidence luxembourgeoise à la COP21 de Paris.
Pointant la politique fiscale du Luxembourg, Marco Valli (EFDD) a regretté "l’affaiblissement" de la directive introduisant l’échange automatique d’informations sur les tax rulings par rapport aux propositions de la Commission et du Parlement européen. L’eurodéputée Marine Le Pen (ENF) a fait écho aux critiques formulées par Marco Valli, en évoquant les révélations Luxleaks. Elle a également attiré l’attention sur l’afflux "dramatique" de migrants, sur la nécessité de répondre aux "actes de prédation sexuelle" de Cologne et sur l’importance de lutter contre l’islamisme.
Pour ce qui est du manque de coopération entre les services de renseignements, Jean-Claude Juncker a admis qu’il s’agissait d’un "problème très réel" sur lequel l’UE ne parvient pas à avancer. "Déjà en 2001, le Conseil européen avait conclu qu’il était nécessaire de renforcer la coopération des pays membres de l’UE [en matière de services de renseignements, NDLR], mais il n’en fut rien", a-t-il dit. "Nous découvrons jour après jour, à la suite des révélations qui nous parviennent, qu’il y a eu des manquements en matière de coopération entre les services secrets et entre les services de police", a-t-il regretté, avant de souligner la nécessité de faire "des efforts supplémentaires" en la matière.
S’agissant de la lutte contre le financement du terrorisme, Jean-Claude Juncker a indiqué que la Commission européenne présentera un plan d’action en février 2016.
En ce qui concerne les problèmes migratoires, Xavier Bettel a rappelé que la solidarité ne doit pas être "à sens unique". Il a souligné l’importance de "ne pas laisser la Grèce seule". Il a également rappelé la demande que la Présidence luxembourgeoise a formulée auprès de la Commission européenne, pour qu’une dose de flexibilité en faveur des politiques de migration soit prévue dans le pacte de stabilité.
Pour ce qui est des tax rulings, Xavier Bettel a admis que "la Présidence luxembourgeoise aurait pu aller plus loin" en ce qui concerne le champ d’application du projet de la directive, notamment "en prenant en compte tous les tax rulings, y compris ceux qui sont exclusivement nationaux".
Enfin, Xavier Bettel a indiqué que la lutte contre le financement du terrorisme doit être "une priorité pour 2016".